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Théodore de Banville

Les Cariatides 1839-1842

Livre deuxième


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puce Amours d'élise
puce Phyllis
puce Songe d'hiver
puce Clymène
puce La nuit de printemps
puce Ceux qui meurent et ceux qui combattent
puce La renaissance
puce Trois femmes à la tête blonde...
puce La déesse
puce Sachons adorer...
puce Idolâtrie
puce Même en deuil pour cent trahisons...
puce Amour angélique
puce Loys
puce Bien souvent je revois..
puce Leïla
puce Vénus couchée
puce Pourquoi, courtisane...
puce Le stigmate
puce Prosopopée d'une Vénus
puce L'auréole
puce Les imprécations d'une cariatide

Clymène
 


... kallísphuron Ocheanínaen
Ægágeto Kluménaen...
Hésiode, Théogonie.
 


L'Aurore enveloppait dans une clarté rose
Le vallon gracieux que le Pénée arrose,
Et les arbres touffus, et la brise et les flots
Se redisaient au loin d'harmonieux sanglots.
Près du fleuve pleurait, parmi les hautes herbes,
Une Nymphe étendue. à ses regards superbes,
à ses bras vigoureux et vers le ciel ouverts,
à ses grands cheveux blonds marbrés de reflets verts,
On eût pu reconnaître une fille honorée
De Doris aux beaux yeux et du sage Nérée.
Ses cheveux dénoués se déroulaient épars,
Et ses pleurs sur son corps tombaient de toutes parts.
ô trop bel Iolas ! insensé, disait-elle,
Pourquoi dédaignes-tu l'amour d'une immortelle ?
Guidé par ta fureur, sans écouter ma voix,
Tu vas, chasseur cruel, ensanglanter les bois.
Enfant ! je ne suis pas une blonde sirène
Dont les chants radieux pendant la nuit sereine
égarent le pilote au milieu des roseaux.
Hélas ! j'ai bien souvent, sur l'azur de ces eaux,
Avec mes jeunes surs, Nymphes aux belles joues,
Folâtré près de toi dans l'onde où tu te joues,
Et pour ton fleuve bleu quitté nos océans !
Bien souvent, pour te voir, j'ai sur les monts géants
Porté le long carquois des jeunes chasseresses,
Et, livrant aux zéphyrs tous mes cheveux en tresses,
Comme font les enfants de l'antique Ilion,
Jeté sur mon épaule une peau de lion.
Bien souvent, nue, en chur j'ai conduit sous ces arbres
Les Nymphes du vallon aux poitrines de marbres ;
Mais sous les flots d'azur, aux grands bois, dans les champs,
Jamais tu n'es venu pour écouter mes chants.
Et cependant, ainsi que les nymphes des plaines,
J'avais pour toi des lys dans mes corbeilles pleines ;
Mais tu les refusais, et la seule Phyllis
Peut jeter devant toi ses chansons et ses lys.
Quand je t'ai tout offert, tu gardais tout pour elle.
Et pourtant de nous deux quelle était la plus belle !
Souvent dans nos palais j'ai vu le flot, moins prompt,
Frémir joyeusement de réfléchir mon front ;
Sur un sein éclatant mon cou veiné s'incline,
Un sang pur a pourpré ma lèvre coralline,
Le ciel rit dans mes yeux, et les divins amants
Autrefois m'appelaient Clymène aux pieds charmants.
Ami ! viens avec moi. Nos surs les Néréides
T'ouvriront sur mes pas leurs demeures splendides,
Et, près des cygnes purs, dans leurs ébats joyeux,
Nageront, se plaisant à réjouir tes yeux.
Là, comme les grands Dieux, dans nos chastes délires
Nous savons marier nos voix aux voix des lyres,
Ou verser le nectar dans les vases dorés ;
Et l'onde, en se jouant près de nos bras nacrés,
Songe encore aux blancheurs de l'Anadyomène.
Oh ! désarme pour moi ta froideur inhumaine ;
Viens ! si tu ne veux pas que sous ces arbrisseaux
Mes yeux voilés de pleurs se changent en ruisseaux
Ou que tordant mes bras divins, comme Aréthuse,
Je meure, en exhalant une plainte confuse.
Mais, hélas ! l'écho seul répond à mes accords ;
Le soleil rougissant a desséché mon corps
Depuis que je t'attends de tes lointaines courses,
Et mes yeux étoilés pleurent comme deux sources.
Ainsi Clymène, offerte au courroux de Vénus,
Disait sa plainte amère ; et les surs de Cycnus
Pleuraient des larmes d'ambre, et les gouffres du fleuve
Pleuraient, et la fleur vierge, et la colombe veuve,
Et la jeune Dryade en tordant ses rameaux,
Pleuraient et gémissaient avec d'étranges mots.
Et lorsque vint la nuit ramener sa grande ombre,
Où scintille Phbé, sur des astres sans nombre,
Au sein des flots troublés et grossis de ses pleurs,
Triste, elle disparut en arrachant des fleurs.

Juillet 1842.


La nuit de printemps

If we shadows have offended,
Think but this, (and all is mended)
That you have but slumber'd here,
While these visions did appear ;
And this weak and idle theme,
No more yielding but a dream
Gentles, do not reprehend ;
If you pardon, we will mend.

