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Nature, où sont tes Dieux ? ô prophétique aïeule,
ô chair mystérieuse où tout est contenu,
Qui pendant si longtemps as vécu de toi seule
Et qui sembles mourir, parle, qu'est devenu
Cet âge de vertu que chaque jour efface,
Où le sourire humain rayonnait sur ta face ?
Où s'est enfui le chur de tes Olympiens ?
ô Nature à présent désespérée et vide,
Jadis l'affreux désert des éthiopiens
Sous le midi sauvage ou sous la nuit livide
Fut moins appesanti, moins formidable, et moins
Fait pour ce désespoir qui n'a pas de témoins,
Que tu ne m'apparais à présent tout entière,
Depuis que tu n'as plus ce chur mélodieux
De tes fils immortels, orgueil de la Matière.
Aïeule au flanc meurtri, Nature, où sont tes Dieux ?
Jadis, avant, hélas ! que l'Ignorance impie
T'eût dédaigneusement sous ses pieds accroupie,
Nature, comme nous tu vivais, tu vivais !
Avec leurs rocs géants, leurs granits et leurs marbres,
Les monts furent alors les immenses chevets
Où tu dormais la nuit dans ta ceinture d'arbres.
Les constellations étaient des yeux vivants,
Une haleine passait dans le souffle des vents ;
Leur aile frissonnante aux sauvages allures
Qui brise dans les bois les grands feuillages roux,
En pliant les rameaux courbait des chevelures,
Et dans la mer, ces flots palpitants de courroux
Ainsi que des lions, qui sous l'ardente lame
Bondissent dans l'azur, étaient des seins de femme.
Mais que dis-je, ô Dieux forts, Dieux éclatants, Dieux beaux,
Triomphateurs ornés de dépouilles sanglantes,
Porteurs d'arcs, de tridents, de thyrses, de flambeaux,
De lyres, de tambours, d'armes étincelantes,
Voyageurs accourus du ciel et de l'enfer,
Qui parmi les buissons de Sicile et de Corse
Avec vos cheveux blonds toujours vierges du fer
Parliez dans le nuage et viviez dans l'écorce,
Dieux exterminateurs des serpents et des loups,
Non, vous n'êtes pas morts ! En vain l'homme jaloux
Dit que l'érèbe a clos vos radieuses bouches :
Moi qui vous aime encor, je sais que votre voix
Est vivante, et vos fronts célestes, je les vois !
Je vois l'ardent Bacchus, Diane aux yeux farouches,
Vénus, et toi surtout dont le nom triomphant
écrasera toujours leur espoir chimérique,
ô Muse ! qui naguère et tout petit enfant
M'a choisi pour les vers et pour le chant lyrique !
Nourrice de guerriers, louangeuse érato !
Déjà le blanc cheval aux yeux pleins d'étincelles,
Impatient du libre azur, ouvre ses ailes
Et de ses pieds légers bondit sur le coteau.
Saisis sa chevelure, et dans l'herbe fleurie
Que le coursier t'emporte au gré de sa furie !
Puis quand tu reviendras, Muse, nous chanterons.
Va voir les durs combats, les grands chocs, les mêlées,
Des crinières de pourpre au vent échevelées,
Des blessures brisant les bras, trouant les fronts,
Et, comme un vin joyeux sort des vendanges mûres,
Le rouge flot du sang coulant sur les armures,
Et l'épée autour d'elle agitant ses éclairs,
Et les soldats avec une âme vengeresse
Bondissant, emportés par le chef aux yeux clairs.
Va, mais que ni les rois, ni le peuple, ô Déesse,
Ne puissent te convaincre et changer ton dessein,
Car seule gouvernant les chants où tu les nommes,
Plus forte que la vie et le destin des hommes,
L'immuable Justice habite dans ton sein.
Puis tu délaceras ta cuirasse guerrière.
Alors, bravant l'orage effroyable et ses jeux,
Marche, tes noirs cheveux au vent, dans la clairière,
Va dans les antres sourds, gravis les rocs neigeux,
Près des gouffres ouverts et sur les pics sublimes
Qui fument au soleil, de glace hérissés,
Respire, et plonge-toi dans les fleuves glacés.
Muse, il est bon pour toi de vivre sur les cimes,
De sentir sur ton sein la caresse des airs,
De franchir l'âpre horreur des torrents sans rivages,
Et, quand les vents affreux pleurent dans les déserts,
De livrer ta poitrine à leurs bouches sauvages.
Le flot aigu, le mont qu'endort l'éternité,
La forêt qui grandit selon les saintes règles
Vers l'azur, et la neige et les chemins des aigles
Conviennent, ô Déesse, à ta virginité.
Car rien ne doit ternir ta pureté première
Et souiller par un long baiser matériel
Ta belle chair, pétrie avec de la lumière.
Ton véritable amant, chaste fille du ciel,
Est celui qui, malgré ta voix qui le rassure
Et ton regard penché sur lui, n'oserait pas
D'une lèvre timide effleurer ta chaussure
Et baiser seulement la trace de tes pas.
Oui, c'est moi qui te sers et c'est moi qui t'adore.
Viens ! ceux qu'on a crus morts, nous les retrouverons !
Les guerriers, les archers, les rois, les forgerons,
Les reines de l'azur aux fronts baignés d'aurore !
Viens, nous retrouverons le fils des rois Titans
Assis, la foudre en main, dans les cieux éclatants ;
Celle qui de son front jaillit, Déesse armée,
Comme jaillit l'éclair de la nue enflammée,
Et celui qui se plaît aux combats, dans les cris
D'horreur, et portant l'arc avec sa fierté mâle
Cette amante des bois, la chasseresse pâle
Qui court dans les sentiers par la neige fleuris
Et montre ses bras nus tachés du sang des lices ;
Celui qui dans les noirs marais vils et rampants
Exterminant les nuds d'hydres et de serpents,
De ses traits lourds d'airain les tue avec délices ;
Puis, celui qui régit les Déesses des flots ;
Celui-là qu'on déchire en ses douleurs divines,
Qui meurt pour nous et, pour apaiser nos sanglots,
Dieu fort, renaît vivant et chaud dans nos poitrines ;
Celle qui, s'élançant quand l'âpre hiver s'enfuit,
Ressuscite du noir enfer et de la nuit,
Et celle-là surtout, vierge délicieuse,
Qui fait grandir, aimer, naître, sourdre, germer,
Fleurir tout ce qui vit, et vient tout embaumer
Et fait frémir d'amour les chênes et l'yeuse,
Et fait partout courir le grand souffle indompté
De l'ardente caresse et de la volupté.
