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Chansons (première partie)

Preface
CONVERSATION CENSEUR ET MOI
LE ROI D'YVETOT
LA BACCHANTE
LE SENATEUR
L'ACADEMIE ET LE CAVEAU
LA GAUDRIOLE
ROGER BONTEMPS
PARNY
MA GRAND'MERE
LE MORT VIVANT
LE PRINTEMPS ET L'AUTOMNE
LA MERE AVEUGLE
LE PETIT HOMME GRIS
BONNE FILLE OU MOEURS DU TEMPS
AINSI SOIT-IL !
L'EDUCATION DES DEMOISELLES
MADAME GREGOIRE





PREFACE

Novembre 1815.
Pourquoi les libraires ne cessent-ils de vouloir des préfaces, et pourquoi les lecteurs ont-ils cessé de les lire ? On agite tous les jours, dans de graves assemblées, une foule de questions bien moins importantes que celle-ci, et je me propose de la résoudre dans un ouvrage en 3 volumes in-8, qui, si l' on en permet la publication, pourra amener la réforme de plusieurs abus très dangereux. Forcé en attendant de me conformer à l' usage, je me creusais la tête depuis un mois pour trouver le moyen de dire au public, qui ne s' en soucie guère, qu' ayant fait des chansons je prends le parti de les faire imprimer. Le bourgeois-gentilhomme, embrouillant son compliment à la belle comtesse, est moins embarrassé que je ne l' étais. J' appelais mes amis à mon aide ; et l' un d' eux profond érudit, vint il y a quelques jours m' offrir, pour mettre en tête de mon recueil, une dissertation qu' il trouve excellente, et dans laquelle il prouve que les flonflons , les fariradondé , les tourelouribo , et tant d' autres refrains qui ont eu le privilège de charmer nos pères, dérivent du grec et de l' hébreu. Quoique je sois ignorant comme un chansonnier, j' aime beaucoup les traits d' érudition. Enchanté de cette dissertation, je me préparais à en faire mon profit, ou plutôt celui du libraire, lorsqu' un autre de mes amis, car j' ai beaucoup d' amis (c' est ce qu' il est bon de consigner ici, attendu que les journaux pourront faire croire le contraire) ; lorsque, dis-je, un de mes amis, homme de plaisir et de bon sens, m' apporta d' un air empressé un chiffon de papier trouvé dans le fond d' un vieux secrétaire. C' est de l' écriture de Collé ! Me dit-il du plus loin qu' il m' aperçut. " j' ai confronté ce fragment avec le manuscrit des mémoires du premier de nos chansonniers, et je vous en garantis l' authenticité. Vous verrez en lisant pourquoi il n' a pas trouvé place dans ces mémoires, qui ne contiennent pas toujours des choses aussi raisonnables. " je ne me le fis pas dire deux fois ; et je lus avec la plus grande attention ce morceau, dont le fond des idées me séduisit tellement que d' abord je ne m' aperçus pas que le style pouvait faire douter un peu que Collé en fût l' auteur. Malgré toutes les observations de mon ami le savant, qui tenait à ce que j' adoptasse sa dissertation, je fis sur-le-champ le projet de me servir pour ma préface de ce legs que le hasard me procurait dans l' héritage d' un homme qui n' a laissé que des collatéraux. Ceux qui trouveront ce petit dialogue indigne de Collé pourront s' en prendre à l' ami qui me l' a fourni, et qui m' a assuré devoir en déposer le manuscrit chez un notaire, pour le soumettre à la confrontation des incrédules. Ces précautions prises, je le transcris ici en toute sûreté de conscience.

CONVERSATION CENSEUR ET MOI

15 janvier 1768.
(je prends la liberté de substituer le nom de Collé
au moi qui se trouve dans tout le dialogue.)

Le Censeur.

Voici, monsieur, mon approbation pour votre théâtre de société. Il contient des ouvrages charmants.

Collé.

Et mes chansons, monsieur, mes chansons, comment les avez-vous traitées ?

Le Censeur.

Vous me trouverez sévère. Mais je ne puis vous dissimuler que le choix ne m' en paraît pas sagement fait.

Collé.

Connaîtriez-vous quelque bonne chanson que j' aurais omise ?


Le Censeur.

J' ai été au contraire forcé d' indiquer la suppression d' un grand nombre.

Collé, feuilletant son manuscrit.

Quoi, monsieur ! Vous exigez que je retranche...
(ici le papier endommagé ne permet que de deviner le titre des chansons supprimées par le censeur.)

