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GaietésLa corde roide. La ville enchantée La belle Véronique Mascarades Premier soleil La voyageuse La corde roide.Du temps que j'en étais épris, Les lauriers valaient bien leur prix. à coup sûr on n'est pas un rustre Le jour où l'on voit imprimés Les poèmes qu'on a rimés : Heureux qui peut se dire illustre ! Moi-même un instant je le fus. J'ai comme un souvenir confus D'avoir embrassé la Chimère. J'ai mangé du sucre candi Dans les feuilletons du lundi : Ma bouche en est encore amère. Quittons nos lyres, érato ! On n'entend plus que le râteau De la roulette et de la banque ; Viens devant ce peuple qui bout Jouer du violon debout Sur l'échelle du saltimbanque ! Car, si jamais ses yeux vermeils Ne sont las de voir les soleils Sans baisser leurs fauves paupières, Le poète n'est pas toujours En train de réjouir les ours Et de civiliser les pierres. En vain les accords de sa voix Ont charmé les monstres ; parfois Loin des flots sacrés il émigre, Las, sinon guéri de prêcher L'amour aux côtes du rocher Et la douceur aux dents du tigre. Il se demande s'il n'est plus, Sous les vieux arbres chevelus De cette France que nous sommes, De l'Océan au pont de Kehl, Un déguisement sous lequel On puisse parler à des hommes ; Et, voulant protester du moins Devant les immortels témoins En faveur des Dieux qu'on renie, Quoique son âme soit ailleurs, Il te prend tes masques railleurs Et ton rire, ô sainte Ironie ! Alors, sur son triste haillon Il coud des morceaux de paillon, Pour que dans ce siècle profane, Fût-ce en manière de jouet, On lui permette encor le fouet De son aïeul Aristophane. Et d'une lieue on l'aperçoit En souliers rouges ! Mais qu'il soit Un héros sublime ou grotesque ; Ô Muse ! qu'il chasse aux vautours, Ou qu'il daigne faire des tours Sur la corde funambulesque, Tribun, prophète ou baladin, Toujours fuyant avec dédain Ces pavés que le passant foule, Il marche sur les fiers sommets Ou sur la corde ignoble, mais Au-dessus des fronts de la foule. Septembre 1856. Entrée du site / Haut de la page La ville enchantéeIl est de par le monde une cité bizarre, Où Plutus en gants blancs, drapé dans son manteau, Offre une cigarette à son ami Lazare, Et l'emmène souper dans un parc de Wateau. Les centaures fougueux y portent des badines ; Et les dragons, au lieu de garder leur trésor, S'en vont sur le minuit, avec des baladines, Faire un maigre dîner dans une maison d'or. C'est là que parle et chante avec des voix si douces, Un essaim de beautés plus nombreuses cent fois, En habit de satin, brunes, blondes et rousses, Que le nombre infini des feuilles dans les bois ! Ô pourpres et blancheurs ! neiges et rosiers ! L'une, En découvrant son sein plus blanc que la Jung-Frau, Cause avec Cyrano, qui revient de la lune, L'autre prend une glace avec Cagliostro. C'est le pays de fange et de nacre de perle ; Un tréteau sur les fûts du cabaret prochain, Spectacle où les décors sont peints par Diéterle, Cambon, Thierry, Séchan, Philastre et Despléchin ; Un théâtre en plein vent, où, le long de la rue, Passe, tantôt de face et tantôt de profil, Un mimodrame avec des changements à vue, Comme ceux de Gringore et du céleste Will. Là, depuis Idalie, où Cypris court sur l'onde Dans un coupé de nacre attelé d'un dauphin, Vous voyez défiler tous les pays du monde Avec un air connu, comme chez Séraphin. La Belle au bois dormant, sur la moire fleurie De la molle ottomane où rêve le chat Murr, Parmi l'air rose et bleu des feux de la féerie S'éveille après cent ans sous un baiser d'amour. La Chinoise rêveuse, assise dans sa jonque, Les yeux peints et les bras ceints de perles d'Ophir, D'un ongle de rubis rose comme une conque Agace sur son front un oiseau de saphir. Sous le ciel étoilé, trempant leurs pieds dans l'onde Que parfument la brise et le gazon fleuri, Et d'un bois de senteur couvrant leur gorge blonde, Dansent à s'enivrer les bibiaderi. Là, belles des blancheurs de la pâle chlorose, Et confiant au soir les