Près de nous brilleront le sceptre que décore
Une fleur, le trident et, plus terrible encore,
La ceinture qui tient les désirs en éveil ;
L'épée au dur tranchant, belle et de sang vermeille,
Dont la lame d'airain pour la forme est pareille
à la feuille de sauge, et qui luit au soleil ;
L'arc, le thyrse léger, la torche qui flamboie ;
Et la grande Nature avec ses milliers d'yeux
Nous verra, stupéfaite en sa tranquille joie,
Voyageurs éblouis, lui ramener ses Dieux !
Février 1841.
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ô Vénus de Milo, guerrière au flanc nerveux,
Dont le front irrité sous vos divins cheveux
Songe, et dont une flamme embrase la paupière,
Calme éblouissement, grand poème de pierre,
Débordement de vie avec art compensé,
Vous qui depuis mille ans avez toujours pensé,
J'adore votre bouche où le courroux flamboie
Et vos seins frémissants d'une tranquille joie.
Et vous savez si bien ces amours éperdus
Que si vous retrouviez un jour vos bras perdus
Et qu'à vos pieds tombât votre blanche tunique,
Nos froideurs pâmeraient dans un combat unique,
Et vous m'étaleriez votre ventre indompté,
Pour y dormir un soir comme un amant sculpté !
1er mars 1842.
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- 1842 -
Sur ton front brun comme la nuit,
Maître, aucun fil d'argent ne luit,
Et nul Décembre sacrilège,
Ne met sa neige.
Pourtant, dans ton labeur sacré,
Tu te vois déjà vénéré,
ô génie immense et tranquille,
Comme un Eschyle.
à ta lèvre où passe un rayon
De la charmante Illusion,
La Gloire, innocente comme elle,
Tend sa mamelle.
Tu braves l'oubli meurtrier,
Car l'ombre noire du laurier,
Que rien ne ternit et n'efface,
Est sur ta face.
Près de toi, sous un clair manteau
Veille la chanteuse érato,
Qui tourmente la sainte Lyre
De son délire ;
Vers Oreste, son louveteau,
Fuyant sous le sombre couteau,
La Tragédie aux yeux de spectre
Conduit électre,
Et se mirant dans tes yeux clairs
Avec sa foudre et ses éclairs,
La mystérieuse épopée
Tient son épée.
Ces Muses se penchent vers toi
En te disant : Tu seras roi,
Et leurs yeux baignent de lumière
Ta face altière.
Cependant tu souris au jour !
Le souffle embrasé de l'amour
Caresse encor de sa brûlure
Ta chevelure ;
Ta lèvre, faite pour oser,
N'a pas épuisé le baiser
Délicieux de la jeunesse,
Cette Faunesse,
Et ta joue heureuse, où nul pli
N'a creusé de sillon pâli,
Peut encore à la Piéride
S'offrir sans ride.
Tel celui qu'on divinisa,
Lyaeus, partait de Nysa,
Enfant encor, jeune et superbe,
La joue imberbe,
Pour dompter l'Inde au ciel de feu,
Qui respire le lotus bleu
Et qui prend les poses subtiles
De ses reptiles ;
Et qui près des flots radieux
Caresse et nourrit mille Dieux,
Parmi ses fleurs où l'écarlate
Partout éclate !
Mais toi, Maître aux vux absolus,
Tu poursuis une amante plus
Charmante qu'elle, une martyre
Qui nous attire ;
C'est la vierge à l'il irrité,
L'inéluctable Vérité
Qui montre sa blancheur d'étoile
Nue et sans voile.
Captive dans la tour d'airain,
Comme une perle en son écrin,
Mille eunuques hideux la gardent
Et la regardent.
Pour aller jusqu'à sa prison
Qu'on voit au bout de l'horizon,
Il faut franchir des monts, des cimes
Et des abîmes ;
Roi, pour gravir jusqu'à son cur,
Il faudra terrasser, vainqueur,
Des hydres, des géants colosses,
De noirs molosses ;
Mais elle tend ses blanches mains
Vers toi, qui viens par ses chemins
Et dont l'armure d'or flamboie
Ivre de joie ;
Et toi, Désir âpre et vivant,
Tu ne peux t'arrêter avant
D'avoir sur sa lèvre farouche
Posé ta bouche !
Janvier 1842.
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Madame élisabeth Zélie de Banville
Mère, si peu qu'il soit, l'audacieux rêveur
Qui poursuit sa chimère,
Toute sa poésie, ô céleste faveur !
Appartient à sa mère.
L'artiste, le héros amoureux des dangers
Et des luttes fécondes,
Et ceux qui, se fiant aux navires légers,
S'en vont chercher des mondes,
L'apôtre qui parfois peut comme un séraphin
épeler dans la nue,
Le savant qui dévoile Isis, et peut enfin
L'entrevoir demi-nue,
Tous ces hommes sacrés, élus mystérieux
Que l'univers écoute,
Ont eu dans le passé d'héroïques aïeux
Qui leur tracent la route.
Mais nous qui pour donner l'impérissable amour
Aux âmes étouffées,
Devons être ingénus comme à leur premier jour
Les antiques Orphées,
Nous qui, sans nous lasser, dans nos curs même ouvrant
Comme une source vive,
Devons désaltérer le faible et l'ignorant
Pleins d'une foi naïve,
Nous qui devons garder sur nos fronts éclatants,
Comme de frais dictames,
Le sourire immortel et fleuri du printemps
Et la douceur des femmes,
N'est-ce pas, n'est-ce pas, dis-le, toi qui me vois
Rire aux peines amères,
Que le souffle attendri qui passe dans nos voix
Est celui de nos mères ?
Petits, leurs mains calmaient nos plus vives douleurs,
Patientes et sûres :
Elles nous ont donné des mains comme les leurs
Pour toucher aux blessures.
Notre mère enchantait notre calme sommeil,
Et comme elle, sans trêve,
Quand la foule s'endort dans un espoir vermeil,
Nous enchantons son rêve.
Notre mère berçait d'un refrain triomphant
Notre âme alors si belle,
Et nous, c'est pour bercer l'homme toujours enfant
Que nous chantons comme elle.
Tout poète, ébloui par le but solennel
Pour lequel il conspire,
Est brûlé d'un amour céleste et maternel
Pour tout ce qui respire.
