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Variations lyriques


Avertissement de la deuxième édition. - 1859
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Ma biographie.
à un ami
Villanelle de Buloz
écrit sur un exemplaire des Odelettes
Couplet sur l'air des " Hirondelles ", de Félicien David Villanelle
des pauvres housseurs
Chanson sur l'air des Landriry
Ballade des célébrités du temps jadis
Virelai à mes éditeurs
Ballade des travers de ce temps
Monsieur Coquardeau
Monselet d'automne
Réalisme
Méditation poétique et littéraire
à Augustine Brohan
La Sainte Bohème
Ballade de la vraie sagesse
Le saut du tremplin

Ma biographie.



à Henri d'Ideville.

Le torrent que baise l'éclair
Sous les bois qui lui font des voiles,
Murmure, ivre d'un rhythme clair,
Et boit les lueurs des étoiles.
Il roule en caressant son lit
Où se mirent les météores,
Et, plein de fraîcheur, il polit
Des cailloux sous ses flots sonores.
Tel, je polissais, cher Henri,
Des vers que vous aimez à lire,
Depuis le jour où m'a souriLe choeur des joueuses de lyre.
J'ai voulu des amours constants
Et, sans me ranger à la mode,
J'ai chéri les cris éclatants
Et les belles fureurs de l'Ode.Quand, tout jeune, j'allais rêvant
Avec ma libre et fière allure,
Ce fut le caprice du vent
Qui me peignait la chevelure.
C'est au fond du détroit d'Hellé
Que j'ai voulu chercher mes rentes,
Et je n'ai jamais plus filé
Qu'un lys au bord des eaux courantes.
Mais parfois, lorsque, triomphant,
J'enfourchai mes hardis Pégases,
Tombaient de mes lèvres d'enfantLes diamants et les topazes.
J'ai touché les crins des soleils
Dans les infinis grandioses,
Et j'ai trouvé des mots vermeils
Qui peignent la couleur des roses.
Je vins, chanteur mélodieux,
Et j'ouvris ma lèvre enchantée,
Et sur les épaules des Dieux
J'ai remis la pourpre insultée.
Un instant, le long du chemin
Où des fous m'en ont fait un crime,
J'ai tenu bien haut dans ma mainLe glaive éclatant de la Rime.
Sans repos je me suis voué
Au destin d'embraser les âmes :
Peut-être ai-je encor secoué
Trop peu de rayons et de flammes.
Qu'un plus grand fasse encor un pas,
Chercheur de la lumière blonde !
Ami, je ne suis même pasLa plus belle fille du monde.

Juin 1858.


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à un ami



pour lui réclamer le prix d'un travail littéraire.

Mon ami, n'allez pas surtout vous soucier
De la lettre qu'on vous apporte ;
Ce n'est qu'une facture, et c'est un créancier
Qui vient de sonner à la porte.

Parcourant sans repos, dernier des voyageurs,
Les Hélicons et les Permesses,
Pour payer mes wagons, j'ai dû chez les changeurs
Escompter l'or de vos promesses

Vérité sans envers, que l'on nierait en vain,
Car elle est des plus apparentes,
L'artiste ne peut guère, avec son luth divin,
Réaliser assez de rentes.

Ainsi que la marmotte, il se sent mal au doigt
à force de porter sa chaîne :
Toujours il a mangé le matin ce qu'il doit
Toucher la semaine prochaine.

à moins qu'il soit chasseur de dots, et fait au tour,
Dieu sait quelle intrigue il étale
Pour ne pas déjeuner, plus souvent qu'à son tour,
Au restaurant de feu Tantale !

Moi qui n'ai pas les traits de Bacchos, je ne puis
Compter sur ma beauté physique.
Je suis comme la Nymphe auguste dans son puits ;
Je n'ai que ma boîte à musique !

Ainsi, j'ai beau nommer l'Amour " my dear child ",
être un Cyrus en nos escrimes,
Et faire encor pâlir le luxe de Rothschild
Par la richesse de mes rimes,

Je ne saurais avec tous ces vers que paiera
Buloz, s'il survit aux bagarres,
D'avance entretenir des filles d'Opéra,
Ni même acheter des cigares.

Oui, moi que l'univers prendrait pour un richard,
Tant je prodigue les tons roses,
Je suis, pour parler net, semblable à Cabochard,
Je manque de diverses choses.

