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Théodore de Banville

Les Cariatides 1839-1842

Livre deuxième


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puce Livre premier
puce Livre deuxième
puce Livre troisième
 
puce Amours d'élise
puce Phyllis
puce Songe d'hiver
puce Clymène
puce La nuit de printemps
puce Ceux qui meurent et ceux qui combattent
puce La renaissance
puce Trois femmes à la tête blonde...
puce La déesse
puce Sachons adorer...
puce Idolâtrie
puce Même en deuil pour cent trahisons...
puce Amour angélique
puce Loys
puce Bien souvent je revois..
puce Leïla
puce Vénus couchée
puce Pourquoi, courtisane...
puce Le stigmate
puce Prosopopée d'une Vénus
puce L'auréole
puce Les imprécations d'une cariatide

La renaissance
 


Ameine avecques toy la Cyprienne sainte...
Ronsard, églogue II.

On a dit qu'une vierge à la parure d'or
Sur l'épaule des flots vint de Cypre à Cythère,
Et que ses pieds polis, en caressant la terre,
à chacun de ses pas laissèrent un trésor.

L'oiseau vermeil, qui chante en prenant son essor,
Emplit d'enchantements la forêt solitaire,
Et les ruisseaux glacés où l'on se désaltère,
Sentirent dans leurs flots plus de fraîcheur encor.

La fleur s'ouvrit plus pure aux baisers de la brise,
Et sous les myrtes verts, la vierge plus éprise
Releva dans ses bras son amant à genoux.

De même quand plus tard, autre Anadyomène,
La Renaissance vint, et rayonna sur nous,
Toute chose fleurit au fond de l'âme humaine.

Juin 1842.

 


Trois femmes à la tête blonde...
 


Trois femmes à la tête blonde
Pour une mission féconde
Ont rayonné sur notre monde :

ève, la Joie et la Beauté ;
Maria, la Virginité ;
Madeleine, la Charité.

Parfumés comme des calices,
Dans la clarté, leurs cheveux lisses
Versent d'éternelles délices.

Juin 1842.

 


La déesse
 


Quand au matin ma déesse s'habille
D'un riche or crespe ombrageant ses talons...
Ronsard, Amours, livre I.

Quand les trois déités à la charmante voix
Aux pieds du blond Pâris mirent leur jalousie,
Pallas dit à l'enfant : Si ton cur m'a choisie,
Je te réserverai de terribles exploits.

Junon leva la tête, et lui dit : Sous tes lois
Je mettrai, si tu veux, les trônes de l'Asie,
Et tu dérouleras ta riche fantaisie
Sur les fronts inclinés des peuples et des rois.

Mais celle devant qui pâlissent les étoiles
Inexorablement détacha ses longs voiles
Et montra les splendeurs sereines de son corps.

Et toi lèvre éloquente, ô raison précieuse,
ô Beauté, vision faite de purs accords,
Tu le persuadas, grande silencieuse !

Juin 1842.

 


Sachons adorer...
 


Sachons adorer ! Sachons lire !
La Coupe, le Sein et la Lyre
Nous donnent le triple délire.

Symbole dont le fier dessin
Fut jadis moulé sur le Sein,
La Coupe inspire un grand dessein.

La Lyre, voix de l'Ionie,
Que le vulgaire admire et nie,
Contient la céleste harmonie.

Juin 1842.

 


Idolâtrie
 


Les sociétés polies, mais idolâtres,
de Rome et d'Athènes,
ignoraient la céleste dignité de la femme,
révélée plus tard aux hommes
par le Dieu qui voulut naître d'une fille d'ève.

Victor Hugo, Littérature et Philosophie mêlées.

Mètre divin, mètre de bonne race,
Que nous rapporte un poète nouveau,
Toi qui jadis combattais pour Horace,
Rhythme de Sappho !

Fais-moi fléchir la belle nymphe éprise
Que je désire avec un doux émoi,
Quoique son cur pour Diane méprise
Et Vénus et moi !

Car chaque nuit, les Grâces, troupe nue,
Viennent baiser, dans un céleste accord,
Son chaste sein, lorsque cette ingénue
Lydia s'endort.

Si folâtrant avec les chasseresses,
Elle s'ébat dans vos flots querelleurs,
Oh ! faites-lui vos plus folles caresses,
Naïades en pleurs !