Et ce martyr, qui porte une blessure au flanc
Et qui n'a pas de haines,
Doit cette extase immense à celle dont le sang
Ruisselle dans ses veines.
ô toi dont les baisers, sublime et pur lien !
à défaut de génie
M'ont donné le désir ineffable du bien,
Ma mère, sois bénie.
Et, puisque celle enfin qui l'a reçu des cieux
Et qui n'est jamais lasse,
Sait encore se faire un joyau précieux
D'un pauvre enfant sans grâce.
Va, tu peux te parer de l'objet de tes soins
Au gré de ton envie,
Car ce peu que je vaux est bien à toi du moins,
ô moitié de ma vie !
Février 1842.
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Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton cur savourait.
Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
Marche au hasard ; gravis les sentiers les plus rudes.
Va devant toi, baisé par l'air des solitudes,
Comme une biche en pleurs qu'on effaroucherait.
Cueille la fleur agreste au bord du précipice.
Regarde l'antre affreux que le lierre tapisse
Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus.
Marche et prête l'oreille en tes sauvages courses ;
Car tout le bois frémit, plein de rhythmes confus,
Et la Muse aux beaux yeux chante dans l'eau des sources.
Juillet 1842.
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à Auguste Vitu
Sans doute elles vivaient, ces grappes mutilées
Qu'une aveugle machine a sans pitié foulées !
Ne souffraient-elles pas lorsque le dur pressoir
A déchiré leur chair du matin jusqu'au soir,
Et lorsque de leur sein, meurtri de flétrissures,
Leur pauvre âme a coulé par ces mille blessures ?
Les ceps luxuriants et le raisin vermeil
Des coteaux, ces beaux fruits que baisait le soleil,
Sur le sol à présent gisent, cadavre infâme
D'où se sont retirés le sourire et la flamme !
Sainte vigne, qu'importe ! à la clarté des cieux
Nous nous enivrerons de ton sang précieux !
Que le cur du poète et la grappe qu'on souille
Ne soient plus qu'une triste et honteuse dépouille,
Qu'importe, si pour tous, au bruit d'un chant divin,
Ruisselle éblouissant le flot sacré du vin !
Mars 1842.
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Auguste, mon très bon, qui toujours as fléchi
Pour les yeux en amande,
Sais-tu qu'hier matin j'ai beaucoup réfléchi
Et que je me demande
Pourquoi décidément ce monde où nous rions
A tant de choses sombres,
Et pourquoi Dieu n'a mis que de faibles rayons
Dans un océan d'ombres ?
Pourquoi les champs, les prés, les montagnes, les cieux,
Les forêts, les prairies,
Ne sont pas tout soleil, comme ces vases bleus
Pleins de chinoiseries ?
Pourquoi près de l'éloge, ô mon alter ego !
Rampe la diatribe,
Près du Musset charmant et du Victor Hugo
Le Bourgeois et le Scribe ?
Pourquoi la belle femme incessamment voudra
être le lot d'un pleutre,
Et pourquoi nous allons étonner Sumatra
Par nos chapeaux de feutre ?
Pourquoi de la cithare et du haut brodequin
Le trépas se combine,
Et pourquoi c'est toujours ce vieux fat d'Arlequin
Dont s'éprend Colombine ?
Pourquoi nous achetons avec un vrai transport
Tant de meubles rocaille,
Et pourquoi dans le lit, lorsque l'Amour s'endort,
La Satiété bâille ?
Pourquoi tout ce qui brille est, excepté l'argent,
Un bagage inutile ?
Pourquoi rampe toujours au fond du lac changeant
Quelque hideux reptile ?
Quand on aurait pu faire un monde jeune et beau
Plein de choses sans voiles,
Où tout serait zéphyr, où tout serait flambeau
Et pensives étoiles !
Où sur des fleuves d'or et sur l'azur sans fin
Des eaux mélancoliques,
On aurait à son gré l'épaule d'un dauphin
Pour voitures publiques !
Où, comme telle Agnès avec un seul jupon
Notre terre étant plate,
On verrait d'ici luire au pays du Japon
Une fleur écarlate !
Comme on retrancherait le chemin du tombeau,
Ce chemin où nous sommes,
Et qu'en ce pays-là chacun serait très beau,
Les femmes et les hommes,
L'Enfant Amour saurait à l'âme de chacun
Souffler ses folles gammes,
Et viendrait caresser d'un céleste parfum
Les hommes et les femmes.
Au lieu de nos brigands dont le flâneur risqua
De subir les principes,
Les routes n'auraient plus que des fleurs d'angsoka
Et de larges tulipes.
On y verrait courir sous leurs diamants lourds,
Et pleines de folie,
En souliers de satin, en robes de velours,
Rosalinde et Célie.
Nous serions leurs amants et leurs amphitryons,
Et pour nos équipages,
Nous autres Orlandos, nous les habillerions
En casaques de pages.
Alors elles iraient, en pourpoint mi-parti,
Chercher des coupes pleines
De ce nectar divin, le Lacryma-Christi,
Qui coulerait aux plaines.
Et comme elles seraient notre ange, notre amour
Et notre page rose,
Elles nous serviraient de compagnons le jour,
Et la nuit d'autre chose.
Ou bien elles auraient des arcs et des carquois
En chasseurs d'alouettes,
Nous diraient des chansons, rouleraient de leurs doigts
Nos molles cigarettes,
Avec la soie et l'or feraient pour les amants
De merveilleuses trames,
Déchireraient en bloc nos vers et nos romans
Et brûleraient nos drames.
J'oubliais de te dire, à ce qu'il me paraît,
Une chose importante !
Comme ici-bas, chacun, où bon lui semblerait,
Pourrait planter sa tente,
Et libre d'être gueux et de tenir son rang
Sous la tiède atmosphère,
Sans écrire de prose et sans verser de sang
Y vivre à ne rien faire,
Tous les gens que la Mort a mis sur les genoux
Et couverts de son aile
Pourraient se réveiller pour goûter avec nous
Cette vie éternelle.
Alors, observateurs, refaisant un travail
D'époques espacées,
Nous pourrions ce jour-là choisir dans le sérail
Des nations passées ;
Faire avec Cléopâtre, ange, femme et bourreau,
Un gueuleton insigne,
Et, comme Léander, aller chercher Héro
En nageant comme un cygne ;
Courtiser Messaline, infante aux sens troublés,
Très belle, quoi qu'on fasse,
Ou Camille, aux bras nus, qui courait sur les blés
Sans courber leur surface ;
Avoir ève, Judith, Phèdre, Hélène, Thisbé,
Suzanne, ce prodige,
Marion, cette fange où l'or pur est tombé,
Toi, Vénus Callipyge !