Le cabaret prétend que Crédit est noyé,
Et, si ce n'est chez les Osages,
Je m'aperçois enfin que l'argent monnoyé
S'applique à différents usages.

Je sais bien que toujours les cygnes aux doux chants,
Près des Lédas archiduchesses,
Ont fait de jolis mots sur les filles des champs
Et sur le mépris des richesses ;

Monsieur Scribe lui-même enseigne qu'un trésor
Cause mille angoisses amères ;
Mais je suis intrépide : envoyez-moi de l'or,
Je n'ai souci que des chimères !

Mars 1856.


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Villanelle de Buloz



J'ai perdu mon Limayrac ;
Ce coup-là me bouleverse.
Je veux me vêtir d'un sac.

Il va mener, en cornac,
La Gazette du Commerce.
J'ai perdu mon Limayrac.

Mon Limayrac sur Balzac
Savait seul pleuvoir à verse.
Je veux me vêtir d'un sac.

Pour ses bons mots d'almanach
On tombait à la renverse.
J'ai perdu mon Limayrac.

Sans son habile micmac,
Sainte-Beuve tergiverse.
Je veux me vêtir d'un sac.

Il a pris son havresac,
Et j'ai pris la fièvre tierce.
J'ai perdu mon Limayrac.

à fumer, sans nul tabac !
Depuis ce jour je m'exerce.
Je veux me vêtir d'un sac.

Pleurons, et vous de cognac
Mettez une pièce en perce !
J'ai perdu mon Limayrac,
Je veux me vêtir d'un sac !

Octobre 1845.


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écrit sur un exemplaire des Odelettes



Quand j'ai fait ceci,
Moi que nul souci
Ne ronge,
La fièvre de l'or
Nous tenait encor :
J'y songe !

Pendant ces moments,
Comme les romans
Que fonde
Le joyeux About,
Elle avait pris tout
Le monde !

Vous rappelez-vous
Les efforts jaloux,
Les brigues,
Les peurs, les succès ?
Le combat eut ses
Rodrigues !

Oh ! qu'il fut ardent,
Hélas ! Moi, pendant
La lutte
Et son bruit d'enfer,
J'essayais un air
De flûte !

Juin 1858.


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Couplet sur l'air des " Hirondelles ", de Félicien David



Acteurs chez qui Mérope
Hurle comme un beffroi,
Pour enchanter l'Europe,
Jouez Le Misanthrope
Sans Geffroy !

Août 1847.


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Villanelle des pauvres housseurs



En avant, mes amis ! sus au romantisme !
Voltaire et l'école normale !
Figaro du 30 décembre 1858.

Un tout petit pamphlétaire
Voudrait se tenir debout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Je vois sous ce mousquetaire,
Dont le manteau se découd,
Un tout petit pamphlétaire.

Renvoyez au Finistère
Le grain frelaté qu'il moud
Sur le fauteuil de Voltaire.

Il sera le caudataire
Du fameux Taine, et, par goût,
Un tout petit pamphlétaire.

Prud'homme universitaire,
Il a l'air d'un marabout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Tirez, tirez-le par terre,
Car il a... pleuré partout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Ah ! le mauvais locataire !
Bah ! l'on raille et l'on absout
Un tout petit pamphlétaire.

Bornons là ce commentaire ;
Mais il a manqué... de tout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Le célèbre phalanstère
Nous a donné pour ragoût
Un tout petit pamphlétaire.

Mons Purgon, vite un clystère !
Le pauvre homme écume et bout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Qui veut, dans son monastère,
Jeter Pindare à l'égout ?
Un tout petit pamphlétaire.

De Ferney jusqu'à Cythère,
On rit de voir jusqu'au bout
Un tout petit pamphlétaire
Sur le fauteuil de Voltaire.

Décembre 1858.


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Chanson sur l'air des Landriry



Voici l'automne revenu,
Nos anges, sur un air connu,
Landrirette,
Arrivent toutes à Paris,
Landriry.

Ces dames, au retour des champs,
Auront les yeux clairs et méchants,
Landrirette,
Le sein rose et le teint fleuri,
Landriry.

Mais celles qui n'ont pas quitté
La capitale pour l'été,
Landrirette,
Ont l'air bien triste et bien marri,
Landriry.

Nos Aspasie et nos Sontag
Se promènent au Ranelagh,
Landrirette,
Tristes comme un bonnet de nuit,
Landriry.