Le Censeur.

Vous n' avez pas dû penser que cela passerait à la censure.

Collé.

Elles ont bien passé ailleurs.

Le Censeur.

Raison de plus.

Collé.

Pardonnez ; je ne connaissais pas bien encore les raisons d' un censeur.

Le Censeur.

Examinons avec sang-froid les deux genres de chansons qui m' ont contraint à la sévérité. D' abord pourquoi, dans des vaudevilles, mêlez-vous toujours quelques traits de satire relatifs aux circonstances ?

Collé.

Que ne me demandez-vous plutôt pourquoi je fais des vaudevilles ? La chanson est essentiellement du parti de l' opposition. D' ailleurs, en frondant quelques abus qui n' en seront pas moins éternels, en ridiculisant quelques personnages à qui l' on pourrait souhaiter de n' être que ridicules, ai-je insulté jamais à ce qui a droit au respect de tous ? Le respect pour le souverain paraît-il me coûter ?

Le Censeur.

Mais les ministres, monsieur, les ministres ! Si à Naples l' on peut sans danger offenser la divinité, il n' y fait pas bon pour ceux qui parlent mal de saint Janvier.

Collé.

Je le conçois : à Naples saint Janvier passe pour faire des miracles.

Le Censeur.

Vous y seriez aussi incrédule qu' à Paris.

Collé.

Dites aussi clairvoyant.

Le Censeur.

Tant pis pour vous, monsieur. Au fait, de quoi se mêlent les faiseurs de chansons ? Vous en pouvez convenir avec moins de peine qu' un autre : les chansonniers sont en littérature ce que les ménétriers sont en musique.

Collé.

Je l' ai dit cent fois avant vous. Mais convenez à votre tour qu' il en est quelques uns qui ne jouent pas du violon pour tout le monde. Plusieurs ne seraient pas indignes de faire partie de la musique dont le grand Condé se servait pour ouvrir la tranchée, et tous deviennent utiles lorsqu' il s' agit de faire célébrer au peuple des triomphes dont sans eux fort souvent il ne sentirait que le poids.

Le Censeur.

Je n' ai point oublié la jolie chanson du Port-Mahon. Monsieur Collé, ce n' est pas à vous qu' on reprochera l' anglomanie . Mais cela ne suffit pas. Pourquoi, par exemple, vous être fait l' apôtre de certains principes d' indépendance qu' il vaudrait mieux combattre ?

Collé.

J' entends de quelles idées vous voulez parler. Combattre ces idées, monsieur ! Il n' y aurait pas plus de mérite à cela qu' à faire en Prusse des épigrammes contre les capucins. Ne trouvez-vous pas même que la plupart de ceux qui attaquent ces idées, qui peut-être au fond sont les vôtres, ressemblent à des aveugles qui voudraient casser les réverbères ?

Le Censeur.

Je suis de votre avis, si vous voulez dire qu' ils frappent à côté. Mais revenons à vos chansons. Tout le monde rend justice à la loyauté de votre caractère, à la régularité de vos moeurs ; et je pense qu' il sera aisé de vous convaincre du tort que vous feraient certaines gaillardises que je vous engage à faire disparaître de votre recueil.

Collé.

C' est parceque je ne crains point qu' on examine mes moeurs que je me suis permis de peindre celles du temps avec une exactitude qui participe de leur licence.

Le Censeur.

Vos tableaux choqueront les regards des gens rigides.

Collé.

La chasteté porte un bandeau.


Le Censeur.

Elle n' est pas sourde, et le ton libre de plusieurs de vos chansons peut augmenter la corruption dont vous faites la satire.

Collé.

Quoi ! Comme l' a dit le bon La Fontaine, les mères, les maris, me prendront aux cheveux pour dix ou douze contes bleus ! Voyez un peu la belle affaire ! Ce que je n' ai pas fait mon livre irait le faire !

Le Censeur.

L' autorité d' un grand homme est déplacée ici. Il ne s' agit que de bagatelles que vous pouvez sacrifier sans regret.

Collé.

En avez-vous de les connaître ?

Le Censeur.

Je ne dis pas cela.

Collé.

En êtes-vous moins censeur et très censeur ?

Le Censeur.

Je vous en fais juge.

Collé.