Il me semble que tout serait rare et profond
Dans cette fête énorme,
Et qu'on y trouverait son compte pour le fond
Autant que pour la forme.
Pourquoi partout le mal vient-il donc à son tour ?
Près du berceau la tombe,
Le bourbier près du flot de cristal, le vautour
Auprès de la colombe ?
Pourquoi l'abîme creux sous le gazon des champs,
Dont nos âmes sont aises ?
Pourquoi sous les beaux yeux et les limpides chants
Tant de choses mauvaises ?
C'est peut-être que Dieu, qui met le diamant
Dans une pierre close
Et le serpent sous l'herbe, a placé son aimant
Au fond de chaque chose.
Et, comme en chaque rêve adorable ou fatal,
En tout ce qui respire,
C'est toujours sous le bien que se cache le mal,
Et le beau sous le pire ;
Où l'un trouve à plaisir des monstres effrayés
Et des replis sans nombre,
L'autre voit des gazons et des chemins frayés,
Pleins d'harmonie et d'ombre.
Ainsi, quand des méchants contre le feu vainqueur
La colère s'édente,
Nous autres, nous savons au fond de notre cur
Garder la lampe ardente.
Qu'ils voient dans l'avenir et couvent dans leur sein
Le malheur et l'envie,
Le calcul soucieux de quelque noir dessein
Qui leur use la vie !
Mais nous, insoucieux du mal et du tombeau,
Tournons les yeux sans cesse
Vers ce que Dieu jeta de suave et de beau
Parmi notre paresse !
Les chansons des oiseaux chez nous expatriés,
Les transparentes gazes,
Les tulipes en or, les champs coloriés,
Les caprices des vases,
Les lyres, les chansons, les horizons de feu,
Le zéphyr qui se pâme !
Pourquoi chercher ailleurs l'azur du pays bleu ?
Nous l'avons dans notre âme.
Avril 1842.
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En dizains à la manière de Clément Marot
Congé
Le vallon
Fête galante
L'étang
Les bergers
Pierrot
Sérénade
La comédie
Bal masqué
Parade
Enfin Malherbe vint...
Heine
Les parias
Trumeau
Les roses
Impéria
Le lilas
Hamlet
La forêt
Chérubin
Aveu
Palinodie
Le divan
Sagesse
Congé
Çà, qu'on me laisse, Amour, petit maraud.
Va ! donne-moi la paix ; je veux écrire,
à la façon de mon aïeul Marot,
Qui dans son temps n'eut jamais de quoi frire,
Quelques Dizains, car il est temps de rire.
Donc, loin de moi le vulgaire odieux !
Et d'un vaillant effort, s'il plaît aux Dieux,
J'en veux polir, dans mes rimes hardies,
Autant qu'Homère, esprit mélodieux,
En son poème a fait de rhapsodies.
Le vallon
Dans ce Vallon ne cherchez pas des fleurs,
Ou bien un vol d'insectes vers la nue
Ou le babil des oiseaux querelleurs.
Non, frémissant d'une horreur inconnue
Jusqu'en ses os, la Terre est toute nue.
Rien. C'est le deuil, le silence, la mort,
Et sur le sol, par un constant effort,
Les ouragans ont jeté leur ravage ;
Mais sous le vent avide qui le mord,
Ici grandit un lys pur et sauvage.
Fête galante
Voilà Silvandre et Lycas et Myrtil,
C'est aujourd'hui fête chez Cydalise.
Enchantant l'air de son parfum subtil,
Au clair de lune où tout s'idéalise
Avec la rose Aminthe rivalise.
Philis, églé, que suivent leurs amants,
Cherchent l'ombrage et les abris charmants ;
Dans le soleil qui s'irrite et qui joue,
Luttant d'orgueil avec les diamants,
Sur leur chemin le Paon blanc fait la roue.
L'étang
Dans la clairière ouverte, un vent d'orage
Passait ; le tremble au doux feuillage blanc
De sa morsure avait subi l'outrage ;
Dans le miroir sinistre de l'étang
Se reflétait une lueur de sang ;
Le sombre ciel d'airain qui brûle et pèse
Couvrait de nuit le chêne et le mélèze ;
L'embrasement et la pourpre des soirs
Parmi cette ombre allumaient leur fournaise,
Et j'entendis chanter les Cygnes noirs.
Les bergers
Amaryllis rit au pâtre Daphnis,
Tout en courant pour rassembler ses chèvres ;
Voici le vieux Damon avec son fils,
Néère ayant une pomme à ses lèvres,
Et l'air est plein de murmure et de fièvres.
Le zéphyr passe, heureux d'éparpiller
Les noirs cheveux ; lasse de sommeiller,
Phyllis accourt vers le chant qui l'attire
Et sous le hêtre on entend gazouiller,
Comme un oiseau, la flûte de Tityre.
Pierrot
Le bon Pierrot, que la foule contemple,
Ayant fini les noces d'Arlequin,
Suit en songeant le boulevard du Temple.
Une fillette au souple casaquin
En vain l'agace avec son il coquin ;
Et cependant mystérieuse et lisse
Faisant de lui sa plus chère délice,
La blanche Lune aux cornes de taureau
Jette un regard de son il en coulisse
à son ami Jean Gaspard Deburau.
Sérénade
Las ! Colombine a fermé le volet,
Et vainement le chasseur tend ses toiles,
Car la fillette au doux esprit follet,
De ses rideaux laissant tomber les voiles,
S'est dérobée, ainsi que les étoiles.
Bien qu'elle cache à l'amant indigent
Son casaquin pareil au ciel changeant,
C'est pour charmer cette beauté barbare
Que remuant comme du vif-argent,
Arlequin chante et gratte sa guitare.
La comédie
Yeux noirs, yeux bleus, cheveux bruns, cheveux d'or,
Beaux chérubins joufflus comme des pommes,
Bouches de rose, amour, espoir, trésor,
Troupeau charmé, fillettes, petits hommes,
Anges et fleurs qu'en souriant tu nommes,
Orgueil humain justement ébloui,
Tous ces bandits à l'il épanoui,
Sur leurs fronts purs ayant l'aube éternelle,
Battent des mains au vieux drame inouï
Du Commissaire et de Polichinelle.