Elles ont vu fort tristement
La clôture du parlement,
Landrirette,
Leurs roses tournent en soucis,
Landriry.

Il est temps que plus d'un banquier
Quitte le Havre ou Villequier,
Landrirette,
Car notre Pactole est tari,
Landriry.

Frison, Naïs et Brancador
Ont engagé leurs colliers d'or,
Landrirette,
Et Souris n'a plus de mari,
Landriry.

Mais voici le temps des moineaux ;
Les vacances des tribunaux,
Landrirette,
Vont ramener l'argent ici,
Landriry.

Car déjà, sur le boulevard,
On voit des habits de Stuttgard,
Landrirette,
Et des vestes de Clamecy,
Landriry.

Tout cela vient avec l'espoir
D'aller à Mabille et de voir,
Landrirette,
Page et Mademoiselle Ozy,
Landriry.

Le matin, avec bonne foi,
Ils tombent au café de Foy,
Landrirette,
Pour lire Le Charivari,
Landriry.

Puis ils s'en vont, à leur grand dam,
Acquérir sur la foi de Cham,
Landrirette,
Des jaquettes gris de souris,
Landriry.

Un Moulinois de mes cousins
Contemple tous les magasins,
Landrirette,
Avec un sourire ébahi,
Landriry.

Et déjà ce nouvel Hassan
Guigne un cachemire au Persan,
Landrirette,
C'est pour charmer quelque péri,
Landriry.

Il ira ce soir à Feydeau.
Avant le lever du rideau,
Landrirette,
Il s'écriera : " C'est du Grétry,
Landriry ! "

Courage, Amours, souvent frôlés !
Demain, les bijoux contrôlés,
Landrirette,
Se placeront à juste prix,
Landriry.

Bon appétit, jeunes beautés,
Qu'adorent les prêtres bottés,
Landrirette,
De Cypris et de Brididi,
Landriry.

Vous allez guérir derechef
Par l'or et le papier Joseph,
Landrirette,
Vos roses et vos lys flétris,
Landriry.

Si vous savez d'un air vainqueur
Mettre sur votre bouche en cur,
Landrirette,
Les jeux, les ris et les souris,
Landriry.

Si vous savez, à chaque pas,
Murmurer : " Je ne polke pas, "
Landrirette,
Vous allez gagner vos paris,
Landriry.

Vous allez avoir des pompons,
Des fleurettes et des jupons,
Landrirette,
Comme en portait la Dubarry,
Landriry.

Vous aurez, comme en un sérail,
Plus de perles et de corail,
Landrirette,
Qu'un marchand de Pondichéry,
Landriry.

Plus d'étoiles en diamant
Qu'il ne s'en trouve au firmament,
Landrirette,
Ou dans un roman de Méry,
Landriry.

Et cet hiver à l'Opéra,
Où quelque Amadis vous paiera,
Landrirette,
Vous poserez pour Gavarni,
Landriry.

Septembre 1846.


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Ballade des célébrités du temps jadis



Dites-moi sur quel Sinaï
Ou dans quelle manufacture
Est le critique Dufaï ?
Où ? sur quelle maculature
Lalanne met-il sa rature ?
Où sont les plâtres de Dantan,
Le Globe et La Caricature ?
Mais où sont les neiges d'antan !

Où Venet, par le sort trahi,
A-t-il trouvé sa sépulture ?
Mirecourt s'est-il fait spahi ?
Mantz a-t-il une préfecture ?
Où sont les habits sans couture,
Et Malitourne et Pelletan ?
Où sont Clesinger et Couture ?
Mais où sont les neiges d'antan !

Où sont Rolle des Dieux haï,
Bataille, plus beau que nature,
Cochinat, qui fut envahi,
Tout vif, par la même teinture
Que jadis Toussaint-Louverture,
Et ce Rhéal qui mit Dante en
Français de maître d'écriture ?
Mais où sont les neiges d'antan !

Envoi

Ami, quelle déconfiture !
Tout s'en va, marchands d'orviétan
Et marchands de littérature :
Mais où sont les neiges d'antan !

Novembre 1856.


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Virelai à mes éditeurs



Barbanchu nargue la rime !
Je défends que l'on m'imprime !