rougeurs des aveux, Les vierges de Lesbos vont sous le laurier-rose S'accroupir dans le sable et causer deux à deux. La reine Cléopâtre, en sa peine secrète, Fière de la morsure attachée à son flanc, Laisse tomber sa perle au fond du vin de Crète, Et sa pourpre et sa lèvre ont des lueurs de sang. Voici les beaux palais où sont les hétaïres, Sveltes lys de Corinthe et roses de Milet, Qui, dans des bains de marbre, au chant divin des lyres, Lavent leurs corps sans tache avec un flot de lait. Au fond de ces séjours à pompe triomphale, Où brillent aux flambeaux les cheveux de maïs, Hercule enrubanné file aux genoux d'Omphale, Et Diogène dort sur le sein de Laïs. Salut, jardin antique, ô Tempé familière Où le grand Arouet a chanté Pompadour, Où passaient avant eux Louis et La Vallière, La lèvre humide encor de cent baisers d'amour ! C'est là que soupiraient aux pieds de la dryade, Dans la nuit bleue, à l'heure où sonne l'angelus, Et le jeune Lauzun, fier comme Alcibiade, Et le vieux Richelieu, beau comme Antinoüs. Mais ce qui me séduit et ce qui me ramène Dans la verdure, où j'aime à soupirer le soir, Ce n'est pas seulement Phyllis et Dorimène, Avec sa robe d'or que porte un page noir. C'est là que vit encor le peuple des statues Sous ses palais taillés dans les mélèzes verts, Et que le chur charmant des Nymphes demi-nues Pleure et gémit avec la brise des hivers. Les Naïades sans yeux regardent le grand arbre Pousser de longs rameaux qui blessent leurs beaux seins, Et, sur ces seins meurtris croisant leurs bras de marbre, Augmentent d'un ruisseau les larmes des bassins. Aujourd'hui les wagons, dans ces steppes fleuries, Devancent l'hirondelle en prenant leur essor, Et coupent dans leur vol ces suaves prairies, Sur un ruban de fer qui borde un chemin d'or. Ailleurs, c'est le palais où Diane se dresse Ayant sur son front pur la blancheur des lotus, Pour lequel Titien a donné sa maîtresse, Où Phidias a mis les siennes, ses Vénus ! Et maintenant, voici la coupole féerique Où, près des flots d'argent, sous les lauriers en fleurs, Le grand Orphée apporte à la Grèce lyrique La lyre que Sappho baignera dans les pleurs. Ô ville où le flambeau de l'univers s'allume ! Aurore dont l'il bleu, rempli d'illusions, Tourné vers l'Orient, voit passer dans sa brume Des foyers de splendeur étoilés de rayons ! Ce théâtre en plein vent bâti dans les étoiles, Où passent à la fois Cléopâtre et Lola, Où défile en dansant, devant les mêmes toiles, Un peuple chimérique en habit de gala ; Ce pays de soleil, d'or et de terre glaise, C'est la mélodieuse Athènes, c'est Paris, Eldorado du monde, où la fashion anglaise Importe deux fois l'an ses tweeds et ses paris. Pour moi, c'est dans un coin du salon d'Aspasie, Sur l'album éclectique où, parmi nos refrains, Phidias et Diaz ont mis leur fantaisie, Que je rime cette ode en vers alexandrins. Septembre 1845. Entrée du site / Haut de la page La belle Véronique
Ce fut un beau souper, ruisselant de surprises. Les rôtis, cuits à point, n'arrivèrent pas froids ; Par ce beau soir d'hiver, on avait des cerises Et du johannisberg, ainsi que chez les rois. Tous ces amis joyeux, ivres, fiers de leurs vices, Se renvoyaient les mots comme un clair tambourin ; Les dames, cependant, suçaient des écrevisses Et se lavaient les doigts avec le vin du Rhin. Après avoir posé son verre encore humide, Un tout jeune homme, épris de songes fabuleux, Beau comme Antinoüs, mais quelque peu timide, Suppliait dans un coin sa voisine aux yeux bleus. Ce fut un grand régal pour la troupe savante Que cette bergerie, et les meilleurs plaisants Se délectaient de voir un fou croire vivante Véronique aux yeux bleus, ce joujou de quinze ans. Mais l'heureux couple avait, parmi ce monde étrange, L'impassibilité des Olympiens ; lui, Savourant la démence et versant la louange, Elle, avalant sa perle avec un noble ennui. L'ardente causerie agitait ses crécelles Sur leurs têtes ; pourtant, quoi qu'il en pût coûter, Ils avaient les regards si chargés d'étincelles Que