Eh bien ! Après avoir lu ou chanté en secret mes couplets les plus graveleux, les prudes n' en auront pas plus de charité et les bigots pas plus de tolérance. Laissez à ces gens-là le soin de me mettre à l' index . Si vous leur ôtez le plaisir de crier de temps à autre, on finira par croire à la réalité de leurs vertus. Mes chansons peuvent fournir une occasion de savoir à quoi s' en tenir sur le compte de ces messieurs et de ces dames. C' est un service qu' elles rendront aux gens véritablement sages, qui, toujours indulgents, pardonnent des écarts à la gaieté, et permettent à l' innocence de sourire.


Le Censeur.

Hors de mon cabinet je pourrais trouver vos raisons bonnes ; ici elles ne sont que spécieuses. Je vous répète donc qu' il est impossible que j' autorise l' impression des chansons que vous défendez si bien.

Collé.

En ce cas je prends mon parti. Je les ferai imprimer en Hollande sous le titre de chansons que mon censeur n' a pas dû me passer .

Le Censeur.

Je vous en retiens un exemplaire.

Collé.

Vous mériteriez que je vous les dédiasse.

Le Censeur.

Vous pouvez les adresser mieux, vous, Monsieur Collé, qui avez pour protecteur un prince de l' auguste maison dont vous avez si bien fait parler le héros.

Collé.

Que ne me protège-t-il contre les censeurs ?

Le Censeur.

Et contre les feuilles périodiques.

Collé.

En effet elles sont la seconde plaie de la
littérature.

Le Censeur.

Quelle est la première, s' il vous plaît ?

Collé.

Je vous le laisse à deviner, et cours chez
l' imprimeur qui m' attend.

Le Censeur.

Un moment. Je sais que jour par jour vous écrivez ce que vous avez dit et fait. Ne vous avisez point de transcrire ainsi notre conversation.

Collé.

Vous n' y seriez point compromis.

Le Censeur.

Bien ; mais un jour quelque écolier pourrait s' appuyer de vos arguments, et, à l' abri de votre nom, tenter de justifier...

(ici l' écriture, absolument illisible, m' a privé du reste de ce dialogue, qui n' est peut-être intéressant que pour un auteur placé dans une situation pareille à celle où Collé s' est trouvé. Malgré le soin qu' il avait pris de ne pas le joindre aux mémoires de sa vie, ce que le censeur avait craint est arrivé ; et l' écolier n' hésite point à se servir du nom de son maître, au risque d' être en butte à de graves reproches. Mon ami l' érudit m' a annoncé qu' il m' en arriverait malheur, et, pour donner du poids au pronostic, m' a retiré sa dissertation sur les flonflons . Le public n' y perdra rien. Il doit l' augmenter considérablement, et l' adresser en forme de mémoire à la troisième classe de l' institut. Elle obtiendra peut-être plus de succès que je n' ose en espérer pour mon recueil. Le moment serait mal choisi pour publier des chansons, si la futilité même des productions n' était une recommandation à une époque où l' on a plus besoin de se distraire que de s' occuper. Souhaitons que bientôt l' on puisse lire des poëmes épiques, sans souhaiter néanmoins qu' il en paraisse autant que chaque année voit éclore de chansonniers nouveaux.)

post-scriptum de 1821.

Je crois inutile d' ajouter aucune réflexion à cette préface du recueil chantant que je publiai à la fin de 1815. J' ai fait depuis quelques tentatives pour étendre le domaine de la chanson. Le succès seul peut les justifier. Des amateurs du genre pourront se plaindre de la gravité de certains sujets que j' ai cru pouvoir traiter. Voici ma réponse : la chanson vit de l' inspiration du moment. Notre époque est sérieuse, même un peu triste : j' ai dû prendre le ton qu' elle m' a donné ; il est probable que je ne l' aurais pas choisi. Je pourrais repousser ainsi plusieurs autres critiques, s' il n' était naturel de penser qu' on accordera trop peu d' attention à ces chansons pour qu' il soit nécessaire de les défendre sérieusement. Un recueil de chansons est et sera toujours un livre sans conséquence.

