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Ma biographie. à un ami Villanelle de Buloz écrit sur un exemplaire des Odelettes Couplet sur l'air des " Hirondelles ", de Félicien David Villanelle des pauvres housseurs Chanson sur l'air des Landriry Ballade des célébrités du temps jadis Virelai à mes éditeurs Ballade des travers de ce temps Monsieur Coquardeau Monselet d'automne Réalisme Méditation poétique et littéraire à Augustine Brohan La Sainte Bohème Ballade de la vraie sagesse Le saut du tremplin Ma biographie.à Henri d'Ideville. Le torrent que baise l'éclair Sous les bois qui lui font des voiles, Murmure, ivre d'un rhythme clair, Et boit les lueurs des étoiles. Il roule en caressant son lit Où se mirent les météores, Et, plein de fraîcheur, il polit Des cailloux sous ses flots sonores. Tel, je polissais, cher Henri, Des vers que vous aimez à lire, Depuis le jour où m'a souriLe choeur des joueuses de lyre. J'ai voulu des amours constants Et, sans me ranger à la mode, J'ai chéri les cris éclatants Et les belles fureurs de l'Ode.Quand, tout jeune, j'allais rêvant Avec ma libre et fière allure, Ce fut le caprice du vent Qui me peignait la chevelure. C'est au fond du détroit d'Hellé Que j'ai voulu chercher mes rentes, Et je n'ai jamais plus filé Qu'un lys au bord des eaux courantes. Mais parfois, lorsque, triomphant, J'enfourchai mes hardis Pégases, Tombaient de mes lèvres d'enfantLes diamants et les topazes. J'ai touché les crins des soleils Dans les infinis grandioses, Et j'ai trouvé des mots vermeils Qui peignent la couleur des roses. Je vins, chanteur mélodieux, Et j'ouvris ma lèvre enchantée, Et sur les épaules des Dieux J'ai remis la pourpre insultée. Un instant, le long du chemin Où des fous m'en ont fait un crime, J'ai tenu bien haut dans ma mainLe glaive éclatant de la Rime. Sans repos je me suis voué Au destin d'embraser les âmes : Peut-être ai-je encor secoué Trop peu de rayons et de flammes. Qu'un plus grand fasse encor un pas, Chercheur de la lumière blonde ! Ami, je ne suis même pasLa plus belle fille du monde. Juin 1858. Entrée du site / Haut de la page à un amipour lui réclamer le prix d'un travail littéraire. Mon ami, n'allez pas surtout vous soucier De la lettre qu'on vous apporte ; Ce n'est qu'une facture, et c'est un créancier Qui vient de sonner à la porte. Parcourant sans repos, dernier des voyageurs, Les Hélicons et les Permesses, Pour payer mes wagons, j'ai dû chez les changeurs Escompter l'or de vos promesses Vérité sans envers, que l'on nierait en vain, Car elle est des plus apparentes, L'artiste ne peut guère, avec son luth divin, Réaliser assez de rentes. Ainsi que la marmotte, il se sent mal au doigt à force de porter sa chaîne : Toujours il a mangé le matin ce qu'il doit Toucher la semaine prochaine. à moins qu'il soit chasseur de dots, et fait au tour, Dieu sait quelle intrigue il étale Pour ne pas déjeuner, plus souvent qu'à son tour, Au restaurant de feu Tantale ! Moi qui n'ai pas les traits de Bacchos, je ne puis Compter sur ma beauté physique. Je suis comme la Nymphe auguste dans son puits ; Je n'ai que ma boîte à musique ! Ainsi, j'ai beau nommer l'Amour " my dear child ", être un Cyrus en nos escrimes, Et faire encor pâlir le luxe de Rothschild Par la richesse de mes rimes, Je ne saurais avec tous ces vers que paiera Buloz, s'il survit aux bagarres, D'avance entretenir des filles d'Opéra, Ni même acheter des cigares. Oui, moi que l'univers prendrait pour un richard, Tant je prodigue les tons roses, Je suis, pour parler net, semblable à Cabochard, Je manque de diverses choses. Le cabaret prétend que Crédit est noyé, Et, si ce n'est chez les Osages, Je m'aperçois