Inspire-moi, toi qui portes la lyre,
Toi dont le char devance l'aquilon,
Des chants que brûle un amoureux délire,
Phbus Apollon !

Et toi, Cypris, veux-tu la prendre au piège ?
Alors je t'offre avec un myrte vert
Des tourtereaux plus blancs que n'est la neige
Ou le lys ouvert !

Juin 1842.
 


Même en deuil pour cent trahisons...
 


Même en deuil pour cent trahisons,
à vos soleils nous embrasons
Nos curs meurtris, jeunes saisons !

ô premières roses trémières !
ô premières amours ! Premières
Aurores, aux riches lumières !

Malgré l'hiver et les autans,
Ressuscitent, vainqueurs du temps,
Vos étés aux cheveux flottants !

Juin 1842.

 


Amour angélique
 

Oh ! l'amour ! dit-elle,
- et sa voix tremblait et son il rayonnait, -
c'est être deux et n'être qu'un.
Un homme et une femme qui se fondent en un ange,
c'est le ciel.

Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, liv.II, chap.VII.

L'ange aimé qu'ici-bas je révère et je prie
Est une enfant voilée avec ses longs cheveux,
à qui le ciel, pour qu'elle nous sourie,
A donné le regard de la vierge Marie.

âme que l'azur expatrie
Pour qu'elle recueille nos vux,
Jeune âme limpide et fleurie
Comme les fleurs de la prairie
Aux calices roses ou bleus !

Comme l'autre éloa, c'est la sur des archanges,
Qui pour nous faire vivre aux mystiques amours,
A quitté les blondes phalanges
Et souille ses pieds blancs à parcourir nos fanges.

Aussi nos ferveurs sont étranges :
Ce sont des rêves sans détours,
Ce sont des plaisirs sans mélanges,
Des extases et des échanges
Qui dureront plus que les jours !

C'est un chemin frayé plein d'une douce joie,
Un vase de parfums, une coupe de miel,
Un météore qui flamboie
Comme un beau chérubin dans sa robe de soie.

Il ne craint pas que Dieu le voie :
C'est un amour pur et sans fiel
Où toute notre âme se noie
Et dont l'aile ne se déploie
Que pour s'élancer vers le ciel !

Juin 1842.

 


Loys
 


Elle cueille des marguerites et les effeuille pour s'assurer de l'amour de Loys.
Théophile Gautier, Giselle, acte I, scène IV.

Mon Loys, j'ai sous vos prunelles,
Oublié, dans mon cur troublé,
Mon époux qui s'en est allé
Pour combattre les infidèles.
Quand nous le croirons loin encor,
Il sera là, Dieu nous pardonne !
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

J'ai lu dans un ancien poème
Qu'une autre Yolande autrefois
Près de son page Hector de Foix
Oublia son époux de même.
Elle gardait comme un trésor
Ces extases que l'amour donne. -
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Cette Yolande était duchesse,
Mille vassaux étaient son bien,
Et son bel ami n'avait rien
Que ses cheveux blonds pour richesse.
Pour cet enfant aux cheveux d'or
La dame eût vendu sa couronne. -
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Ces amants qu'un doux rêve assemble,
Ont souvent passé plus d'un jour
à se dire des chants d'amour,
Ou bien à regarder ensemble
Les oiseaux prendre leur essor
Vers l'azur qui tremble et frissonne. -
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Ou bien ils passaient leurs journées
à revoir d'auréoles ceints
Les bonnes Vierges et les Saints
Dans les Bibles enluminées.
L'Amour dit son confiteor
Sans écouter l'heure qui sonne. -
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Comme leurs lèvres en délire
Un soir longuement s'assemblaient,
En des baisers qui ressemblaient
Aux frémissements d'une lyre,
On entendit au corridor
Les pas de l'époux en personne. -
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Sais-tu quel sort on nous destine ?
Le malheureux page exilé,
Plein d'un regret inconsolé,
Alla mourir en Palestine.
Toujours pleurant son cher Hector,
La dame au couvent mourut nonne. -
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Février 1841.

 


Bien souvent je revois...
 