La gloire n'était que frime ;
Vainement pour elle on trime,
Car ce point est résolu.
Il faut bien qu'on nous supprime :
Barbanchu nargue la rime !

Le cas enfin s'envenime.
Le prosateur chevelu
Trop longtemps fut magnanime.
Contre la lyre il s'anime,
Et traite d'hurluberlu
Ou d'un terme synonyme
Quiconque ne l'a pas lu.
Je défends que l'on m'imprime.

Fou, tremble qu'on ne t'abîme !
Rimer, ce temps révolu,
C'est courir vers un abîme,
Barbanchu nargue la rime !

Tu ne vaux plus un décime !
Car l'ennemi nous décime,
Sur nous pose un doigt velu,
Et, dans son chenil intime,
Rit en vrai patte-pelu
De nous voir pris à sa glu.
Malgré le monde unanime,
Tout prodige est superflu.
Le vulgaire dissolu
Tient les mètres en estime :
Il y mord en vrai goulu !
Bah ! pour mériter la prime,
Tu lui diras : Lanturlu !
Je défends que l'on m'imprime.

Molière au hasard s'escrime,
C'est un bouffon qui se grime ;
Dante vieilli se périme,
Et Shakspere nous opprime !
Que leur art jadis ait plu,
Sur la récolte il a plu,
Et la foudre pour victime
Choisit leur toit vermoulu.
C'était un régal minime
Que Juliette ou Monime !
Descends de ta double cime,
Et, sous quelque pseudonyme,
Fabrique une pantomime ;
Il le faut, il l'a fallu.
Mais plus de retour sublime
Vers Corinthe ou vers Solyme !
Ciseleur, brise ta lime,
Barbanchu nargue la rime !

Seul un réaliste exprime
Le Beau rêche et mamelu :
En douter serait un crime.
Barbanchu nargue la rime !
Je défends que l'on m'imprime.

Novembre 1856.


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Ballade des travers de ce temps



Prudhomme, fier de montrer son bon goût,
Quand il écrit des lettres, les cachète
D'un casque d'or où flotte un marabout ;
Camellia prend des airs de Nichette,
Et le docteur arbore une brochette.
Dès l'an passé, Montjoye eut ce travers
D'aller au bal en bottes à revers ;
Sur votre front Courbet met des verrues,
Nymphe aux yeux d'or, Sirène aux cheveux verts :
Voici le temps pour les coquecigrues.

Anges bouffis et vermeils, que partout
L'humble passant peut appeler : " Bichette, "
Dès que Plutus dresse quelque ragoût,
Cent Dalilas apportent leur fourchette.
Amour les guide au bruit de sa pochette.
Par le marteau forgé tout de travers,
C'est un jupon d'acier qui sert d'envers
Aux fiers appas de ces femmes ventrues,
Et ce rempart terrasse les pervers :
Voici le temps pour les coquecigrues.

On n'a plus d'or que pour Edmond About
Au Moniteur ainsi que chez Hachette ;
C'est pour lui seul que la marmite bout
Chez Désiré comme au Café Vachette ;
C'est lui qu'on prise et c'est lui qu'on achète.
Pourtant Venet écrit à l'Univers ;
Machin (du Tarn) dans des recueils divers
Offre au public des lignes incongrues,
Et Champfleury veut supprimer les vers :
Voici le temps pour les coquecigrues.

Envoi

Mon cher François, vers la Touraine et vers
Vos lys, mes chants volent aux bosquets verts.
Je sais qu'ils ont des rimes un peu crues :
C'est que depuis ces dix ou douze hivers,
Voici le temps pour les coquecigrues.

Juillet 1856.


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Monsieur Coquardeau



Chant Royal.

Roi des Crétins, qu'avec terreur on nomme,
Grand Coquardeau, non, tu ne mourras pas.
Lépidoptère en habit de Prudhomme,
Ta majesté t'affranchit du trépas,
Car tu naquis aux premiers jours du monde,
Avant les cieux et les terres et l'onde.
Quand le métal entrait en fusion,
Titan, instruit par une vision
Que son travail durerait la semaine,
Fondit d'abord, et par provision,
Le front serein de la Bêtise humaine.

On t'a connu dans Corinthe et dans Rome,
Et sous Colbert, comme sous Maurepas.
Mais sur tes yeux de vautour économe
Se courbait l'arc d'un sourcil plein d'appas,
Et le sommet de ta tête profonde
A resplendi sous la crinière blonde.
Que Gavarni tourne en dérision
Tes six cheveux ! Avec décision
Le démêloir en toupet les ramène :
Un Dieu scalpa, comme l'Occasion,
Le front serein de la Bêtise humaine.