enfin que l'argent monnoyé S'applique à différents usages. Je sais bien que toujours les cygnes aux doux chants, Près des Lédas archiduchesses, Ont fait de jolis mots sur les filles des champs Et sur le mépris des richesses ; Monsieur Scribe lui-même enseigne qu'un trésor Cause mille angoisses amères ; Mais je suis intrépide : envoyez-moi de l'or, Je n'ai souci que des chimères ! Mars 1856. Entrée du site / Haut de la page Villanelle de BulozJ'ai perdu mon Limayrac ; Ce coup-là me bouleverse. Je veux me vêtir d'un sac. Il va mener, en cornac, La Gazette du Commerce. J'ai perdu mon Limayrac. Mon Limayrac sur Balzac Savait seul pleuvoir à verse. Je veux me vêtir d'un sac. Pour ses bons mots d'almanach On tombait à la renverse. J'ai perdu mon Limayrac. Sans son habile micmac, Sainte-Beuve tergiverse. Je veux me vêtir d'un sac. Il a pris son havresac, Et j'ai pris la fièvre tierce. J'ai perdu mon Limayrac. à fumer, sans nul tabac ! Depuis ce jour je m'exerce. Je veux me vêtir d'un sac. Pleurons, et vous de cognac Mettez une pièce en perce ! J'ai perdu mon Limayrac, Je veux me vêtir d'un sac ! Octobre 1845. Entrée du site / Haut de la page écrit sur un exemplaire des OdelettesQuand j'ai fait ceci, Moi que nul souci Ne ronge, La fièvre de l'or Nous tenait encor : J'y songe ! Pendant ces moments, Comme les romans Que fonde Le joyeux About, Elle avait pris tout Le monde ! Vous rappelez-vous Les efforts jaloux, Les brigues, Les peurs, les succès ? Le combat eut ses Rodrigues ! Oh ! qu'il fut ardent, Hélas ! Moi, pendant La lutte Et son bruit d'enfer, J'essayais un air De flûte ! Juin 1858. Entrée du site / Haut de la page Couplet sur l'air des " Hirondelles ", de Félicien DavidActeurs chez qui Mérope Hurle comme un beffroi, Pour enchanter l'Europe, Jouez Le Misanthrope Sans Geffroy ! Août 1847. Entrée du site / Haut de la page Villanelle des pauvres housseursEn avant, mes amis ! sus au romantisme ! Voltaire et l'école normale ! Figaro du 30 décembre 1858. Un tout petit pamphlétaire Voudrait se tenir debout Sur le fauteuil de Voltaire. Je vois sous ce mousquetaire, Dont le manteau se découd, Un tout petit pamphlétaire. Renvoyez au Finistère Le grain frelaté qu'il moud Sur le fauteuil de Voltaire. Il sera le caudataire Du fameux Taine, et, par goût, Un tout petit pamphlétaire. Prud'homme universitaire, Il a l'air d'un marabout Sur le fauteuil de Voltaire. Tirez, tirez-le par terre, Car il a... pleuré partout Sur le fauteuil de Voltaire. Ah ! le mauvais locataire ! Bah ! l'on raille et l'on absout Un tout petit pamphlétaire. Bornons là ce commentaire ; Mais il a manqué... de tout Sur le fauteuil de Voltaire. Le célèbre phalanstère Nous a donné pour ragoût Un tout petit pamphlétaire. Mons Purgon, vite un clystère ! Le pauvre homme écume et bout Sur le fauteuil de Voltaire. Qui veut, dans son monastère, Jeter Pindare à l'égout ? Un tout petit pamphlétaire. De Ferney jusqu'à Cythère, On rit de voir jusqu'au bout Un tout petit pamphlétaire Sur le fauteuil de Voltaire. Décembre 1858. Entrée du site / Haut de la page Chanson sur l'air des LandriryVoici l'automne revenu, Nos anges, sur un air connu, Landrirette, Arrivent toutes à Paris, Landriry. Ces dames, au retour des champs, Auront les yeux clairs et méchants, Landrirette, Le sein rose et le teint fleuri, Landriry. Mais celles qui n'ont pas quitté La capitale pour l'été, Landrirette, Ont l'air bien triste et bien marri, Landriry. Nos Aspasie et nos Sontag Se promènent au Ranelagh, Landrirette, Tristes comme un bonnet de nuit, Landriry. Elles ont vu fort tristement La clôture du parlement, Landrirette, Leurs roses tournent en soucis, Landriry. Il est temps que plus d'un