Bien souvent je revois sous mes paupières closes,
La nuit, mon vieux Moulins bâti de briques roses,
Les cours tout embaumés par la fleur du tilleul,
Ce vieux pont de granit bâti par mon aïeul,
Nos fontaines, les champs, les bois, les chères tombes,
Le ciel de mon enfance où volent des colombes,
Les larges tapis d'herbe où l'on m'a promené
Tout petit, la maison riante où je suis né
Et les chemins touffus, creusés comme des gorges,
Qui mènent si gaiement vers ma belle Font-Georges,
à qui mes souvenirs les plus doux sont liés.
Et son sorbier, son haut salon de peupliers,
Sa source au flot si froid par la mousse embellie
Où je m'en allais boire avec ma sur Zélie,
Je les revois ; je vois les bons vieux vignerons
Et les abeilles d'or qui volaient sur nos fronts,
Le verger plein d'oiseaux, de chansons, de murmures,
Les pêchers de la vigne avec leurs pêches mûres,
Et j'entends près de nous monter sur le coteau
Les joyeux aboiements de mon chien Calisto !

Septembre 1841.
 


Leïla
 


Tu as loué Leïla en rimes qui,
par leur enchaînement,
donnent l'idée d'une étoffe rayée d'Yémen.

Traduction d'un poème arabe, Notes des Orientales.

Il semble qu'aux sultans Dieu même
Pour femmes donne ses houris.
Mais, pour moi, la vierge qui m'aime,
La vierge dont je suis épris, -

Les sultanes troublent le monde
Pour accomplir un de leurs vux. -
La vierge qui m'aime est plus blonde
Que les sables sous les flots bleus.

Le duvet où leur front sommeille
Au poids de l'or s'amoncela. -
Rose, une rose est moins vermeille
Que la bouche de Leïla.

Elles ont la ceinture étroite,
Les perles d'or et le turban. -
Sa taille flexible est plus droite
Que les cèdres du mont Liban !

Le hamac envolé se penche
Et les berce en son doux essor. -
L'étoile au front des cieux est blanche,
Mais sa joue est plus blanche encor.

Elles ont la fête nocturne
Aux lueurs des flambeaux tremblants. -
Ses bras comme des anses d'urne
S'arrondissent polis et blancs.

Elles ont de beaux bains de marbre
Où sourit le ciel étoilé. -
Comme elle dormait sous un arbre,
J'ai vu son beau sein dévoilé.

Chaque esclave au tyran veut plaire
Comme chaque fleur au soleil. -
Elle n'a pas eu de colère
Quand j'ai troublé son cher sommeil,

Dans leurs palais d'or, prisons closes,
Leurs chants endorment leurs ennuis. -
Elle m'a dit tout bas des choses
Que je rêve tout haut les nuits !

Sa Hautesse les a d'un signe.
Il est le seul et le premier. -
Ses bras étaient comme la vigne
Qui s'enlace aux bras du palmier !

Quand un seul maître a cent maîtresses,
Un jour n'a pas de lendemain. -
Elle m'inondait de ses tresses
Pleines d'un parfum de jasmin !

Ce sont cent autels pour un prêtre,
Ou pour un seul char cent essieux. -
Nous avons cru voir apparaître
La neuvième sphère des cieux !

Quelquefois les sultanes lèvent
Un coin de leur voile en passant. -
Nous avions l'extase que rêvent
Les élus du Dieu tout-puissant !

Mais ce crime est la perte sûre
Des amants, toujours épiés. -
Laissez-moi baiser sa chaussure
Et mettre mon front sous ses pieds !

Février 1841.

 


Vénus couchée
 


D'un plus hault vol, d'aile mieux emplumée
Ne la pouuoit rauir ce petit Dieu ;
Et ne pouuoit encor' en plus hault lieu,
Ny en plus seur sa flamme estre allumée.
Ioachim Du Bellay, Inscriptions.