Bal masqué
Blancs, jaunes, bleus, roses, comme la foudre,
Les Débardeurs, farouches escadrons
De leurs cheveux faisant voler la poudre,
Passent, nombreux comme des moucherons,
Sous l'ouragan des cors et des clairons.
L'affreux galop furieux se prolonge,
D'un élan fou dans la clarté se plonge,
Chur effréné qui jamais ne se rompt,
Et, dans un coin pensif, Gavarni songe
Que tout ce peuple est sorti de son front.
Parade
La Saltimbanque aux yeux pleins de douceur
Frappe et meurtrit les cymbales sonores.
Son front, semé de taches de rousseur,
Est plus brûlé que les rivages mores
Et rouge encor du baiser des aurores.
Charmante, elle a des bijoux de laiton ;
Pour égayer son maillot de coton,
Elle a brodé sur sa jupe une guivre ;
Ses cheveux, noirs comme le Phlégéton,
Sont enfermés dans un cercle de cuivre.
Enfin Malherbe vint...
C'était l'orgie au Parnasse, la Muse
Qui par raison se plaît à courir vers
Tout ce qui brille et tout ce qui l'amuse,
éparpillait les rubis dans ses vers.
Elle mettait son laurier de travers.
Les bons rhythmeurs, pris d'une frénésie,
Comme des Dieux gaspillaient l'ambroisie ;
Tant qu'à la fin, pour mettre le holà
Malherbe vint, et que la Poésie,
En le voyant arriver, s'en alla.
Heine
Comme Phbos, après l'avoir branché,
Heine toujours portait la peau sanglante
D'un Marsyas qu'il avait écorché.
Pour un amant de la rime galante
Cette manière est un peu violente.
ô noirs pavots ! horrible floraison !
Mais le Satyre à la comparaison
Ne peut gagner, s'il entreprend la lutte,
Et les porteurs de lyre ont eu raison
En écorchant le vain joueur de flûte.
Les parias
Oh ! je voudrais sur leur front innocent
Baiser tous ceux qu'on raille et qu'on opprime !
Dieux ! apporter le malheur en naissant !
Toi qui sais tout, mystérieuse Rime,
Dis-moi pourquoi la tendresse est un crime.
La Terre noire à l'homme triste et vain
Prodigue tout, les blés d'or, le doux vin ;
Mais qu'elle fut une amère nourrice,
L'inépuisable aïeule au flanc divin,
Pour l'âne triste et pour le doux Jocrisse !
Trumeau
Dans un panneau de la chambre à coucher,
Je me rappelle encore une Diane
Au sein charmant, caprice de Boucher.
Un flot d'Amours chasseurs en caravane
Sourit aux lys de sa chair diaphane ;
à son front pur étincelle un croissant,
Et, sur le bord d'un ruisseau caressant,
On voit briller, nonchalamment jetée,
Sous un rayon de lune éblouissant,
La cuisse blanche et de rose fouettée.
Les roses
Lorsque le ciel de saphir est en feu,
Lorsque l'été de son haleine touche
La folle Nymphe amoureuse, et par jeu
Met un charbon rougissant sur sa bouche ;
Quand sa chaleur dédaigneuse et farouche
Fait tressaillir le myrte et le cyprès,
On sent brûler sous ses magiques traits
Des fronts blêmis et des lèvres décloses
Et le riant feuillage des forêts,
Et vous aussi, curs enflammés des Roses !
Impéria
Aux longs baisers offrant sa joue imberbe,
Sous les lambris du palais Doria,
Un tout jeune homme en fleur, pâle et superbe,
Est aux genoux charmants d'Impéria,
Tenant ses mains qu'Amour coloria.
Dans les langueurs d'une molle paresse,
Il sait ravir la grande enchanteresse ;
La profondeur vague de l'Océan
En sa prunelle où rit une caresse
Joue, orgueilleuse et folle, et c'est don Juan.
Le lilas
ô floraison divine du Lilas,
Je te bénis, pour si peu que tu dures !
Nos pauvres curs de souffrir étaient las :
Enfin l'oubli guérit nos peines dures.
Enivrez-nous, fleurs, horizons, verdures !
Le clair réveil du matin gracieux
Charme l'azur irradié des cieux ;
Mai fleurissant cache les blanches tombes,
Tout éclairé de feux délicieux,
Et l'air frémit, blanc des vols de colombes.
Hamlet
Oh ! tu pouvais porter la noble armure
Et, blond héros, faucher au grand soleil
Tes ennemis, comme une moisson mûre,
Et resplendir, aux Dieux même pareil,
Dans la poussière et dans le sang vermeil.
Et cependant, enfant sevré de gloire,
Tu sens courir dans la nuit dérisoire,
Sur ton front pâle, aussi blanc que du lait,
Ce vent qui fait voler ta plume noire
Et te caresse, Hamlet, ô jeune Hamlet !
La forêt
Enfuyons-nous, mes amis ! se peut-il
Qu'à ces bourgeois le destin nous condamne ?
Allons revoir, dans le rêve subtil
Où son amant se fait gratter le crâne,
Titania baisant la tête d'âne.
Partons, avec nos appâts d'oiseleurs !
Cherchons les doux sommeils ensorceleurs ;
Allons au bois riant où Puck s'attarde,
Voir Fleur des Pois et sur son lit de fleurs
Bottom, avec monsieur Grain de Moutarde.
Chérubin
ô Chérubin ! jeunesse, extase, amour,
Toi qu'en jouant Rosine déshabille,
Tu t'éveillais et tu riais au jour,
Et tu suivais, bel ange aux airs de fille,
Affriolé par sa noire mantille,
Fanchette ou bien madame Figaro.
Tu t'enivrais de l'odeur du sureau,
Puis tu posais ton front blanc sur les marbres,
Et tu venais comme un petit chevreau,
Mordre les fleurs et l'écorce des arbres !
Aveu
Tes folles dents sont cruelles, dit-on,
Mais je te crois mieux qu'un docteur en chaire.
égorge-moi d'ailleurs, je suis mouton,
Je suis gibier ; chasseresse ou bouchère
Comme on voudra, ta guenille m'est chère.
à manier les ciseaux, Dalila,
Tu fus experte, et le sang ruissela
Pour tes beaux yeux sous les murs de Pergame,
Je le sais bien ; mais quand tu n'es pas là,
Comme on s'ennuie, ô femme ! femme ! femme !
Palinodie
Oui, j'ai menti comme tous mes collègues !
Pour faire voir ma bravoure à crédit,
Je t'ai crié : Va ! fuis ! tire tes grègues !