banquier Quitte le Havre ou Villequier, Landrirette, Car notre Pactole est tari, Landriry. Frison, Naïs et Brancador Ont engagé leurs colliers d'or, Landrirette, Et Souris n'a plus de mari, Landriry. Mais voici le temps des moineaux ; Les vacances des tribunaux, Landrirette, Vont ramener l'argent ici, Landriry. Car déjà, sur le boulevard, On voit des habits de Stuttgard, Landrirette, Et des vestes de Clamecy, Landriry. Tout cela vient avec l'espoir D'aller à Mabille et de voir, Landrirette, Page et Mademoiselle Ozy, Landriry. Le matin, avec bonne foi, Ils tombent au café de Foy, Landrirette, Pour lire Le Charivari, Landriry. Puis ils s'en vont, à leur grand dam, Acquérir sur la foi de Cham, Landrirette, Des jaquettes gris de souris, Landriry. Un Moulinois de mes cousins Contemple tous les magasins, Landrirette, Avec un sourire ébahi, Landriry. Et déjà ce nouvel Hassan Guigne un cachemire au Persan, Landrirette, C'est pour charmer quelque péri, Landriry. Il ira ce soir à Feydeau. Avant le lever du rideau, Landrirette, Il s'écriera : " C'est du Grétry, Landriry ! " Courage, Amours, souvent frôlés ! Demain, les bijoux contrôlés, Landrirette, Se placeront à juste prix, Landriry. Bon appétit, jeunes beautés, Qu'adorent les prêtres bottés, Landrirette, De Cypris et de Brididi, Landriry. Vous allez guérir derechef Par l'or et le papier Joseph, Landrirette, Vos roses et vos lys flétris, Landriry. Si vous savez d'un air vainqueur Mettre sur votre bouche en cur, Landrirette, Les jeux, les ris et les souris, Landriry. Si vous savez, à chaque pas, Murmurer : " Je ne polke pas, " Landrirette, Vous allez gagner vos paris, Landriry. Vous allez avoir des pompons, Des fleurettes et des jupons, Landrirette, Comme en portait la Dubarry, Landriry. Vous aurez, comme en un sérail, Plus de perles et de corail, Landrirette, Qu'un marchand de Pondichéry, Landriry. Plus d'étoiles en diamant Qu'il ne s'en trouve au firmament, Landrirette, Ou dans un roman de Méry, Landriry. Et cet hiver à l'Opéra, Où quelque Amadis vous paiera, Landrirette, Vous poserez pour Gavarni, Landriry. Septembre 1846. Entrée du site / Haut de la page Ballade des célébrités du temps jadisDites-moi sur quel Sinaï Ou dans quelle manufacture Est le critique Dufaï ? Où ? sur quelle maculature Lalanne met-il sa rature ? Où sont les plâtres de Dantan, Le Globe et La Caricature ? Mais où sont les neiges d'antan ! Où Venet, par le sort trahi, A-t-il trouvé sa sépulture ? Mirecourt s'est-il fait spahi ? Mantz a-t-il une préfecture ? Où sont les habits sans couture, Et Malitourne et Pelletan ? Où sont Clesinger et Couture ? Mais où sont les neiges d'antan ! Où sont Rolle des Dieux haï, Bataille, plus beau que nature, Cochinat, qui fut envahi, Tout vif, par la même teinture Que jadis Toussaint-Louverture, Et ce Rhéal qui mit Dante en Français de maître d'écriture ? Mais où sont les neiges d'antan ! Envoi Ami, quelle déconfiture ! Tout s'en va, marchands d'orviétan Et marchands de littérature : Mais où sont les neiges d'antan ! Novembre 1856. Entrée du site / Haut de la page Virelai à mes éditeursBarbanchu nargue la rime ! Je défends que l'on m'imprime ! La gloire n'était que frime ; Vainement pour elle on trime, Car ce point est résolu. Il faut bien qu'on nous supprime : Barbanchu nargue la rime ! Le cas enfin s'envenime. Le prosateur chevelu Trop longtemps fut magnanime. Contre la lyre il s'anime, Et traite d'hurluberlu Ou d'un terme synonyme Quiconque ne l'a pas lu. Je défends que l'on m'imprime. Fou, tremble qu'on ne t'abîme ! Rimer, ce temps révolu, C'est courir vers un abîme, Barbanchu nargue la rime ! Tu ne vaux plus un décime ! Car l'ennemi nous décime, Sur