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LE ROI D'YVETOT

Mai 1813.
Il était un roi d' Yvetot
peu connu dans l' histoire,
se levant tard, se couchant tôt,
dormant fort bien sans gloire ;
et couronné par Jeanneton
d' un simple bonnet de coton,
dit-on.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c' était là !
La, la.
Il faisait ses quatre repas
dans son palais de chaume,
et sur un âne, pas à pas,
parcourait son royaume.
Joyeux, simple et croyant le bien,
pour toute garde il n' avait rien
qu' un chien.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c' était là !
La, la.
Il n' avait de goût onéreux
qu' une soif un peu vive ;
mais, en rendant son peuple heureux,
il faut bien qu' un roi vive.
Lui-même, à table et sans suppôt,
sur chaque muid levait un pot
d' impôt.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c' était là !
La, la.
Aux filles de bonnes maisons
comme il avait su plaire,
ses sujets avaient cent raisons
de le nommer leur père :
d' ailleurs il ne levait de ban
que pour tirer, quatre fois l' an,
au blanc.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c' était là !
La, la.
Il n' agrandit point ses états,
fut un voisin commode,
et, modèle des potentats,
prit le plaisir pour code.
Ce n' est que lorsqu' il expira
que le peuple qui l' enterra
pleura.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c' était là !
La, la.
On conserve encor le portrait
de ce digne et bon prince ;
c' est l' enseigne d' un cabaret
fameux dans la province.
Les jours de fête, bien souvent,
la foule s' écrie en buvant
devant :
oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c' était là !
La, la.

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LA BACCHANTE

Cher amant, je cède à tes desirs :
de champagne enivre Julie.
Inventons, s' il se peut, des plaisirs ;
des amours épuisons la folie.
Verse-moi ce joyeux poison ;
mais sur-tout bois à ta maîtresse :
je rougirais de mon ivresse,
si tu conservais ta raison.
Vois déja briller dans mes regards
tout le feu dont mon sang bouillonne.
Sur ton lit, de mes cheveux épars,
fleur à fleur vois tomber ma couronne.
Le cristal vient de se briser :
dieux ! Baise ma gorge brûlante,
et taris l' écume enivrante
dont tu te plais à l' arroser.
Verse encor ! Mais pourquoi ces atours
entre tes baisers et mes charmes ?
Romps ces noeuds, oui, romps-les pour toujours :
ma pudeur ne connaît plus d' alarmes.
Presse en tes bras mes charmes nus.
Ah ! Je sens redoubler mon être !
à l' ardeur qu' en moi tu fais naître
ton ardeur ne suffira plus.
Dans mes bras tombe enfin à ton tour ;
mais, hélas ! Tes baisers languissent.
Ne bois plus, et garde à mon amour
ce nectar où tes feux s' amortissent.
De mes desirs mal apaisés,
ingrat, si tu pouvais te plaindre,
j' aurai du moins pour les éteindre
le vin où je les ai puisés.

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LE SENATEUR

1813.
Mon épouse fait ma gloire :
Rose a de si jolis yeux !
Je lui dois, l' on peut m' en croire,
un ami bien précieux.
Le jour où j' obtins sa foi
un sénateur vint chez moi.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah ! Monsieur le sénateur,
je suis votre humble serviteur.
De ses faits je tiens registre :
c' est un homme sans égal.
L' autre hiver, chez un ministre,
il mena ma femme au bal.
S' il me trouve en son chemin,
il me frappe dans la main.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah ! Monsieur le sénateur,
je suis votre humble serviteur.
Près de Rose il n' est point fade,
et n' a rien de freluquet.
Lorsque ma femme est malade,
il fait mon cent de piquet.
Il m' embrasse au jour de l' an ;
il me fête à la saint-Jean.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah ! Monsieur le sénateur,
je suis votre humble serviteur.
Chez moi qu' un temps effroyable
me retienne après dîner,
il me dit d' un air aimable :
" allez donc vous promener ;
mon cher, ne vous gênez pas,
mon équipage est là bas. "
quel honneur !
Quel bonheur !
Ah ! Monsieur le sénateur,
je suis votre humble serviteur.
Certain soir à sa campagne
il nous mena par hasard ;
il m' enivra de champagne,
et Rose fit lit à part :
mais de la maison, ma foi,
le plus beau lit fut pour moi.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah ! Monsieur le sénateur,
je suis votre humble serviteur.
à l' enfant que Dieu m' envoie
pour parrain je l' ai donné.
C' est presque en pleurant de joie
qu' il baise le nouveau-né ;
et mon fils, dès ce moment,
est mis sur son testament.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah ! Monsieur le sénateur,
je suis votre humble serviteur.
à table il aime qu' on rie ;
mais parfois j' y suis trop vert.
J' ai poussé la raillerie
jusqu' à lui dire au dessert :
on croit, j' en suis convaincu,
que vous me faites c...
quel honneur !
Quel bonheur !
Ah ! Monsieur le sénateur,
je suis votre humble serviteur.