Tu te rêvais député de la Somme
Dans les discours que tu développas,
Et, beau parleur grâce à ton majordome,
On te voit fier de tes quatre repas.
Lorsqu'en s'ouvrant ta bouche rubiconde
Verse au hasard les trésors de Golconde,
On cause bas, à ton exclusion,
Ou chacun rêve à son évasion.
Tu n'as jamais connu ce phénomène ;
Mais l'ouvrier doubla d'illusion
Le front serein de la Bêtise humaine.

Comme Pâris tu tiens toujours la pomme.
Dans ton salon, qu'ornent des Mazeppas.
On boit du lait et du sirop de gomme,
Et tu n'y peux, selon toi, faire un pas
Sans qu'à ta flamme une flamme réponde.
Dans tes miroirs tu te vois en Joconde.
Jamais pourtant, cur plein d'effusion,
Tu n'oublias ta chère infusion
Pour les rigueurs d'Iris ou de Climène.
L'espoir fleurit avec profusion
Le front serein de la Bêtise humaine.

à ton café, tu te dis brave comme
Un Perceval, et toi même écharpas
Le rude Arpin ; ta chiquenaude assomme.
Lorsque tu vas, les jambes en compas,
On croirait voir un héros de la Fronde,
Ou quelque preux, vainqueur de Trébizonde.
Mais, évitant avec précision
L'éclat fatal d'une collision,
Tu vis dodu comme un chapon du Maine,
Pour sauver mieux de toute lésion
Le front serein de la Bêtise humaine.

Envoi.

Prince des sots, un système qu'on fonde
à son aurore a soif de ta faconde.
Toi, tu vivais dans la prévision
Et dans l'espoir de cette invasion :
Le Réalisme est ton meilleur domaine,
Car il charma dès son éclosion
Le front serein de la Bêtise humaine.

Novembre 1856.


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Monselet d'automne



Pantoum.

L'automne est doux ; adieu, libraires !
L'oiseau chante dans le sillon.
Monselet dit à ses confrères :
" êtes-vous or pur ou billon ? "

L'oiseau chante dans le sillon,
Le ciel dans les vapeurs s'allume.
" êtes-vous or pur ou billon ?
Répondez, soldats de la plume. "

Le ciel dans les vapeurs s'allume :
Ma mie, il faut aller au bois.
" Répondez, soldats de la plume,
Ne parlez pas tous à la fois. "

Ma mie, il faut aller au bois,
Là-bas où la brise soupire.
" Ne parlez pas tous à la fois :
Lequel de vous est un Shakspere ? "

Là-bas où la brise soupire,
Il fait bon pour les curs souffrants :
" Lequel de vous est un Shakspere ?
Lequel est Balzac ? Soyez francs. "

Il fait bon pour les curs souffrants.
Sur la mousse je veux qu'on m'aime.
" Lequel est Balzac ? Soyez francs.
- " Balzac ? dit chacun, c'est moi-même. "

Sur la mousse je veux qu'on m'aime,
De la seule étoile aperçu.
- " Balzac ? dit chacun, c'est moi-même. "
Monselet rit comme un bossu.

De la seule étoile aperçu,
Qu'un baiser de feu me dévore !
Monselet rit comme un bossu.
Bon biographe, ris encore !

Qu'un baiser de feu me dévore !
Hélas ! le bonheur est si court !
Bon biographe, ris encore,
On n'entendra plus Mirecourt.

Hélas ! le bonheur est si court !
ô désirs vains et téméraires !
On n'entendra plus Mirecourt,
L'automne est doux : Adieu, libraires !

Septembre 1856.