nous pose un doigt velu, Et, dans son chenil intime, Rit en vrai patte-pelu De nous voir pris à sa glu. Malgré le monde unanime, Tout prodige est superflu. Le vulgaire dissolu Tient les mètres en estime : Il y mord en vrai goulu ! Bah ! pour mériter la prime, Tu lui diras : Lanturlu ! Je défends que l'on m'imprime. Molière au hasard s'escrime, C'est un bouffon qui se grime ; Dante vieilli se périme, Et Shakspere nous opprime ! Que leur art jadis ait plu, Sur la récolte il a plu, Et la foudre pour victime Choisit leur toit vermoulu. C'était un régal minime Que Juliette ou Monime ! Descends de ta double cime, Et, sous quelque pseudonyme, Fabrique une pantomime ; Il le faut, il l'a fallu. Mais plus de retour sublime Vers Corinthe ou vers Solyme ! Ciseleur, brise ta lime, Barbanchu nargue la rime ! Seul un réaliste exprime Le Beau rêche et mamelu : En douter serait un crime. Barbanchu nargue la rime ! Je défends que l'on m'imprime. Novembre 1856. Entrée du site / Haut de la page Ballade des travers de ce tempsPrudhomme, fier de montrer son bon goût, Quand il écrit des lettres, les cachète D'un casque d'or où flotte un marabout ; Camellia prend des airs de Nichette, Et le docteur arbore une brochette. Dès l'an passé, Montjoye eut ce travers D'aller au bal en bottes à revers ; Sur votre front Courbet met des verrues, Nymphe aux yeux d'or, Sirène aux cheveux verts : Voici le temps pour les coquecigrues. Anges bouffis et vermeils, que partout L'humble passant peut appeler : " Bichette, " Dès que Plutus dresse quelque ragoût, Cent Dalilas apportent leur fourchette. Amour les guide au bruit de sa pochette. Par le marteau forgé tout de travers, C'est un jupon d'acier qui sert d'envers Aux fiers appas de ces femmes ventrues, Et ce rempart terrasse les pervers : Voici le temps pour les coquecigrues. On n'a plus d'or que pour Edmond About Au Moniteur ainsi que chez Hachette ; C'est pour lui seul que la marmite bout Chez Désiré comme au Café Vachette ; C'est lui qu'on prise et c'est lui qu'on achète. Pourtant Venet écrit à l'Univers ; Machin (du Tarn) dans des recueils divers Offre au public des lignes incongrues, Et Champfleury veut supprimer les vers : Voici le temps pour les coquecigrues. Envoi Mon cher François, vers la Touraine et vers Vos lys, mes chants volent aux bosquets verts. Je sais qu'ils ont des rimes un peu crues : C'est que depuis ces dix ou douze hivers, Voici le temps pour les coquecigrues. Juillet 1856. Entrée du site / Haut de la page Monsieur CoquardeauChant Royal. Roi des Crétins, qu'avec terreur on nomme, Grand Coquardeau, non, tu ne mourras pas. Lépidoptère en habit de Prudhomme, Ta majesté t'affranchit du trépas, Car tu naquis aux premiers jours du monde, Avant les cieux et les terres et l'onde. Quand le métal entrait en fusion, Titan, instruit par une vision Que son travail durerait la semaine, Fondit d'abord, et par provision, Le front serein de la Bêtise humaine. On t'a connu dans Corinthe et dans Rome, Et sous Colbert, comme sous Maurepas. Mais sur tes yeux de vautour économe Se courbait l'arc d'un sourcil plein d'appas, Et le sommet de ta tête profonde A resplendi sous la crinière blonde. Que Gavarni tourne en dérision Tes six cheveux ! Avec décision Le démêloir en toupet les ramène : Un Dieu scalpa, comme l'Occasion, Le front serein de la Bêtise humaine. Tu te rêvais député de la Somme Dans les discours que tu développas, Et, beau parleur grâce à ton majordome, On te voit fier de tes quatre repas. Lorsqu'en s'ouvrant ta bouche rubiconde Verse au hasard les trésors de Golconde, On cause bas, à ton exclusion, Ou chacun rêve à son évasion. Tu n'as jamais connu ce phénomène ; Mais l'ouvrier doubla