chacun à la fin se tut pour écouter. - " Vraiment ? jusqu'à mourir ! " s'écriait Véronique, En laissant flamboyer dans la lumière d'or Ses dents couleur de perle et sa lèvre ironique ; " Et si je vous disais : " Je veux le Koh-innor ? " (Elle jetait au vent sa tête fulgurante, Pareille à la toison d'une angélique miss Dont l'aile des steam-boats à la mer de Sorrente Emporte avec fierté les cargaisons de lys !) - " Chère âme, " répondit le rêveur sacrilège, " J'irais la nuit, tremblant d'horreur sous un manteau, Blême et pieds nus, voler ce talisman, dussé-je Ensuite dans le cur m'enfoncer un couteau. " Cette fois, par exemple, on éclata. Le rire, Sonore et convulsif, orageux et profond, Joyeux jusqu'à l'extase et gai jusqu'au délire, Comme un flot de cristal montait jusqu'au plafond. C'est un hôte ébloui, qui toujours nous invite. La fille d'ève eut seule un éclair de pitié ; Elle baisa les yeux de l'enfant, et bien vite Lui dit, en se penchant dans ses bras à moitié : - " Ami, n'emporte plus ton cur dans une orgie. Ne bois que du vin rouge, et surtout lis Balzac. Il fut supérieur en physiologie Pour avoir bien connu le fond de notre sac. Ici, comme partout, l'expérience est chère. Crois-moi, je ne vaux pas la bague de laiton Si brillante jadis à mon doigt de vachère, Dans le bon temps des gars qui m'appelaient Gothon ! " Novembre 1858. Entrée du site / Haut de la page Mascarades
Le Carnaval s'amuse ! Viens le chanter, ma Muse, En suivant au hasard Le bon Ronsard ! Et d'abord, sur ta nuque, En dépit de l'eunuque, Fais flotter tes cheveux Libres de nuds ! Chante ton dithyrambe En laissant voir ta jambe Et ton sein arrosé D'un feu rosé. Laisse même, ô Déesse, Avec ta blonde tresse, Le maillot des Keller Voler en l'air ! Puisque je congédie Les vers de tragédie, Laisse le décorum Du blanc peplum, La tunique et les voiles Semés d'un ciel d'étoiles, Et les manteaux épars à Saint-Ybars ! Que ses vierges plaintives, Catholiques ou juives, Tiennent des sanhédrins D'alexandrins ! Mais toi, sans autre insigne Que la feuille de vigne Et les souples accords De ton beau corps, Laisse ton sein de neige Chanter tout le solfège De ses accords pourprés, Mieux que Duprez ! Ou bien, mon adorée, Prends la veste dorée Et le soulier verni De Gavarni ! Mets ta ceinture, et plaque Sur le velours d'un claque Les rubans querelleurs Jonchés de fleurs ! Fais, sur plus de richesses Que n'en ont les duchesses, Coller jusqu'au talon Le pantalon ! Dans tes lèvres écloses Mets les cris et les poses Et les folles ardeurs Des débardeurs ! Puis, sans peur ni réserve, Réchauffant de ta verve Le mollet engourdi De Brididi, Sur tes pas fiers et souples Traînant cent mille couples, Montre-leur jusqu'où va La redowa, Et dans le bal féerique, Hurle un rhythme lyrique Dont tu feras cadeau à Pilodo ! Tapez, pierrots et masques, Sur vos tambours de basques ! Faites de vos grelots Chanter les flots ! Formidables orgies, Suivez sous les bougies Les sax aux voix de fer Jusqu'en enfer ! Sous le gaz de Labeaume, Hurrah ! suivez le heaume Et la cuirasse d'or De Mogador ! Et madame Panache, Dont le front se harnache De douze ou quinze bouts De marabouts ! Au son de la musette Suivez Ange et Frisette, Et ce joli poupon, Rose Pompon ! Et Blanche aux belles formes, Dont les cheveux énormes Ont été peints, je crois, Par Delacroix ! De même que la Loire Se promène avec gloire Dans son grand corridor D'argent et d'or, Sa chevelure rousse Coule, orgueilleuse et douce ; Elle épouvanterait Une forêt. Chantez, Musique et Danse ! Que le doux vin de France Tombe dans le cristal Oriental ! Pas de pudeur bégueule ! Amis ! la France seule Est l'aimable et divin Pays du vin ! Laissons à l'Angleterre Ses brouillards et sa bière ! Laissons-la dans le gin Boire le spleen ! Que la pâle Ophélie, En sa mélancolie, Cueille dans les roseaux Les fleurs des eaux ! Que, sensitive humaine, Desdémone promène Sous le saule pleureur Sa triste erreur ! Qu'Hamlet, terrible et sombre Sous les plaintes de l'ombre, Dise, accablé