Shakspere, Midsummer-night's dream, acte V, scène II.


C'était la veille de Mai
Un soir souriant de fête,
Et tout semblait embaumé
D'une tendresse parfaite.

De son lit à baldaquin,
Le Soleil sur son beau globe
Avait l'air d'un Arlequin
étalant sa garde-robe,

Et sa sur au front changeant,
Mademoiselle la Lune
Avec ses grands yeux d'argent
Regardait la Terre brune,

Et du ciel, où, comme un roi,
Chaque astre vit de ses rentes,
Contemplait avec effroi
Le lac aux eaux transparentes.

Comme, avec son air trompeur,
Colombine, qu'on attrape,
à la fin du drame a peur
De tomber dans une trappe.

Tous les jeunes Séraphins,
à cheval sur mille nues,
Agaçaient de regards fins
Leurs comètes toutes nues.

Sur son trône, le bon Dieu,
Devant qui le lys foisonne,
Comme un seigneur de haut lieu
Que sa grandeur emprisonne,

à ces intrigues d'enfants
N'ayant pas daigné descendre,
Les laissait, tout triomphants,
Le tromper comme un Cassandre.

Or, en même temps qu'aux cieux,
C'était comme un grand remue-
Ménage délicieux,
Sur la pauvre terre émue.

Des Sylphes, des Chérubins,
S'occupaient de mille choses,
Et sous leurs fronts de bambins
Roulaient de gros yeux moroses.

Quel embarras, disaient-ils
Dans leurs langages superbes ;
à ces fleurs pas de pistils,
Pas de bleuets dans ces herbes !

Dans ce ciel pas de saphirs,
Pas de feuilles à ces arbres !
Où sont nos frères Zéphyrs
Pour embaumer l'eau des marbres ?

Hélas ! comment ferons-nous ?
Nous méritons qu'on nous tance ;
Le bon Dieu sur nos genoux
Va nous mettre en pénitence !

Car hier au bal dansant,
Où, sorti pour ses affaires,
Il mariait en passant
Deux Soleils avec leurs Sphères,

Nous avons de notre main
Promis sur le divin cierge
Son mois de mai pour demain
à notre dame la Vierge !

Hélas ! jamais tout n'ira
Comme à la saison dernière,
Bien sûr on nous punira
De l'école buissonnière.

Pour ce Mai qu'on nous promet
Ils versent des pleurs de rage,
Et vite chacun se met
à commencer son ouvrage.

Penchés sur les arbrisseaux,
Les uns, au milieu des prées,
Avec de petits pinceaux
Peignent les fleurs diaprées,

Et, de face ou de profil,
Après les branches ouvertes
Attachent avec un fil
De petites feuilles vertes.

Les autres au papillon
Mettent l'azur de ses ailes,
Qu'ils prennent sur un rayon
Peint des couleurs les plus belles.

Des Ariels dans les cieux,
Assis près de leurs amantes,
Agitent des miroirs bleus
Au-dessus des eaux dormantes.

Sur la vague aux cheveux verts
Les Ondins peignent la moire,
Et lui serinent des vers
Trouvés dans un vieux grimoire.

Les Sylphes blonds dans son vol
Arrêtent l'oiseau qui chante,
Et lui disent : Rossignol,
Apprends ta chanson touchante ;

Car il faut que pour demain
On ait la chanson nouvelle.
Puis le cahier d'une main,
De l'autre ils lui tiennent l'aile

Et ceux-là, portant des fleurs
Et de jolis flacons d'ambre,
S'en vont, doux ensorceleurs,
Voir mainte petite chambre,

Où mainte enfant, lys pâli,
écoute, endormie et nue,
Fredonner un bengali
Dans son âme d'ingénue.

Ils étendent en essaim
Mille roses sur sa lèvre,
Un peu de neige à son sein,
Dans son cur un peu de fièvre.

Aucun ne sera puni,
La Vierge sera contente :
Car nous avons tout fourni,
Ce qui charme et ce qui tente !

Et Sylphes, et Chérubins,
Ce joli torrent sans digue,
Vont se délasser aux bains
Du bruit et de la fatigue.

Dieu soit béni, disent-ils,
Nous avons fini la chose !
Aux fleurs voici les pistils,
Des parfums, du satin rose ;

Au papillon bleu son vol,
Aux bois rajeunis leur ombre,
Son doux chant au rossignol
Caché dans la forêt sombre !

Voici leur saphir aux cieux
Dans la lumière fleurie,
à l'herbe ses bleuets bleus,
Pour que la Vierge sourie !

Mais ce n'est pas tout encor,
Car ils me disent : Poète !
Voilà mille rimes d'or,
Pour que tu sois de la fête.

Prends-les, tu feras des chants
Que nous apprendrons aux roses,
Pour les dire lorsqu'aux champs
Elles s'éveillent mi-closes.

Et certes mon rêve ailé
Eût fait une hymne bien belle
Si ce qu'ils m'ont révélé
Fût resté dans ma cervelle.

Ils murmuraient, Dieu le sait,
Des rimes si bien éprises !
Mais le Zéphyr qui passait
En passant me les a prises !

Avril 1842.

 

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