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L'ACADEMIE ET LE CAVEAU

Chanson de réception au caveau moderne.
Au caveau je n' osais frapper ;
des méchants m' avaient su tromper.
C' est presque un cercle académique,
me disait maint esprit caustique.
Mais, que vois-je ! De bons amis
que rassemble un couvert bien mis.
Asseyez-vous, me dit la compagnie.
Non, non, ce n' est point comme à l' académie.
Ce n' est point comme à l' académie.
Je me voyais, pendant un mois,
courant pour disputer les voix
à des gens qu' appuîrait le zèle
d' un grand seigneur ou d' une belle :
mais, faisant moitié du chemin,
vous m' accueillez le verre en main.
D' ici l' intrigue est à jamais bannie :
non, non, ce n' est point comme à l' académie.
Ce n' est point comme à l' académie.
Toussant, crachant, faudra-t-il donc,
dans un discours superbe et long,
dire : quel honneur vous me faites !
Messieurs, vous êtes trop honnêtes ;
ou quelque chose d' aussi fort ?
Mais que je m' effrayais à tort !
On peut ici montrer moins de génie.
Non, non, ce n' est point comme à l' académie.
Ce n' est point comme à l' académie.
Je croyais voir le président
faire bâiller en répondant
que l' on vient de perdre un grand homme ;
que moi je le vaux, Dieu sait comme.
Mais ce président sans façon
ne pérore ici qu' en chanson :
toujours trop tôt sa harangue est finie.
Non, non, ce n' est point comme à l' académie.
Ce n' est point comme à l' académie.
Admis enfin, aurai-je alors,
pour tout esprit, l' esprit de corps ?
Il rend le bon sens, quoi qu' on dise,
solidaire de la sottise ;
mais dans votre société,
l' esprit de corps c' est la gaîté.
Cet esprit-là règne sans tyrannie.
Non, non, ce n' est point comme à l' académie.
Ce n' est point comme à l' académie.
Ainsi, j' en juge à votre accueil,
ma chaise n' est point un fauteuil.
Que je vais chérir cet asile,
où tant de fois le vaudeville
a renouvelé ses grelots,
et sur la porte écrit ces mots :
joie, amitié, malice et bonhomie !
Non, non, ce n' est point comme à l' académie.
Ce n' est point comme à l' académie.

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LA GAUDRIOLE

Momus a pris pour adjoints
des rimeurs d' école :
des chansons en quatre points
le froid nous désole.
Mirliton s' en est allé.
Ah ! La muse de Collé,
c' est la gaudriole,
ô gué,
c' est la gaudriole.
Moi, des sujets polissons
le ton m' affriole.
Minerve dans mes chansons
fait la cabriole.
De ma grand' mère, après tout,
Tartufes, je tiens le goût
de la gaudriole,
ô gué,
de la gaudriole.
Elle amusait à dix ans
son maître d' école.
Des cordeliers gros plaisants
elle fut l' idole.
Au prêtre qui l' exhortait,
en mourant elle contait
une gaudriole,
ô gué,
une gaudriole.
C' était la régence alors ;
et, sans hyperbole,
grace aux plus drôles de corps,
la France était folle.
Tous les hommes plaisantaient,
et les femmes se prêtaient
à la gaudriole,
ô gué,
à la gaudriole.
On ne rit guère aujourd' hui.
Est-on moins frivole ?
Trop de gloire nous a nui ;
le plaisir s' envole.
Mais au français attristé
qui peut rendre la gaîté ?
C' est la gaudriole,
ô gué,
c' est la gaudriole.
Prudes, qui ne criez plus
lorsqu' on vous viole,
pourquoi prendre un air confus
à chaque parole ?
Passez les mots aux rieurs :
les plus gros sont les meilleurs
pour la gaudriole,
ô gué,
pour la gaudriole.