de maux : " Des mots ! des mots ! " Mais nous, dans la patrie De la galanterie, Gardons les folles murs Des gais rimeurs ! Fronts couronnés de lierre, Gardons l'or de Molière, Sans prendre le billon De Crébillon ! C'est dans notre campagne Que le pâle champagne Sur les coteaux d'Aï Mousse ébloui ! C'est sur nos tapis d'herbe Que le soleil superbe Pourpre, frais et brûlants, Nos vins sanglants ! C'est chez nous que l'on aime Les verres de Bohême Qu'emplit d'or et de feu Le sang d'un Dieu ! Donc, ô lèvres vermeilles, Buvez à pleines treilles Sur ces coteaux penchants, Pères des chants ! Poésie et Musique, Chantez l'amour physique Et les curs embrasés Par les baisers ! Chantons ces jeunes femmes Dont les épithalames Attirent vers Paris Tous les esprits ! Chantons leur air bravache Et leur corset sans tache Dont le souple basin Moule un beau sein ; Leur col qui se chiffonne Sur leur robe de nonne, Leurs doigts collés aux gants Extravagants ; Leur chapeau dont la grâce Pour toujours embarrasse, Avec son air malin, Vienne et Berlin ; Leurs peignoirs de barège Et leurs jupes de neige Plus blanches que les lys D'Amaryllis ; Leurs épaules glacées, Leurs bottines lacées Et leurs jupons tremblants Sur leurs bas blancs ! Chantons leur courtoisie ! Car ni l'Andalousie, Ni Venise, les yeux Dans ses flots bleus, Ni la belle Florence Où, dans sa transparence, L'Arno prend les reflets De cent palais, Ni l'odorante Asie, Qui, dans sa fantaisie, Tient d'un doigt effilé Le narghilé, Ni l'Allemagne blonde Qui, sur le bord de l'onde, Ceint des vignes du Rhin Son front serein, N'ont dans leurs rêveries Vu ces lèvres fleuries, Ces croupes de coursier, Ces bras d'acier, Ces dents de bête fauve, Ces bras faits pour l'alcôve, Ces grands ongles couleur De rose en fleur, Et ces amours de race Qu'Anacréon, Horace Et Marot enchantés, Eussent chantés ! Janvier 1846. Entrée du site / Haut de la page Premier soleilItalie, Italie, ô terre où toutes choses Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins ! Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses Des sorbets à la neige et des ballets divins ! Terre où le doux langage est rempli de diphthongues ! Voici qu'on pense à toi, car voici venir mai, Et nous ne verrons plus les redingotes longues Où tout parfait dandy se tenait enfermé. Sourire du printemps, je t'offre en holocauste Les manchons, les albums et le pesant castor. Hurrah ! gais postillons, que les chaises de poste Volent, en agitant une poussière d'or ! Les lilas vont fleurir, et Ninon me querelle, Et ce matin j'ai vu mademoiselle Ozy Près des Panoramas déployer son ombrelle : C'est que le triste hiver est bien mort, songez-y ! Voici dans le gazon les corolles ouvertes, Le parfum de la sève embaumera les soirs, Et devant les cafés, des rangs de tables vertes Ont par enchantement poussé sur les trottoirs. Adieu donc, nuits en flamme où le bal s'extasie ! Adieu, concerts, scotishs, glaces à l'ananas ; Fleurissez maintenant, fleurs de la fantaisie, Sur la toile imprimée et sur le jaconas ! Et vous, pour qui naîtra la saison des pervenches, Rendez à ces zéphyrs que voilà revenus, Les légers mantelets avec les robes blanches, Et dans un mois d'ici vous sortirez bras nus ! Bientôt, sous les forêts qu'argentera la lune, S'envolera gaîment la nouvelle chanson ; Nous y verrons courir la rousse avec la brune, Et Musette et Nichette avec Mimi Pinson ! Bientôt tu t'enfuiras, ange Mélancolie, Et dans le Bas-Meudon les bosquets seront verts. Débouchez de ce vin que j'aime à la folie, Et donnez-moi Ronsard, je veux lire des vers. Par ces premiers beaux jours la campagne est en fête Ainsi qu'une épousée, et Paris est charmant. Chantez, petits oiseaux du ciel, et toi, poète, Parle ! nous t'écoutons avec ravissement. C'est le temps où l'on mène une jeune maîtresse Cueillir la violette avec ses petits doigts, Et toute créature a le cur plein d'ivresse, Excepté les pervers et les marchands de bois ! Avril 1854. Entrée du site / Haut de la page La voyageuse