d'illusion Le front serein de la Bêtise humaine. Comme Pâris tu tiens toujours la pomme. Dans ton salon, qu'ornent des Mazeppas. On boit du lait et du sirop de gomme, Et tu n'y peux, selon toi, faire un pas Sans qu'à ta flamme une flamme réponde. Dans tes miroirs tu te vois en Joconde. Jamais pourtant, cur plein d'effusion, Tu n'oublias ta chère infusion Pour les rigueurs d'Iris ou de Climène. L'espoir fleurit avec profusion Le front serein de la Bêtise humaine. à ton café, tu te dis brave comme Un Perceval, et toi même écharpas Le rude Arpin ; ta chiquenaude assomme. Lorsque tu vas, les jambes en compas, On croirait voir un héros de la Fronde, Ou quelque preux, vainqueur de Trébizonde. Mais, évitant avec précision L'éclat fatal d'une collision, Tu vis dodu comme un chapon du Maine, Pour sauver mieux de toute lésion Le front serein de la Bêtise humaine. Envoi. Prince des sots, un système qu'on fonde à son aurore a soif de ta faconde. Toi, tu vivais dans la prévision Et dans l'espoir de cette invasion : Le Réalisme est ton meilleur domaine, Car il charma dès son éclosion Le front serein de la Bêtise humaine. Novembre 1856. Entrée du site / Haut de la page Monselet d'automnePantoum. L'automne est doux ; adieu, libraires ! L'oiseau chante dans le sillon. Monselet dit à ses confrères : " êtes-vous or pur ou billon ? " L'oiseau chante dans le sillon, Le ciel dans les vapeurs s'allume. " êtes-vous or pur ou billon ? Répondez, soldats de la plume. " Le ciel dans les vapeurs s'allume : Ma mie, il faut aller au bois. " Répondez, soldats de la plume, Ne parlez pas tous à la fois. " Ma mie, il faut aller au bois, Là-bas où la brise soupire. " Ne parlez pas tous à la fois : Lequel de vous est un Shakspere ? " Là-bas où la brise soupire, Il fait bon pour les curs souffrants : " Lequel de vous est un Shakspere ? Lequel est Balzac ? Soyez francs. " Il fait bon pour les curs souffrants. Sur la mousse je veux qu'on m'aime. " Lequel est Balzac ? Soyez francs. - " Balzac ? dit chacun, c'est moi-même. " Sur la mousse je veux qu'on m'aime, De la seule étoile aperçu. - " Balzac ? dit chacun, c'est moi-même. " Monselet rit comme un bossu. De la seule étoile aperçu, Qu'un baiser de feu me dévore ! Monselet rit comme un bossu. Bon biographe, ris encore ! Qu'un baiser de feu me dévore ! Hélas ! le bonheur est si court ! Bon biographe, ris encore, On n'entendra plus Mirecourt. Hélas ! le bonheur est si court ! ô désirs vains et téméraires ! On n'entendra plus Mirecourt, L'automne est doux : Adieu, libraires ! Septembre 1856. Entrée du site / Haut de la page RéalismeGrâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune, Bondir sur le tapis folâtre des gazons, Dans votre vêtement de toutes les saisons ! Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires, Fleur de neige, ô Cypris ! toi, mère des sourires, Dont le costume ancien, même après fructidor, Se compose de lys avec des frisons d'or ! Et toi, rouge Apollon, dieu ! lumière ! épouvante ! Toi que Délos révère et que Ténédos vante, Toi qui, dans ta fureur, lances au loin des traits Et qu'à présent on force à faire des portraits, Partisan des linons et des minces barèges, Patron des fabricants d'ombrelles, qui protèges Chryse, et qui ceins de feux la divine Cilla, Regardez ce que font ces imbéciles-là ! Regardez ces farceurs en costume sylvestre ! Ils agitent leurs bras comme des chefs d'orchestre ; Ils se sont tous grisés de bière chez Andler, Et les voici qui vont graves, les yeux en l'air, Rouges pourpres, dirait Mathieu, quant au visage, Et curieux de voir un bout de paysage. Ils plantent en cerceaux des manches à balais, Et se disent : " Voilà des arbres, touchez-les ! " Sur le bord d'un trottoir ils vident leur cuvette En s'écriant : " La mer ! je vois une corvette ! " Un singe passe au dos d'un petit Savoyard, Ils murmurent : " Amis, saluons ce boyard ! " Embusqués en troupeaux à l'angle de trois rues, Sur les fronts des passants ils collent des verrues, Puis, abordant leur homme avec un air poli : " Monsieur, demandent-ils, ce nez est-il joli ? Vous aimez les nez grecs, c'est là ce qui vous trompe ! Oh ! laissez-moi vous coudre à la place une trompe ! " Celui-ci rencontrant Marinette ou Marton, Lui met sur le visage un masque de carton ; Celui-là vous arrête et vous souffle la panse, Et répète : " Le beau n'est pas ce que l'on pense ! " Bientôt, grâce à leurs soins d'artistes, autour d'eux La foule a pris l'aspect d'un cauchemar hideux : Ce ne sont qu'oriflans, caprimulges, squelettes, Stryges entrechoquant leurs gueules violettes, Mandragores, dragons, origes, loups-garous, Tarasques ; c'est alors que le plus fort d'eux tous Hurle, en s'échevelant comme un Ange rebelle : " Par Ornans et le Doubs ! que la nature est belle ! " Extasiés alors des sourcils à l'orteil, Effarés, éblouis, prenant pour le soleil La chandelle à deux sous que Margot leur allume, Ils cherchent l'ébauchoir, les brosses ou la plume, Et, comme Bilboquet pour le maire de Meaux, Au lieu d'êtres humains, ils font des animaux Encore non classés par les naturalistes : Excusez-les, Seigneur, ce sont des réalistes ! Mais, puisqu'au lieu de lire un livre de crétin, J'aime à sentir au bois les muguets et le thym ; Puisque la foi nouvelle a des argyraspides Qui heurtent leur fer-blanc ; puisque les moins stupides De ce temps sont encor ceux qui tressent des lys, ô Sminthée aux cheveux de flamme, et toi, Cypris ! Puisque je ne suis pas, moi charmé dans vos fêtes, De l'avis de Gozlan, sur ce que les poètes Durent un demi-siècle à peine ; puisque j'ai Pour maîtres de bon sens Phyllis et Lalagé ; Puisque j'aime bien mieux faire voler des bulles De savon, que d'écrire une uvre aux Funambules, Et puisque, même en grec, sans le père Brumoy, Les Grecs valaient monsieur Chose, permettez-moi, Au lieu de voir courir tous ces porteurs de chaînes, De me coucher pensif sous l'ombrage des chênes ! Permettez-moi d'y vivre inutile, étendu Sur l'herbe, m'enivrant d'un frisson entendu Et d'admirer aussi la rose coccinelle, Et d'aider seulement de ma voix fraternelle, Cependant que rugit cette meute aux abois, Le champignon sauvage à pousser dans les bois ! Janvier 1857. Entrée du site / Haut de la page Méditation poétique et littéraireOn écrivait encore, en ces temps romantiques Où les chants de Ducis étaient des émétiques, Où, sans pourpoint cinabre, on se voyait banni, Où Prudhomme, ravi de tomber avec grâce, était jeté vivant dans une contre-basse Pour avoir contesté les vers de Hernani. On écrivait, tandis que maintenant on gèle. Où sont les Antony, les Ruy-Blas, les Angèle, Et ces jours, morts, hélas ! Où Frédérick, faisant revivre Aristophane, Sous le mépris des sots et la robe d'un âne Cachait Tragaldabas ? On écrivait, au sein de l'antique Bohème Où le chat de Mimi brillait sur le poème, Où Schaunard éperdu, dédaignant tout poncif, Si quelqu'un devant lui vantait sa pipe blonde, Lui répondait : " J'en ai pour aller dans le monde Une plus belle encore, " et devenait pensif. Aujourd'hui Weill possède un bouchon de carafe, Arsène a des maisons, Nadar est photographe, Véron maître-saigneur, Fournier construit des bricks de papier, et les mâte, Henri La Madelène a fait du carton-pâte : Lequel vaut mieux, Seigneur ? Décembre 1856. Entrée du site / Haut de la page à Augustine BrohanThalie, amante des grands curs, Voix