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ROGER BONTEMPS

1814.
Aux gens atrabilaires
pour exemple donné,
en un temps de misères
Roger Bontemps est né.
Vivre obscur à sa guise,
narguer les mécontents ;
eh gai ! C' est la devise
du gros Roger Bontemps.
Du chapeau de son père,
coiffé dans les grands jours,
de roses ou de lierre
le rajeunir toujours ;
mettre un manteau de bure,
vieil ami de vingt ans ;
eh gai ! C' est la parure
du gros Roger Bontemps.
Posséder dans sa hutte
une table, un vieux lit,
des cartes, une flûte,
un broc que Dieu remplit,
un portrait de maîtresse,
un coffre et rien dedans ;
eh gai ! C' est la richesse
du gros Roger Bontemps.
Aux enfants de la ville
montrer de petits jeux ;
être un faiseur habile
de contes graveleux ;
ne parler que de danse
et d' almanachs chantants ;
eh gai ! C' est la science
du gros Roger Bontemps.
Faute de vin d' élite,
sabler ceux du canton ;
préférer Marguerite
aux dames du grand ton ;
de joie et de tendresse
remplir tous ses instants ;
eh gai ! C' est la sagesse
du gros Roger Bontemps.
Dire au ciel : je me fie,
mon père, à ta bonté ;
de ma philosophie
pardonne la gaîté ;
que ma saison dernière
soit encore un printemps ;
eh gai ! C' est la prière
du gros Roger Bontemps.
Vous, pauvres pleins d' envie,
vous, riches desireux,
vous, dont le char dévie
après un cours heureux ;
vous, qui perdrez peut-être
des titres éclatants,
eh gai ! Prenez pour maître
le gros Roger Bontemps.

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PARNY

Je disais au fils d' épicure :
" réveillez par vos joyeux chants
Parny, qui sait de la nature
célébrer les plus doux penchants. "
mais les chants que la joie inspire
font place aux regrets superflus :
Parny n' est plus !
Il vient d' expirer sur sa lyre :
Parny n' est plus !
Je disais aux graces émues :
" il vous doit sa célébrité.
Montrez-vous à lui demi-nues ;
qu' il peigne encor la volupté. "
mais chacune d' elles soupire
auprès des plaisirs éperdus.
Parny n' est plus !
Il vient d' expirer sur sa lyre :
Parny n' est plus !
Je disais aux dieux du bel âge :
" amours, rendez à ses vieux ans
les fleurs qu' aux pieds d' une volage
il prodigua dans son printemps. "
mais en pleurant je les vois lire
des vers qu' ils ont cent fois relus.
Parny n' est plus !
Il vient d' expirer sur sa lyre :
Parny n' est plus !
Je disais aux muses plaintives :
" oubliez vos malheurs récents ;
pour charmer l' écho de nos rives,
il vous suffit de ses accents. "
mais du poétique délire
elles brisent les attributs.
Parny n' est plus !
Il vient d' expirer sur sa lyre :
Parny n' est plus !
Il n' est plus ! Ah ! Puisse l' envie
s' interdire un dernier effort !
Immortel il quitte la vie ;
pour lui tous les dieux sont d' accord.
Que la haine, prête à maudire,
pardonne aux aimables vertus.
Parny n' est plus !
Il vient d' expirer sur sa lyre :
Parny n' est plus !

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MA GRAND'MERE

Ma grand' mère, un soir à sa fête,
de vin pur ayant bu deux doigts,
nous disait en branlant la tête :
que d' amoureux j' eus autrefois !
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,
et le temps perdu !
Quoi ! Maman, vous n' étiez pas sage !
-non vraiment ; et de mes appas
seule à quinze ans j' appris l' usage,
car la nuit je ne dormais pas.
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,
maman, vous aviez le coeur tendre ?
-oui, si tendre, qu' à dix-sept ans,
Lindor ne se fit pas attendre,
et qu' il n' attendit pas long-temps.
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,
maman, Lindor savait donc plaire ?
-oui, seul il me plut quatre mois :
mais bientôt j' estimai Valère,
et fis deux heureux à-la-fois.
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,
quoi ! Maman, deux amants ensemble !
-oui, mais chacun d' eux me trompa.
Plus fine alors qu' il ne vous semble,
j' épousai votre grand-papa.
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,
maman, que lui dit la famille ?
-rien, mais un mari plus sensé
eût pu connaître à la coquille
que l' oeuf était déja cassé.
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,
maman, lui fûtes-vous fidèle ?
-oh ! Sur cela je me tais bien.
à moins qu' à lui Dieu ne m' appelle,
mon confesseur n' en saura rien.
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,
bien tard, maman, vous fûtes veuve ?
-oui ; mais, graces à ma gaîté,
si l' église n' était plus neuve,
le saint n' en fut pas moins fêté.
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,
comme vous, maman, faut-il faire ?
-eh ! Mes petits-enfants, pourquoi,
quand j' ai fait comme ma grand' mère,
ne feriez-vous pas comme moi ?
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,