Je t'ai chassé, pauvre petit bandit :
Mais bah ! mettons que je n'avais rien dit.
Prends, si tu veux, la poudre d'escampette,
Lève le camp sans tambour ni trompette,
Je saurai bien te suivre, si tu fuis :
Car, en effet, comme dit le Poète,
Méchant Amour, de ta suite, j'en suis !
Le divan
Dans le boudoir où pareils à des strophes
Sont mariés les superbes accords
Des lourds tapis et des sombres étoffes,
L'obscurité de ces profonds décors
Brille et s'allume au flamboiement des ors.
Jeanne est couchée au milieu des fleurs rares ;
Et cependant que ses joyaux barbares
Dans cette nuit jettent des feux sanglants,
Sur les coussins ornés de fleurs bizarres
Un doux rayon fait briller ses pieds blancs.
Sagesse
Sur ce divan couvert d'amples fourrures,
Comme un guerrier vainqueur des Sarrasins
Je me repose, en fermant les serrures,
Puisque j'ai fait mes vingt-quatre dizains.
Muse au beau front couronné de raisins,
ô Thalia, narguons les élégies !
Oui, je veux fuir, (ce sont là mes orgies,)
Tous les bourgeois, pendant un jour entier ;
J'allumerai des feux et des bougies,
Et je lirai les strophes de Gautier.
Juillet 1842.
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Chanter, mais dans le soir sonore
Et pour ses amis seulement,
Fuir le bruit qui nous déshonore
Et le vil applaudissement ;
Brûler, mais conserver sa flamme
Pour le seul but essentiel,
être cette espérance, une âme
Qui chaque jour s'emplit de ciel ;
Avec une pensée insigne
Qui vous berce dans ses éclairs,
Vivre, blanche comme le cygne
Parmi les flots dorés et clairs ;
Ne rien chercher que la lumière,
S'envoler toujours loin du mal
Sur les ailes de la Prière,
Jusqu'au glorieux idéal ;
Sentir l'Ode au grand vol qui passe
En ouvrant ses ailes sans bruit,
Mais ne lui parler qu'à voix basse
Dans le silence et dans la nuit ;
Rappeler sa pensée errante
Dans les pourpres de l'horizon ;
être cette fleur odorante
Qui se cache dans le gazon ;
Telle est votre gloire secrète,
Esprit de flammes étoilé,
Dont l'inspiration discrète
Fait tressaillir un luth voilé !
Ah ! que la grande poétesse,
Devant les vastes flots déserts
Maudissant la bonne Déesse,
Jette sa plainte dans les airs !
Que la douloureuse Valmore,
En arrachant l'herbe et les fleurs,
Montre à l'insoucieuse aurore
Ses beaux yeux brûlés par les pleurs !
Mais celle qui pourrait comme elles
Suivre le grand aigle irrité,
Et qui domptant ses maux rebelles
Se résigne à l'obscurité,
Celle-là, guérie en ses veines,
Sent le calme victorieux
Triompher des angoisses vaines ;
Et ces êtres mystérieux
Dont l'invincible souffle enchante
Ce qui vit et ce qui fleurit,
Disent entre eux lorsqu'elle chante :
écoutons-la, c'est un esprit.
Avril 1842.
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ô Seigneur ! que fais-tu des voix et des yeux d'ombre
Et des pleurs à genoux !
La nuit silencieuse avec son aile sombre
A passé devant nous.
Hier, nous étions tous réunis, jeunes hommes
Aux rêves palpitants,
Gais, faisant rayonner sur la route où nous sommes
La foi de nos vingt ans ;
Sages bohémiens aux colères frivoles,
Aimant au jour le jour,
Et ne disant jamais que de bonnes paroles
D'espérance ou d'amour.
Et cependant, au lieu d'échanger sans mystère
Mille riants propos,
Nous avions tous le front incliné vers la terre
Dans un morne repos.
C'est que la terre, hélas ! cet asile et ce havre
De plaines et de monts,
Venait, hier encor, d'engloutir un cadavre
De ceux que nous aimons ;
C'est qu'il faut ici-bas que l'heureuse promesse
N'ait pas de lendemain,
Et qu'il dort maintenant, l'ami plein de jeunesse
Qui nous serrait la main !
Il dort comme autrefois, mais c'est sous une pierre
Que fouleront nos pas,
Et la nuit l'enveloppe, et sa jeune paupière
Ne se rouvrira pas !
Et quand les fleurs de Mai fleuriront sous la glace
Pour une autre saison,
Sur la terre foulée et sur la même place
Renaîtra le gazon.
Alors tout sera dit. Parmi les rameaux d'arbre
Et les touffes de fleurs
Les regards du passant verront à peine un marbre
Taché de quelques pleurs.
Alors, sans y penser davantage, la foule
Aux regards effrayés
Suivra docilement le ruisseau qui s'écoule
Dans les chemins frayés.
Mais nous qui savons tous combien son cher sourire
Fut charmant et vainqueur,
Et qui dans son regard avons toujours vu luire
Un reflet de son cur,
Soit que la joie à flots verse dans nos poitrines
Ses trésors épanchés,
Ou que l'ennui morose et les tristes ruines
Courbent nos fronts penchés,
Nous dirons à la Mort : Pourquoi donc sous ton aile
As-tu mis le meilleur
De ceux qui nous prenaient une part fraternelle
De joie et de douleur ?
Paul qui sentait jadis de chauds baisers de flamme
Sur son front jeune et beau,
N'a pour le caresser à présent, corps sans âme,
Que le ver du tombeau.
Oh ! n'éprouve-t-il pas dans un terrible songe
Mille frissons nerveux,
Quand l'insecte, caché dans son orbite, ronge
Son crâne sans cheveux !
Et pensant à sa vie, à l'aurore si brève
Qui sur son front a lui,
Nous baisserons la tête, et comme dans un rêve
Nous pleurerons sur lui.
Car il était de ceux pour qui la vie est douce
Et sur qui cette mer
Qu'un ouragan sur nous incessamment repousse,
N'a rien laissé d'amer.
Eh bien ! en regardant ceux qui vivent ou meurent,
Ces destins répartis,
Dieu sait ceux qu'il faut plaindre, ou bien ceux qui demeurent
Ou ceux qui sont partis !