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Réalisme



Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
Dans votre vêtement de toutes les saisons !
Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
Fleur de neige, ô Cypris ! toi, mère des sourires,
Dont le costume ancien, même après fructidor,
Se compose de lys avec des frisons d'or !
Et toi, rouge Apollon, dieu ! lumière ! épouvante !
Toi que Délos révère et que Ténédos vante,
Toi qui, dans ta fureur, lances au loin des traits
Et qu'à présent on force à faire des portraits,
Partisan des linons et des minces barèges,
Patron des fabricants d'ombrelles, qui protèges
Chryse, et qui ceins de feux la divine Cilla,
Regardez ce que font ces imbéciles-là !
Regardez ces farceurs en costume sylvestre !
Ils agitent leurs bras comme des chefs d'orchestre ;
Ils se sont tous grisés de bière chez Andler,
Et les voici qui vont graves, les yeux en l'air,
Rouges pourpres, dirait Mathieu, quant au visage,
Et curieux de voir un bout de paysage.
Ils plantent en cerceaux des manches à balais,
Et se disent : " Voilà des arbres, touchez-les ! "
Sur le bord d'un trottoir ils vident leur cuvette
En s'écriant : " La mer ! je vois une corvette ! "
Un singe passe au dos d'un petit Savoyard,
Ils murmurent : " Amis, saluons ce boyard ! "
Embusqués en troupeaux à l'angle de trois rues,
Sur les fronts des passants ils collent des verrues,
Puis, abordant leur homme avec un air poli :
" Monsieur, demandent-ils, ce nez est-il joli ?
Vous aimez les nez grecs, c'est là ce qui vous trompe !
Oh ! laissez-moi vous coudre à la place une trompe ! "
Celui-ci rencontrant Marinette ou Marton,
Lui met sur le visage un masque de carton ;
Celui-là vous arrête et vous souffle la panse,
Et répète : " Le beau n'est pas ce que l'on pense ! "
Bientôt, grâce à leurs soins d'artistes, autour d'eux
La foule a pris l'aspect d'un cauchemar hideux :
Ce ne sont qu'oriflans, caprimulges, squelettes,
Stryges entrechoquant leurs gueules violettes,
Mandragores, dragons, origes, loups-garous,
Tarasques ; c'est alors que le plus fort d'eux tous
Hurle, en s'échevelant comme un Ange rebelle :
" Par Ornans et le Doubs ! que la nature est belle ! "
Extasiés alors des sourcils à l'orteil,
Effarés, éblouis, prenant pour le soleil
La chandelle à deux sous que Margot leur allume,
Ils cherchent l'ébauchoir, les brosses ou la plume,
Et, comme Bilboquet pour le maire de Meaux,
Au lieu d'êtres humains, ils font des animaux
Encore non classés par les naturalistes :
Excusez-les, Seigneur, ce sont des réalistes !
Mais, puisqu'au lieu de lire un livre de crétin,
J'aime à sentir au bois les muguets et le thym ;
Puisque la foi nouvelle a des argyraspides
Qui heurtent leur fer-blanc ; puisque les moins stupides
De ce temps sont encor ceux qui tressent des lys,
ô Sminthée aux cheveux de flamme, et toi, Cypris !
Puisque je ne suis pas, moi charmé dans vos fêtes,
De l'avis de Gozlan, sur ce que les poètes
Durent un demi-siècle à peine ; puisque j'ai
Pour maîtres de bon sens Phyllis et Lalagé ;
Puisque j'aime bien mieux faire voler des bulles
De savon, que d'écrire une uvre aux Funambules,
Et puisque, même en grec, sans le père Brumoy,
Les Grecs valaient monsieur Chose, permettez-moi,
Au lieu de voir courir tous ces porteurs de chaînes,
De me coucher pensif sous l'ombrage des chênes !
Permettez-moi d'y vivre inutile, étendu
Sur l'herbe, m'enivrant d'un frisson entendu
Et d'admirer aussi la rose coccinelle,
Et d'aider seulement de ma voix fraternelle,
Cependant que rugit cette meute aux abois,
Le champignon sauvage à pousser dans les bois !

Janvier 1857.


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Méditation poétique et littéraire



On écrivait encore, en ces temps romantiques
Où les chants de Ducis étaient des émétiques,
Où, sans pourpoint cinabre, on se voyait banni,
Où Prudhomme, ravi de tomber avec grâce,
était jeté vivant dans une contre-basse
Pour avoir contesté les vers de Hernani.

On écrivait, tandis que maintenant on gèle.
Où sont les Antony, les Ruy-Blas, les Angèle,
Et ces jours, morts, hélas !
Où Frédérick, faisant revivre Aristophane,
Sous le mépris des sots et la robe d'un âne
Cachait Tragaldabas ?