éloquente et vengeresse, J'ai bu les amères liqueurs : Prends mes chansons, bonne Déesse. Berce-les au bruit des grelots ! Muse au beau front, nymphe homérique, De ta lèvre coule à grands flots Notre inspiration lyrique. Ton rire, comme un clair soleil, épanouit les gaîtés franches, Pourpre vive, rosier vermeil, éblouissement de dents blanches ! Que de fois, chancelant encor Sous le mal dont je suis la proie, Tes accents de cristal et d'or M'ont rendu la force et la joie ! Oh ! que de fois j'ai mendié L'enthousiasme et l'ironie Sur le théâtre incendié Par les éclairs de ton génie ! C'est pourquoi, ne dédaigne pas Le pur diamant de mes rimes, Nymphe, dont j'ai baisé les pas Sur la neige des grandes cimes. Car sur ton front céleste a lui L'ardent rayon qui me déchire, Et nous nous aimons en Celui Qui nous a légué son martyre. ô spectacle trois fois divin De voir une telle écolière Tremper sa bouche dans le vin Dont s'enivra le grand Molière ! Toi qui le charmes au tombeau, Thalie, Augustine, âme élue Pour ce délire encor si beau, L'Ode est ta sur, et te salue. Septembre 1858. Entrée du site / Haut de la page La Sainte Bohème...Il chanta d'une voix tonnante à laquelle nous répondîmes en choeur : Vive la Bohême ! George Sand, La dernière Aldini. Par le chemin des vers luisants, De gais amis à l'âme fière Passent aux bords de la rivière Avec des filles de seize ans. Beaux de tournure et de visage, Ils ravissent le paysage De leurs vêtements irisés Comme de vertes demoiselles, Et ce refrain, qui bat des ailes, Se mêle au vol de leurs baisers : Avec nous l'on chante et l'on aime, Nous sommes frères des oiseaux. Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux, Et vive la sainte Bohème ! Fronts hâlés par l'été vermeil, Salut, bohèmes en délire ! Fils du ciseau, fils de la lyre, Prunelles pleines de soleil ! L'aîné de notre race antique C'est toi, vagabond de l'Attique, Fou qui vécus sans feu ni lieu, Ivre de vin et de génie, Le front tout barbouillé de lie Et parfumé du sang d'un dieu ! Avec nous l'on chante et l'on aime, Nous sommes frères des oiseaux. Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux, Et vive la sainte Bohème ! Pour orner les fouillis charmants De vos tresses aventureuses, Dites, les pâles amoureuses, Faut-il des lys de diamants ? Si nous manquons de pierreries Pour parer de flammes fleuries Ces flots couleur d'or et de miel, Nous irons, voyageurs étranges, Jusque sous les talons des anges Décrocher les astres du ciel ! Avec nous l'on chante et l'on aime, Nous sommes frères des oiseaux. Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux, Et vive la sainte Bohème ! Buvons au problème inconnu Et buvons à la beauté blonde, Et, comme les jardins du monde, Donnons tout au premier venu ! Un jour nous verrons les esclaves Sourire à leurs vieilles entraves, Et, les bras enfin déliés, L'univers couronné de roses, Dans la sérénité des choses Boire aux Dieux réconciliés ! Avec nous l'on chante et l'on aime, Nous sommes frères des oiseaux. Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux, Et vive la sainte Bohème ! Nous qui n'avons pas peur de Dieu Comme l'égoïste en démence, Au-dessus de la ville immense Regardons gaîment le ciel bleu ! Nous mourrons ! mais, ô souveraine ! ô mère ! ô Nature sereine ! Que glorifiaient tous nos sens, Tu prendras nos cendres inertes Pour en faire des forêts vertes Et des bouquets resplendissants ! Avec nous l'on chante et l'on aime, Nous sommes frères des oiseaux. Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux, Et vive la sainte Bohème ! Juin 1847. Entrée du site / Haut de la page Ballade de la vraie sagesseMon bon ami, poète aux longs cheveux, Joueur de flûte à l'humeur vagabonde, Pour l'an qui vient je t'adresse mes vux : Enivre-toi, dans une paix profonde, Du vin sanglant et de la beauté blonde. Comme à Noël, pour faire réveillon Près du foyer en flamme, où le grillon Chante à mi-voix pour charmer ta paresse, Toi, vieux Gaulois et fils du bon Villon, Vide ton verre et baise ta maîtresse. Chante, rimeur, ta Jeanne et ses grands yeux Et cette lèvre où le sourire abonde ; Et que tes vers à nos derniers neveux, Sous la toison dont l'or sacré l'inonde, La fassent voir plus belle que Joconde. Les Amours nus, pressés en bataillon, Ont des rosiers broyé le vermillon Sur le beau sein de cette enchanteresse. Ivre déjà de voir son cotillon, Vide ton verre et baise ta maîtresse. Une bacchante, aux bras fins et nerveux, Sur les coteaux de la chaude Gironde, Avec ses surs, dans l'ardeur de ses jeux, Pressa les flancs de sa grappe féconde D'où ce vin clair a coulé comme une onde. Si le désir, aux yeux d'émerillon, T'enfonce au cur son divin aiguillon, Profites-en ; l'âme, disait la Grèce, à pour nous fuir l'aile d'un papillon : Vide ton verre et baise ta maîtresse. Envoi Ma muse, ami, garde le pavillon. S'il est de pourpre, elle aime son haillon, Et me répète à travers son ivresse, En secouant son léger carillon : Vide ton verre et baise ta maîtresse. Décembre 1856. Entrée du site / Haut de la page Le saut du tremplinClown admirable, en vérité ! Je crois que la postérité, Dont sans cesse l'horizon bouge, Le reverra, sa plaie au flanc. Il était barbouillé de blanc, De jaune, de vert et de rouge. Même jusqu'à Madagascar Son nom était parvenu, car C'était selon tous les principes Qu'après les cercles de papier, Sans jamais les estropier Il traversait le rond des pipes. De la pesanteur affranchi, Sans y voir clair il eût franchi, Les escaliers de Piranèse. La lumière qui le frappait Faisait resplendir son toupet Comme un brasier dans la fournaise. Il s'élevait à des hauteurs Telles, que les autres sauteurs Se consumaient en luttes vaines. Ils le trouvaient décourageant, Et murmuraient : " Quel vif-argent Ce démon a-t-il dans les veines ? " Tout le peuple criait : " Bravo ! " Mais lui, par un effort nouveau, Semblait roidir sa jambe nue, Et, sans que l'on sût avec qui, Cet émule de la Saqui Parlait bas en langue inconnue. C'était avec son cher tremplin. Il lui disait : " Théâtre, plein D'inspiration fantastique, Tremplin qui tressailles d'émoi Quand je prends un élan, fais-moi Bondir plus haut, planche élastique ! " Frêle machine aux reins puissants, Fais-moi bondir, moi qui me sens Plus agile que les panthères, Si haut que je ne puisse voir Avec leur cruel habit noir Ces épiciers et ces notaires ! " Par quelque prodige pompeux, Fais-moi monter, si tu le peux, Jusqu'à ces sommets où, sans règles, Embrouillant les cheveux vermeils Des planètes et des soleils, Se croisent la foudre et les aigles. " Jusqu'à ces éthers pleins de bruit, Où, mêlant dans l'affreuse nuit Leurs haleines exténuées, Les autans ivres de courroux Dorment, échevelés et fous, Sur les seins pâles des nuées. " Plus haut encor, jusqu'au ciel pur ! Jusqu'à ce lapis dont l'azur Couvre notre prison mouvante ! Jusqu'à ces rouges Orients Où marchent des Dieux flamboyants, Fous de colère et d'épouvante. " Plus loin ! plus haut ! je vois encor Des boursiers à lunettes d'or, Des critiques, des demoiselles Et des réalistes en feu. Plus haut ! plus loin ! de l'air ! du bleu ! Des ailes ! des ailes ! des ailes ! " Enfin, de son vil échafaud, Le clown sauta si haut, si haut, Qu'il creva le plafond de toiles Au son du cor et du tambour, Et, le cur dévoré d'amour, Alla rouler dans les étoiles. Février 1857. |