Car tandis qu'ici-bas des mains impérieuses
Bâillonnent tous nos chants,
Et qu'il nous faut lutter contre les voix rieuses
Et les hommes méchants ;
Quand nous cueillons la fleur ou l'amante profane
Avec un doux serment,
Et lorsque sur nos curs la fleur rose se fane
Et que la lèvre ment ;
Quand versant les trésors dont notre âme est si pleine,
Dans le riant matin
Nous marchons, à travers une sinistre plaine,
Vers le but si lointain,
Lui que nous croyons voir, ô folle rêverie !
D'un il épouvanté,
Goûte suavement sans que rien le varie,
Le repos si vanté.
Les bruits que font ici les hommes et les choses
Battus par leurs destins,
Ne parviennent là-bas qu'à travers mille roses,
Comme des chants lointains.
Et l'âme délivrée, auguste sur des vierges,
être immatériel,
Vole, blanche, à travers les draps noirs et les cierges,
Vers les palais du ciel !
Car ils avaient raison, ces sages aux longs jeûnes
Qui sous un ciel de feu
Disaient : Tout est néant, et ceux qui meurent jeunes
Sont les aimés de Dieu !
Mai 1842.
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La sombre forêt, où la roche
Est pleine d'éblouissements
Et qui tressaille à mon approche,
Murmure avec des bruits charmants.
Les fauvettes font leur prière ;
La terre noire après ses deuils
Refleurit, et dans la clairière
Je vois passer les doux chevreuils.
Voici la caverne des Fées
D'où fuyant vers le bleu des cieux,
Montent des chansons étouffées
Sous les rosiers délicieux.
Je veux dormir là toute une heure
Et goûter un calme sommeil,
Bercé par le ruisseau qui pleure
Et caressé par l'air vermeil.
Et tandis que dans ma pensée
Je verrai, ne songeant à rien,
Une riche étoffe tissée
Par quelque Rêve aérien,
Peut-être que sous la ramure
Une blanche Fée en plein jour
Viendra baiser ma chevelure
Et ma bouche folle d'amour.
Avril 1842.
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à travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu'on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
Les Comédiens, rois et demi-dieux.
Hérode brandit son glaive odieux ;
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie
Comme resplendit un paon couvert d'yeux.
Puis, tout flamboyants sous les chrysolithes,
Les bruns Adonis et les Hippolytes
Montrent leurs arcs d'or et leurs peaux de loups.
Pierrot s'est chargé de la dame-jeanne.
Puis après eux tous, d'un air triste et doux
Viennent en rêvant le Poète et l'âne.
26 janvier 1842.
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ô jeune Florentine à la prunelle noire,
Beauté dont je voudrais éterniser la gloire,
Vous sur qui notre maître eût jeté plus de lys
Que devant Galatée ou sur Amaryllis,
Vous qui d'un blond sourire éclairez toutes choses
Et dont les pieds polis sont pleins de reflets roses,
Hier vous étiez belle, en quittant votre bain,
à tenter les pinceaux du bel ange d'Urbin.
ô colombe des soirs ! moi qui vous trouve telle
Que j'ai souvent brûlé de vous rendre immortelle,
Si j'étais Raphaël ou Dante Alighieri
Je mettrais des clartés sur votre front chéri,
Et des enfants riants, fous de joie et d'ivresse,
Planeraient, éblouis, dans l'air qui vous caresse.
Si Virgile, ô diva ! m'instruisait à ses jeux,
Mes chants vous guideraient vers l'Olympe neigeux
Et l'on y pourrait voir sous les rayons de lune,
Près de la Vénus blonde une autre Vénus brune.
Vous fouleriez ces monts que le ciel étoilé
Regarde, et sur le blanc tapis inviolé
Qui brille, vierge encor de toute flétrissure,
Les Grâces baiseraient votre belle chaussure !
Mai 1842.
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Vous avez tant d'Iris, de Philis, d'Amarantes...
Molière, Les Femmes savantes, acte V, scène I.
Rondeau, à églé
Triolet, à Philis
Rondeau, à Ismène
Triolet, à Amarante
Rondeau redoublé, à Sylvie
Madrigal, à Clymène
Rondeau redoublé, à Iris
Madrigal, à Glycère
Rondeau, à églé
Entre les plis de votre robe close
On entrevoit le contour d'un sein rose,
Des bras hardis, un beau corps potelé,
Suave, et dans la neige modelé,
Mais dont, hélas ! un avare dispose.
Un vieux sceptique à la bile morose
Médit de vous et blasphème, et suppose
Qu'à la nature un peu d'art s'est mêlé
Entre les plis.
Moi, qu'éblouit votre fraîcheur éclose,
Je ne crois pas à la métamorphose.
Non, tout est vrai ; mon cur ensorcelé
N'en doute pas, blanche et rieuse églé,
Quand mon regard, comme un oiseau, se pose
Entre les plis.
Triolet, à Philis
Si j'étais le Zéphyr ailé,
J'irais mourir sur votre bouche.
Ces voiles, j'en aurais la clé
Si j'étais le Zéphyr ailé.
Près des seins pour qui je brûlai
Je me glisserais dans la couche.
Si j'étais le Zéphyr ailé,
J'irais mourir sur votre bouche.
Rondeau, à Ismène
Oui, pour le moins, laissez-moi, jeune Ismène,
Pleurer tout bas ; si jamais, inhumaine,
J'osais vous peindre avec de vrais accents
Le feu caché qu'en mes veines je sens,
Vous gémiriez, cruelle, de ma peine.
Par ce récit, l'aventure est certaine,
Je changerais en amour votre haine,
Votre froideur en désirs bien pressants,
Oui, pour le moins.
échevelée alors, ma blonde reine,
Vos bras de lys me feraient une chaîne,
Et les baisers des baisers renaissants
M'enivreraient de leurs charmes puissants ;
Vous veilleriez avec moi la nuit pleine,
Oui, pour le moins.
Triolet, à Amarante
Je mourrai de mon désespoir
Si vous n'y trouvez un remède.
Exilé de votre boudoir,
Je mourrai de mon désespoir.
Pour votre toilette du soir
Bien heureux celui qui vous aide !
Je mourrai de mon désespoir
Si vous n'y trouvez un remède.
Rondeau redoublé, à Sylvie
Je veux vous peindre, ô belle enchanteresse,
Dans un fauteuil ouvrant ses bras dorés,
Comme Diane, en jeune chasseresse,
L'arc à la main et les cheveux poudrés.
Sur les rougeurs d'un ciel aux feux pourprés
Quelquefois passe un voile de tristesse,
Voilà pourquoi, lorsque vous sourirez,
Je veux vous peindre, ô belle enchanteresse !