Masques et visages... Gavarni. à Caroline Letessier. Au temps des pastels de Latour ... Au fait, vous avez donc été ... I Au temps des pastels de Latour, Quand l'enfant-dieu régnait au monde Par la grâce de Pompadour, Au temps des beautés sans seconde ; Au temps féerique où, sans mouchoir, Sur les lys que Lancret dessine Le collier de taffetas noir Lutte avec la mouche assassine ; Au temps où la Nymphe du vin Sourit sous la peau de panthère, Au temps où Wateau le divin Frète sa barque pour Cythère ; En ce temps fait pour les jupons, Les plumes, les rubans, les ganses, Les falbalas et les pompons ; En ce beau temps des élégances, Enfant blanche comme le lait, Beauté mignarde, fleur exquise, Vous aviez tout ce qu'il fallait Pour être danseuse ou marquise. Ces bras purs et ce petit corps, Noyés dans un frou-frou d'étoffes, Eussent damné par leurs accords Les abbés et les philosophes. Vous eussiez aimé ces bichons Noirs et feu, de race irlandaise, Que l'on porte dans les manchons Et que l'on peigne et que l'on baise. La neige au sein, la rose aux doigts, Boucher vous eût peinte en Diane Montrant sa cuisse au fond du bois Et pliant comme une liane, Et Clodion eût fait de vous Une provocante faunesse Laissant mûrir au soleil roux Les fruits pourprés de sa jeunesse ! Car sur les lèvres vous avez La malicieuse ambroisie De tous ces paradis rêvés Au siècle de la fantaisie, Et, nonchalante Dalila, Vous plaisez par la morbidesse D'une nymphe de ce temps-là, Moitié nonne et moitié déesse. Vos cheveux aux bandeaux ondés Récitent de leur onde noire Des madrigaux dévergondés à votre visage d'ivoire, Et, ravis de ce front si beau, Comme de vertes demoiselles, Tous les enfants porte-flambeau Vous suivent en battant des ailes. Tous ces petits culs-nus d'Amours, Groupés sur vos pas, Caroline, Ont soin d'embellir vos atours Et d'enfler votre crinoline, Et l'essaim des Jeux et des Ris, Doux vol qui folâtre et se joue, Niche sous la poudre de riz Dans les roses de votre joue. Vos sourcils touffus, noirs, épais, Ont des courbes délicieuses Qui nous font songer à la paix Sous les forêts silencieuses, Et les écharpes de vos cils Semblent avoir volé leurs franges à la terre des alguazils, Des manolas et des oranges. II Au fait, vous avez donc été, Loin de nos boulevards moroses, Pendant tout ce dernier été, Sous les buissons de lauriers-roses ? Le fier soleil du Portugal Vous tendait sa lèvre obstinée Et faisait son meilleur régal Avec votre peau satinée. Mais vous, tordant sur l'éventail Vos petits doigts aux blancheurs mates Vous découpiez Scribe en détail Pour les rois et les diplomates ; Et, digne d'un art sans rivaux, Pour charmer les chancelleries, Vous avez traduit Marivaux En mignonnes espiègleries. C'est au mieux ! L'astre des cieux clairs Qui fait grandir le sycomore Vous a donné des jolis airs De Bohémienne et de More. Vous avez pris, toujours riant, Dans cet éternel jeu de barres, La volupté de l'Orient Et le goût des bijoux barbares, Et vous rapportez à Paris, Ville de toutes les décences, Les molles grâces des houris Ivres de parfums et d'essences. C'est bien encor ! même à Turin Menez Clairville, puisqu'on daigne Nous demander un tambourin La-bàs, chez le roi de Sardaigne. Mais pourtant ne nous laissez pas Nous consumer dans les attentes ! Arrêtez une fois vos pas Chez nous, et plantez-y vos tentes. Tout franc, pourquoi mettre aux abois Cet éden, où le lion dîne Chaque jour de la biche au bois Et soupe de la musardine ? Valets de cur et de carreau Et boyards aux fourrures d'ourses, Loin de vous, sachez-le, Caro, Tout s'ennuie, au bal comme aux courses. Vous nous disputez les rayons Avec des haines enfantines, Et jamais plus nous ne voyons Que les talons de vos bottines. Songez-y ! Vous cherchez pourquoi Ma muse, qui n'est pas méchante, M'ordonne de me tenir coi Et ne veut plus que je vous chante ? C'est que vos regards inhumains Ont partout des intelligences, Et tout le long des grands chemins Vont arrêter les diligences. Février 1858. |