On écrivait, au sein de l'antique Bohème
Où le chat de Mimi brillait sur le poème,
Où Schaunard éperdu, dédaignant tout poncif,
Si quelqu'un devant lui vantait sa pipe blonde,
Lui répondait : " J'en ai pour aller dans le monde
Une plus belle encore, " et devenait pensif.

Aujourd'hui Weill possède un bouchon de carafe,
Arsène a des maisons, Nadar est photographe,
Véron maître-saigneur,
Fournier construit des bricks de papier, et les mâte,
Henri La Madelène a fait du carton-pâte :
Lequel vaut mieux, Seigneur ?

Décembre 1856.


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à Augustine Brohan



Thalie, amante des grands curs,
Voix éloquente et vengeresse,
J'ai bu les amères liqueurs :
Prends mes chansons, bonne Déesse.

Berce-les au bruit des grelots !
Muse au beau front, nymphe homérique,
De ta lèvre coule à grands flots
Notre inspiration lyrique.

Ton rire, comme un clair soleil,
épanouit les gaîtés franches,
Pourpre vive, rosier vermeil,
éblouissement de dents blanches !

Que de fois, chancelant encor
Sous le mal dont je suis la proie,
Tes accents de cristal et d'or
M'ont rendu la force et la joie !

Oh ! que de fois j'ai mendié
L'enthousiasme et l'ironie
Sur le théâtre incendié
Par les éclairs de ton génie !

C'est pourquoi, ne dédaigne pas
Le pur diamant de mes rimes,
Nymphe, dont j'ai baisé les pas
Sur la neige des grandes cimes.

Car sur ton front céleste a lui
L'ardent rayon qui me déchire,
Et nous nous aimons en Celui
Qui nous a légué son martyre.

ô spectacle trois fois divin
De voir une telle écolière
Tremper sa bouche dans le vin
Dont s'enivra le grand Molière !

Toi qui le charmes au tombeau,
Thalie, Augustine, âme élue
Pour ce délire encor si beau,
L'Ode est ta sur, et te salue.

Septembre 1858.


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La Sainte Bohème



...Il chanta d'une voix tonnante à laquelle nous répondîmes en choeur : Vive la Bohême !
George Sand, La dernière Aldini.

Par le chemin des vers luisants,
De gais amis à l'âme fière
Passent aux bords de la rivière
Avec des filles de seize ans.
Beaux de tournure et de visage,
Ils ravissent le paysage
De leurs vêtements irisés
Comme de vertes demoiselles,
Et ce refrain, qui bat des ailes,
Se mêle au vol de leurs baisers :

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème !

Fronts hâlés par l'été vermeil,
Salut, bohèmes en délire !
Fils du ciseau, fils de la lyre,
Prunelles pleines de soleil !
L'aîné de notre race antique
C'est toi, vagabond de l'Attique,
Fou qui vécus sans feu ni lieu,
Ivre de vin et de génie,
Le front tout barbouillé de lie
Et parfumé du sang d'un dieu !

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème !

Pour orner les fouillis charmants
De vos tresses aventureuses,
Dites, les pâles amoureuses,
Faut-il des lys de diamants ?
Si nous manquons de pierreries
Pour parer de flammes fleuries
Ces flots couleur d'or et de miel,
Nous irons, voyageurs étranges,
Jusque sous les talons des anges
Décrocher les astres du ciel !

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème !

Buvons au problème inconnu
Et buvons à la beauté blonde,
Et, comme les jardins du monde,
Donnons tout au premier venu !
Un jour nous verrons les esclaves
Sourire à leurs vieilles entraves,
Et, les bras enfin déliés,
L'univers couronné de roses,
Dans la sérénité des choses
Boire aux Dieux réconciliés !

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème !

Nous qui n'avons pas peur de Dieu
Comme l'égoïste en démence,
Au-dessus de la ville immense
Regardons gaîment le ciel bleu !
Nous mourrons ! mais, ô souveraine !
ô mère ! ô Nature sereine !
Que glorifiaient tous nos sens,
Tu prendras nos cendres inertes
Pour en faire des forêts vertes
Et des bouquets resplendissants !

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème !

Juin 1847.