Vous serez là, frivole et charmeresse,
Parmi les fleurs des jardins adorés
Où doucement le zéphyr vous caresse
Dans un fauteuil ouvrant ses bras dorés.
Auprès de vous, Madame, vous aurez
Le lévrier qui folâtre et se dresse,
Et le carquois plein de traits désuvrés,
Comme Diane en jeune chasseresse.
Mais n'allez pas, fugitive déesse,
Chercher, pieds nus, par les bois et les prés
Un berger grec, et pâlir de tendresse,
L'arc à la main et les cheveux poudrés.
Heureusement le cadre d'or qui blesse
Vous retiendra dans ses bâtons carrés,
Et sauvera votre antique noblesse
D'enlèvements trop inconsidérés.
Je veux vous peindre.
Madrigal, à Clymène
Quoi donc ! vous voir et vous aimer
Est un crime à vos yeux, Clymène.
Et rien ne saurait désarmer
Cette rigueur plus qu'inhumaine !
Puisque la mort de tout regret
Et de tout souci nous délivre,
J'accepte de bon cur l'arrêt
Qui m'ordonne de ne plus vivre.
Rondeau redoublé, à Iris
Quand vous venez, ô jeune beauté blonde,
Par vos regards allumer tant de feux,
On pense voir Cypris, fille de l'Onde,
épanouir et les Ris et les Jeux.
Chacun, épris d'un désir langoureux,
Souffre une amour à nulle autre seconde,
Et lentement voit s'entr'ouvrir les cieux
Quand vous venez, ô jeune beauté blonde !
S'il ne faut pas que votre chant réponde
Un mot d'amour à nos chants amoureux,
Pourquoi, Déesse à l'âme vagabonde,
Par vos regards allumer tant de feux ?
Laissez au vent flotter ces doux cheveux
Et découvrez cette gorge si ronde,
Si jusqu'au bout il vous plaît qu'en ces lieux
On pense voir Cypris, fille de l'Onde.
Car chacun boit à sa coupe féconde
Lorsqu'elle vient à l'Olympe neigeux
Sur les lits d'or que le plaisir inonde
épanouir et les Ris et les Jeux.
Donc, allégez ma souffrance profonde.
C'est trop subir un destin rigoureux ;
Craignez, Iris, que mon cur ne se fonde
à ces rayons qui partent de vos yeux
Quand vous venez !
Madrigal, à Glycère
Oui, vous m'offrez votre amitié,
Pour tous les maux que je vous conte,
Mais quoi ! c'est trop peu de moitié,
Glycère, et je n'ai pas mon compte.
Je soupire, et vous en retour
Vous me payez d'une chimère.
Pourquoi si mal traiter l'Amour ?
Ah ! vous êtes mauvaise mère !
Juin 1842.
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Allons, insoucieuse, ô ma folle compagne,
Voici que l'hiver sombre attriste la campagne,
Rentrons fouler tous deux les splendides coussins ;
C'est le moment de voir le feu briller dans l'âtre ;
La bise vient ; j'ai peur de son baiser bleuâtre
Pour la peau blanche de tes seins.
Allons chercher tous deux la caresse frileuse.
Notre lit est couvert d'une étoffe mlleuse ;
Enroule ma pensée à tes muscles nerveux ;
Ma chère âme ! trésor de la race d'Hélène,
Verse autour de mon corps l'ambre de ton haleine
Et le manteau de tes cheveux.
Que me fait cette glace aux brillantes arêtes,
Cette neige éternelle utile à maints poètes
Et ce vieil ouragan au blasphème hagard ?
Moi, j'aurai l'ouragan dans l'onde où tu te joues,
La glace dans ton cur, la neige sur tes joues,
Et l'arc-en-ciel dans ton regard.
Il faudrait n'avoir pas de bonnes chambres closes,
Pour chercher en janvier des strophes et des roses.
Les vers en ce temps-là sont de méchants fardeaux.
Si nous ne trouvons plus les roses que tu sèmes,
Au lieu d'user nos voix à chanter des poèmes,
Nous en ferons sous les rideaux.
Tandis que la Naïade interrompt son murmure
Et que ses tristes flots lui prêtent pour armure
Leurs glaçons transparents faits de cristal ouvré,
échevelés tous deux sur la couche défaite,
Nous puiserons les vins, pleurs du soleil en fête,
Dans un grand cratère doré.
à nous les arbres morts luttant avec la flamme,
Les tapis variés qui réjouissent l'âme,
Et les divans, profonds à nous anéantir !
Nous nous préserverons de toute rude atteinte
Sous des voiles épais de pourpre trois fois teinte
Que signerait l'ancienne Tyr.
à nous les lambris d'or illuminant les salles,
à nous les contes bleus des nuits orientales,
Caprices pailletés que l'on brode en fumant,
Et le loisir sans fin des molles cigarettes
Que le feu caressant pare de collerettes
Où brille un rouge diamant !
Ainsi pour de longs jours suspendons notre lyre ;
Aimons-nous ; oublions que nous avons su lire !
Que le vieux goût romain préside à nos repas !
Apprenons à nous deux comme il est bon de vivre,
Faisons nos plus doux chants et notre plus beau livre,
Le livre que l'on n'écrit pas.
Tressaille mollement sous la main qui te flatte.
Quand le tendre lilas, le vert et l'écarlate,
L'azur délicieux, l'ivoire aux fiers dédains,
Le jaune fleur de soufre aimé de Véronèse
Et le rose du feu qui rougit la fournaise
éclateront sur les jardins,
Nous irons découvrir aussi notre Amérique !
L'Eldorado rêvé, le pays chimérique
Où l'Ondine aux yeux bleus sort du lac en songeant,
Où pour Titania la perle noire abonde,
Où près d'Hérodiade avec la fée Habonde
Chasse Diane au front d'argent !
Mais pour l'heure qu'il est, sur nos vitres gothiques
Brillent des fleurs de givre et des lys fantastiques ;
Tu soupires des mots qui ne sont pas des chants,
Et tes beaux seins polis, plus blancs que deux étoiles,
Ont l'air, à la façon dont ils tordent leurs voiles,
De vouloir s'en aller aux champs.
Donc, fais la révérence au lecteur qui savoure
Peut-être avec plaisir, mais non pas sans bravoure,
Tes délires de Muse et mes rêves de fou,
Et, comme en te courbant dans un adieu suprême,
Jette-lui, si tu veux, pour ton meilleur poème,
Tes bras de femme autour du cou !
Janvier 1842.
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