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LE MORT VIVANT

lorsque l' ennui pénètre dans mon fort,
priez pour moi : je suis mort, je suis mort !
Quand le plaisir à grands coups m' abreuvant
gaîment m' assiège et derrière et devant,
je suis vivant, bien vivant, très vivant !
Un sot fait-il sonner son coffre-fort,
priez pour moi : je suis mort, je suis mort !
Volnay, Pomard, Beaune, et moulin-à-vent,
fait-on sonner votre âge en vous servant,
je suis vivant, bien vivant, très vivant !
Des pauvres rois veut-on régler le sort,
priez pour moi : je suis mort, je suis mort !
En fait de vin qu' on se montre savant ;
dût-on pousser le sujet trop avant,
je suis vivant, bien vivant, très vivant !
Faut-il aller guerroyer dans le nord,
priez pour moi : je suis mort, je suis mort !
Que, près du feu, l' un l' autre se bravant,
on trinque assis derrière un paravent,
je suis vivant, bien vivant, très vivant !
De beaux esprits s' annoncent-ils d' abord,
priez pour moi : je suis mort, je suis mort !
Mais, sans esprit, faut-il mettre en avant
de gais couplets qu' on répète en buvant,
je suis vivant, bien vivant, très vivant !
Suis-je au sermon d' un bigot qui m' endort,
priez pour moi : je suis mort, je suis mort !
Que l' amitié réclame un coeur fervent,
que dans la cave elle fonde un couvent,
je suis vivant, bien vivant, très vivant !
Monseigneur entre, et la liberté sort,
priez pour moi : je suis mort, je suis mort !
Mais que Thémire, à table nous trouvant,
avec l' aï s' égaie en arrivant,
je suis vivant, bien vivant, très vivant !
Faut-il sans boire abandonner ce bord,
priez pour moi : je suis mort, je suis mort !
Mais pour m' y voir jeter l' ancre souvent,
le verre en main, quand j' implore un bon vent,
je suis vivant, bien vivant, très vivant !

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LE PRINTEMPS ET L'AUTOMNE

Deux saisons règlent toutes choses,
pour qui sait vivre en s' amusant :
au printemps nous devons les roses,
à l' automne un jus bienfaisant.
Les jours croissent ; le coeur s' éveille :
on fait le vin quand ils sont courts.
Au printemps, adieu la bouteille !
En automne, adieu les amours !
Mieux il vaudrait unir sans doute
ces deux penchants faits pour charmer ;
mais pour ma santé je redoute
de trop boire et de trop aimer.
Or, la sagesse me conseille
de partager ainsi mes jours :
au printemps, adieu la bouteille !
Au mois de mai j' ai vu Rosette,
et mon coeur a subi ses lois.
Que de caprices la coquette
m' a fait essuyer en six mois !
Pour lui rendre enfin la pareille,
j' appelle octobre à mon secours.
Au printemps, adieu la bouteille !
Je prends, quitte, et reprends Adèle,
sans façon comme sans regrets.
Au revoir, un jour me dit-elle.
Elle revint long-temps après ;
j' étais à chanter sous la treille :
ah ! Dis-je, l' année a son cours.
Au printemps, adieu la bouteille !
Mais il est une enchanteresse
qui change à son gré mes plaisirs.
Du vin elle excite l' ivresse,
et maîtrise jusqu' aux desirs.
Pour elle ce n' est pas merveille
de troubler l' ordre de mes jours,
au printemps avec la bouteille,
en automne avec les amours.

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LA MERE AVEUGLE

Tout en filant votre lin,
écoutez-moi bien, ma fille.
Déja votre coeur sautille
au nom du jeune Colin.
Craignez ce qu' il vous conseille.
Quoique aveugle, je surveille ;
à tout je prête l' oreille,
et vous soupirez tout bas.
Votre Colin n' est qu' un traître...
mais vous ouvrez la fenêtre ;
Lise, vous ne filez pas.
Il fait trop chaud, dites-vous ;
mais par la fenêtre ouverte,
à Colin, toujours alerte,
ne faites pas les yeux doux.
Vous vous plaignez que je gronde :
hélas ! Je fus jeune et blonde,
je sais combien dans ce monde
on peut faire de faux pas.
L' amour trop souvent l' emporte...
mais quelqu' un est à la porte ;
Lise, vous ne filez pas.
C' est le vent, me dites-vous,
qui fait crier la serrure ;
et mon vieux chien qui murmure
gagne à cela de bons coups.
Oui, fiez-vous à mon âge :
Colin deviendra volage ;
craignez, si vous n' êtes sage,
de pleurer sur vos appas...
grand dieu ! Que viens-je d' entendre ?
C' est le bruit d' un baiser tendre ;
Lise, vous ne filez pas.
C' est votre oiseau, dites-vous,
c' est votre oiseau qui vous baise ;
dites-lui donc qu' il se taise,
et redoute mon courroux.
Ah ! D' une folle conduite
le déshonneur est la suite ;
l' amant qui vous a séduite
en rit même entre vos bras.
Que la prudence vous sauve...
mais vous allez vers l' alcôve ;
Lise, vous ne filez pas.
C' est pour dormir, dites-vous.
Quoi ! Me jouer de la sorte !
Colin est ici, qu' il sorte,
ou devienne votre époux.
En attendant qu' à l' église
le séducteur vous conduise,
filez, filez, filez, Lise,
près de moi, sans faire un pas.
En vain votre lin s' embrouille ;
avec une autre quenouille,
non, vous ne filerez pas.