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Ballade de la vraie sagesse



Mon bon ami, poète aux longs cheveux,
Joueur de flûte à l'humeur vagabonde,
Pour l'an qui vient je t'adresse mes vux :
Enivre-toi, dans une paix profonde,
Du vin sanglant et de la beauté blonde.
Comme à Noël, pour faire réveillon
Près du foyer en flamme, où le grillon
Chante à mi-voix pour charmer ta paresse,
Toi, vieux Gaulois et fils du bon Villon,
Vide ton verre et baise ta maîtresse.

Chante, rimeur, ta Jeanne et ses grands yeux
Et cette lèvre où le sourire abonde ;
Et que tes vers à nos derniers neveux,
Sous la toison dont l'or sacré l'inonde,
La fassent voir plus belle que Joconde.
Les Amours nus, pressés en bataillon,
Ont des rosiers broyé le vermillon
Sur le beau sein de cette enchanteresse.
Ivre déjà de voir son cotillon,
Vide ton verre et baise ta maîtresse.

Une bacchante, aux bras fins et nerveux,
Sur les coteaux de la chaude Gironde,
Avec ses surs, dans l'ardeur de ses jeux,
Pressa les flancs de sa grappe féconde
D'où ce vin clair a coulé comme une onde.
Si le désir, aux yeux d'émerillon,
T'enfonce au cur son divin aiguillon,
Profites-en ; l'âme, disait la Grèce,
à pour nous fuir l'aile d'un papillon :
Vide ton verre et baise ta maîtresse.

Envoi

Ma muse, ami, garde le pavillon.
S'il est de pourpre, elle aime son haillon,
Et me répète à travers son ivresse,
En secouant son léger carillon :
Vide ton verre et baise ta maîtresse.

Décembre 1856.


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Le saut du tremplin



Clown admirable, en vérité !
Je crois que la postérité,
Dont sans cesse l'horizon bouge,
Le reverra, sa plaie au flanc.
Il était barbouillé de blanc,
De jaune, de vert et de rouge.

Même jusqu'à Madagascar
Son nom était parvenu, car
C'était selon tous les principes
Qu'après les cercles de papier,
Sans jamais les estropier
Il traversait le rond des pipes.

De la pesanteur affranchi,
Sans y voir clair il eût franchi,
Les escaliers de Piranèse.
La lumière qui le frappait
Faisait resplendir son toupet
Comme un brasier dans la fournaise.

Il s'élevait à des hauteurs
Telles, que les autres sauteurs
Se consumaient en luttes vaines.
Ils le trouvaient décourageant,
Et murmuraient : " Quel vif-argent
Ce démon a-t-il dans les veines ? "

Tout le peuple criait : " Bravo ! "
Mais lui, par un effort nouveau,
Semblait roidir sa jambe nue,
Et, sans que l'on sût avec qui,
Cet émule de la Saqui
Parlait bas en langue inconnue.

C'était avec son cher tremplin.
Il lui disait : " Théâtre, plein
D'inspiration fantastique,
Tremplin qui tressailles d'émoi
Quand je prends un élan, fais-moi
Bondir plus haut, planche élastique !

" Frêle machine aux reins puissants,
Fais-moi bondir, moi qui me sens
Plus agile que les panthères,
Si haut que je ne puisse voir
Avec leur cruel habit noir
Ces épiciers et ces notaires !

" Par quelque prodige pompeux,
Fais-moi monter, si tu le peux,
Jusqu'à ces sommets où, sans règles,
Embrouillant les cheveux vermeils
Des planètes et des soleils,
Se croisent la foudre et les aigles.

" Jusqu'à ces éthers pleins de bruit,
Où, mêlant dans l'affreuse nuit
Leurs haleines exténuées,
Les autans ivres de courroux
Dorment, échevelés et fous,
Sur les seins pâles des nuées.

" Plus haut encor, jusqu'au ciel pur !
Jusqu'à ce lapis dont l'azur
Couvre notre prison mouvante !
Jusqu'à ces rouges Orients
Où marchent des Dieux flamboyants,
Fous de colère et d'épouvante.

" Plus loin ! plus haut ! je vois encor
Des boursiers à lunettes d'or,
Des critiques, des demoiselles
Et des réalistes en feu.
Plus haut ! plus loin ! de l'air ! du bleu !
Des ailes ! des ailes ! des ailes ! "

Enfin, de son vil échafaud,
Le clown sauta si haut, si haut,
Qu'il creva le plafond de toiles
Au son du cor et du tambour,
Et, le cur dévoré d'amour,
Alla rouler dans les étoiles.

Février 1857.

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