L'été brille ; Phbus perce de mille traits,
En haine de sa sur, les vierges des forêts,
Et dans leurs flancs brûlés de flammes vengeresses
Il allume le sang des jeunes chasseresses.
Dans les sillons rougis par les feux de l'été,
Entouré d'un essaim, le buf ensanglanté
Marche les pieds brûlants sous de folles morsures.
Tout succombe : au lointain les Nymphes sans ceintures
Avec leurs grands cheveux par le soleil flétris
épongent leurs bras nus dans les fleuves taris,
Et, fuyant deux à deux le sable des rivages,
Vont cacher leurs ardeurs dans les antres sauvages.
Dans le fond des forêts, sous un ciel morne et bleu,
Vénus, les yeux mourants et les lèvres en feu,
S'est couchée au milieu des grandes touffes d'herbe
Ainsi qu'une panthère indolente et superbe.
Dénouant son cothurne et son manteau vermeil,
Elle laisse agacer par les traits du soleil
Les beaux reins d'un enfant qui dort sur sa poitrine,
Et tandis que frémit sa lèvre purpurine,
Un ruisseau murmurant sur un lit de graviers,
Amoureux de Cypris, vient lui baiser les pieds.
Sur son beau sein de neige éros maître du monde
Repose, et les anneaux de sa crinière blonde
Brillent, et cependant qu'un doux zéphyr ami
Caresse la guerrière et son fils endormi,
Près d'eux gisent parmi l'herbe verte et la menthe
Les traits souillés de sang et la torche fumante.

Février 1841.

 


Pourquoi, courtisane...
 


Pourquoi, courtisane,
Vendre ton amour,
La fleur diaphane,

La fleur diaphane
Que fleurit le jour
Et que la main fane,

La rose d'amour ?

- Pourquoi, blond poète,
Ouvrir au passant
Ta douleur muette,

Ta douleur muette,
Lys éblouissant
Que la foule jette

Et brise en passant ?

- Ton cur qui se pâme
Brûle pour chacun :
Tu souilles la flamme !

- Tu souilles la flamme !
Tout a son parfum :
La caresse et l'âme,

Dans tout, dans chacun !

- Mon hymne rapporte
Comme un souvenir
La croyance morte.

- La croyance morte
Ne peut revenir
Par la même porte,

Comme un souvenir ;

Mais quand l'amour cesse,
On vient l'allumer
à ma folle ivresse.

- Oh va ! nulle ivresse
Ne peut ranimer
L'amour en détresse,

Ni le rallumer !

Février 1841.

 


Le stigmate
 


Et in fronte ejus nomen scriptum : Mysterium...
Apocalypsis, caput XVII.

Une nuit qu'il pleuvait, un poète profane
M'entraîna follement chez une courtisane
Aux épaules de lys, dont les jeunes rimeurs
Couronnaient à l'envi leur corbeille aux primeurs.
Donc, je me promettais une femme superbe
Souriant au soleil comme les blés en herbe,
Avec mille désirs allumés dans ces yeux
Qui reflètent le ciel comme les bleuets bleus.
Je rêvais une joue aux roses enflammées,
Des seins très à l'étroit dans des robes lamées,
Des mules de velours à des pieds plus polis
Que les marbres anciens par Dypne amollis,
Dans une bouche folle aux perles inconnues
La Muse d'autrefois chantant des choses nues,
Des Boucher fleurissants épanouis au mur,
Et des vases chinois pleins de pays d'azur.
Hélas ! qui se connaît aux affaires humaines ?
On se trompe aux Agnès tout comme aux Célimènes :
Toute prédiction est un rêve qui ment !
Ainsi jugez un peu de mon étonnement
Lorsque la Nérissa de la femme aux épaules
Vint, avec un air chaste et des cheveux en saules,
Annoncer nos deux noms, et que je vis enfin
L'endroit mystérieux dont j'avais eu si faim.
C'était un oratoire à peine éclairé, grave
Et mystique, rempli d'une fraîcheur suave,
Et l'il dans ce réduit calme et silencieux
Par la fenêtre ouverte apercevait les cieux.
Le mur était tendu de cette moire brune
Où vient aux pâles nuits jouer le clair de lune,
Et pour tout ornement on y voyait en l'air
La Melancholia du maître Albert Dürer,
Cet Ange dont le front, sous ses cheveux en ondes,
Porte dans le regard tant de douleurs profondes.
Sur un meuble gothique aux flancs noirs et sculptés
Parlant des voix du ciel et non des voluptés,
Souriait tristement une Bible entr'ouverte
Sur une tranche d'or ouvrant sa robe verte.
Pour la femme, elle était assise, en peignoir brun,
Sur un pauvre escabeau. Ses cheveux sans parfum
Retombaient en pleurant sur sa robe sévère.
Son regard était pur comme une primevère
Humide de rosée. Un long chapelet gris
Roulait sinistrement dans ses doigts amaigris,
Et son front inspiré, dans une clarté sombre
Pâlissait tristement, plein de lumière et d'ombre !
Mais bientôt je vis luire, en m'approchant plus près
Dans ce divin tableau, sombre comme un cyprès,
Dont mon premier regard n'avait fait qu'une ébauche,
Aux lèvres de l'enfant le doigt de la débauche,
Sur les feuillets du livre une tache de vin.
Et je me dis alors dans mon cur : C'est en vain
Que par les flots de miel on déguise l'absinthe,
Et l'orgie aux pieds nus par une chose sainte.
Car Dieu, qui ne veut pas de tare à son trésor
Et qui pèse à la fois dans sa balance d'or
Le prince et la fourmi, le brin d'herbe et le trône,
Met la tache éternelle au front de Babylone !

Février 1841.
 


Prosopopée d'une Vénus
 


Si quelque Vénus toute nue
Gémit, pauvre marbre désert,
C'est lui dans la verte avenue
Qui la caresse et qui la sert.
Victor Hugo, Les Voix intérieures.

Hélas ! devant le noir feuillage de cet arbre,
J'ai le cur tout glacé dans ma robe de marbre,
Et par mes yeux, troués d'ulcères inconnus,
La pluie en gémissant pleure sur mes bras nus.
Entre mes pieds, jadis plus blancs que des étoiles,
Arachné lentement tisse de fines toiles,
Et tu n'es plus, Scyllis, pour que sous ton ciseau
Je me relève un jour souple comme un roseau !
En ce temps où la fleur se cache sous les herbes,
Nul ne sait le secret de nos formes superbes,
Nul ne sait revêtir quelque rêve éclatant
De contours gracieux, et dans son cur n'entend
L'harmonie imposante et la sainte musique
Où chantent les accords de la beauté physique !
Hélas ! qui me rendra ces jours pleins de clarté
Où l'on ne m'appelait que Vénus Astarté,
Où, seule, ma pensée habitait sous la pierre,
Mais où mon corps vivait dans la nature entière,
Où Glycère et Lydie, où Clymène et Phyllis
Portaient mes noms écrits sur leurs gorges de lys ;
Où, pour l'artiste élu qui pare et qui contemple,
Chaque âge avait un nom, chaque harmonie un temple.
Oh ! trois et quatre fois malheur au siècle d'or
Où l'artiste éperdu foule aux pieds son trésor !
Car il ignore, hélas ! par quel grave mystère
Je venais pour instruire et féconder la terre,
Et pour épanouir dans mon type indompté
Le secret de l'extase et de la volupté !
Car à chaque morceau qui se brise et qui tombe
De mon vieux piédestal, la divine colombe
Que depuis trois mille ans je retiens dans ma main
Fait un nouvel effort pour s'ouvrir un chemin ;
Et, délaissant un jour l'enveloppe brisée,
Nous nous envolerons vers la voûte irisée,
Emportant toutes deux loin de ce monde vain,
La beauté dédaignée avec l'amour divin !

Février 1841.

 


L'auréole
 


Par le ciel, cette enfant est belle ; de ma vie je n'ai rien vu de pareil...
Gthe, Faust.

C'était la fin d'un bal ; nous étions presque à l'heure
Où sous la volupté l'archet frissonne et pleure,
Où sous les gants flétris les doigts serrent les doigts,
Où les fleurs et les pas, les rayons et les voix
Et la gaze envolée en un tourbillon frêle
Jettent au cur troublé leur parfum qui se mêle ;
à l'heure où l'on croit voir en ces enivrements
Des maîtresses d'un jour caresser leurs amants,
Et les fresques sourire, et l'extase physique
Voler dans l'air, mêlée à des flots de musique !
Tantôt c'était la joie, et le quadrille ardent
Qui se mêle et s'effare et s'élance en grondant,
Qui tantôt rit et chante en strophes inégales,
Puis s'arrête et bondit en éclats de cymbales,
Et penche sur les fronts plus d'un front endormi
Que des mots bégayés font rougir à demi !
Puis la valse emportant dans son rhythme, pensive
Comme un myosotis incliné sur la rive,
Une vierge aux yeux bleus, et dont l'accent vainqueur
La met si près de nous qu'on sent battre son cur,
Et que, dans cette fièvre ardente et souveraine,
L'enfant, sans rien comprendre au charme qui l'entraîne,
Parmi le chur immense, a l'air, en se penchant,
D'un ange fasciné par le démon du chant !
Comme dans la clarté les femmes étaient belles !
Celles-ci laissant voir, sous leurs cheveux rebelles,
Des rayons éblouis qui baisaient leurs fronts blancs ;
D'autres, les yeux voilés, comme des lys tremblants
Qui par un soir d'été pleurent sous la rafale,
Baissant leur cou soyeux veiné de tons d'opale ;
Toutes ivres d'amour, et pour l'il enchanté,
Surpassant l'hyperbole et l'idéalité !
Et je noyais mes yeux dans ces cheveux en tresses,
Et je jetais mon âme à ces enchanteresses
Si pâles qu'on eût dit ces essaims de Willis
Qui sortent en dansant des corolles de lys !
Mais tout changea bientôt et je n'en vis plus qu'une :
De même, quand Phbé sur le char de la lune
Apparaît dans les cieux de saphir et d'azur,
Tout se voile et s'efface, et son front seul est pur.
Celle que j'entrevis en oubliant les autres,
Madame, avait des yeux brillants comme les vôtres,
Des cheveux d'or, des mains qui n'avaient rien d'humain,
Et des pieds à tenir dans le creux de la main.
Ajoutez un cou mat de cette blancheur rare
Qui fait paraître jaune un marbre de Carrare,
Et deux bras qui prouvaient, ineffable collier,
Que Lysippe à Samos ne fut qu'un écolier !
Je cherchai donc en moi quelle rouerie exquise
Prendrait et séduirait cette blonde marquise
Plus rapide en sa course avec son front riant
Que n'était Lazzara, Camille d'Orient.
Mais quand je m'approchai, je vis sa tête ceinte
D'un tel rayonnement de pudeur grave et sainte,
Il était si divin, le rhythme de ses pas,
Que, don Juan dérouté, je n'osai même pas
Comme le docteur Faust, en me penchant vers elle,
Lui dire à demi-voix : Ma belle demoiselle !

Février 1841.

 


Les imprécations d'une cariatide
 


Que la cariatide, en sa lente révolte,
Se refuse, enfin lasse, à porter l'archivolte
Et dise : C'est assez !
Victor Hugo, Les Voix intérieures.

C'est le réveil, le déchaînement et la vengeance des cariatides.
Victor Hugo, Le Rhin, lettre XXIV.

Puisse le Dieu vivant dessécher la paupière
à qui m'a mise là vivante sous la pierre,
Et, comme un enfant porte un manteau de velours,
M'a forcée à porter ces édifices lourds,
Ces vieux murs en haillons, ces maisons condamnées,
Dont le gouffre est si plein de choses et d'années
Que je me sentirais moins de crispations
à tenir sur mon dos les Tyrs et les Sions
Que laissa choir le monde aux deux bras atlastiques,
Ou bien à soulever les vagues élastiques
Sommeillant à demi dans les noirs Océans
Comme dans son désert le troupeau des géants !
Si bien que mieux vaudrait sous la blonde phalange
Tomber, comme Jacob dans sa lutte avec l'ange,
Ou soutenir du front avec les yeux ouverts
Gthe, dont la pensée était un univers !
Oh ! si le feu divin qui brûla les Sodomes,
Fait palpiter un jour ces pierres et ces dômes,
Ces clochetons à dents, ces larges escaliers
Que dans l'ombre une main gigantesque a liés,
Ces monolithes noirs qui n'ont fait qu'une rampe,
Ces monstres vomissants dont la cohorte rampe
De la fondation jusqu'à l'entablement,
Ces granits attachés impérissablement ;
Si ce monde sur eux se déchire et s'écroule
Sous le souffle embrasé de ce simoun que roule
Sans pitié l'ouragan des révolutions
Sur les peuples trop pleins de leurs pollutions ;
Si, dégageant alors son bras et sa mamelle
Du vieux mur qui gémit et qui souffre comme elle,
Ma colère à son tour peut jeter sur leur dos
Une expiation et choisir les fardeaux,
Je mettrai ce jour-là sur l'épaule des hommes,
Au lieu des monuments, tombeaux sous qui nous sommes,
Au lieu des clochetons et des granits quittés,
Le poids intérieur de leurs iniquités !

Février 1841.

 

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