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LE PETIT HOMME GRIS

Il est un petit homme
tout habillé de gris,
dans Paris,
joufflu comme une pomme,
qui, sans un sou comptant,
vit content,
et dit : moi, je m' en...
et dit : moi, je m' en...
ma foi, moi, je m' en ris !
Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris !
à courir les fillettes,
à boire sans compter,
à chanter,
il s' est couvert de dettes ;
mais, quant aux créanciers,
aux huissiers,
il dit : moi, je m' en...
il dit : moi, je m' en...
ma foi, moi, je m' en ris !
Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris !
Qu' il pleuve dans sa chambre ;
qu' il s' y couche le soir
sans y voir ;
qu' il lui faille en décembre
souffler, faute de bois,
dans ses doigts,
il dit : moi, je m' en...
il dit : moi, je m' en...
ma foi, moi, je m' en ris !
Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris !
Sa femme, assez gentille,
fait payer ses atours
aux amours ;
aussi, plus elle brille,
plus on le montre au doigt.
Il le voit,
et dit : moi, je m' en...
et dit : moi, je m' en...
ma foi, moi, je m' en ris !
Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris !
Quand la goutte l' accable
sur un lit délabré,
le curé,
de la mort et du diable,
parle à ce moribond,
qui répond :
ma foi, moi, je m' en...
ma foi, moi je m' en...
ma foi, moi, je m' en ris !
Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris !

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BONNE FILLE OU MOEURS DU TEMPS

1812.
Je sais fort bien que sur moi l' on babille,
que soi-disant
j' ai le ton trop plaisant ;
mais cet air amusant
sied si bien à Camille !
Philosophe par goût,
et toujours et de tout
je ris, je ris, tant je suis bonne fille.
Pour le théâtre ayant quitté l' aiguille,
à mon début,
craignant quelque rebut,
je me livre en tribut
au censeur Mascarille ;
et ce cuistre insolent
dénigre mon talent ;
mais moi j' en ris, tant je suis bonne fille.
Un sénateur, qui toujours apostille,
dit : je voudrais
servir tes intérêts.
Lors j' essaie à grands frais
d' échauffer le vieux drille.
Quoi qu' il fît espérer,
je n' en pus rien tirer ;
mais j' en ai ri, tant je suis bonne fille.
Un chambellan, qui de clinquant petille,
après qu' un jour
il m' eut fait voir la cour,
enrichit mon amour
de ce jonc qui scintille.
J' en fais voir le chaton :
c' est du faux, me dit-on ;
et moi j' en ris, tant je suis bonne fille.
Un bel esprit, beau de l' esprit qu' il pille,
grace à moi fut
nommé de l' institut.
Quand des voix qu' il me dut
vient l' éclat dont il brille,
avec moi que de fois
il a manqué de voix !
Mais j' en ai ri, tant je suis bonne fille.
Un lycéen, qui sort de sa coquille,
tout triomphant,
dans ses bras m' étouffant,
de me faire un enfant
me proteste qu' il grille ;
et le petit morveux,
au lieu d' un, m' en fait deux ;
mais moi j' en ris, tant je suis bonne fille.
Trois auditeurs me disent : viens, Camille,
soupe avec nous ;
que nous fassions les fous.
J' étais seule pour tous :
l' un d' eux me déshabille.
Puis le vin met dedans
nos petits intendants ;
et moi j' en ris, tant je suis bonne fille.
Telle est ma vie ; et sur mainte vétille
j' aurais ici
pu glisser, dieu merci !
Dans ses jupons aussi
je sais qu' on s' entortille ;
mais les restrictions,
mais les précautions,
moi je m' en ris, tant je suis bonne fille.

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AINSI SOIT-IL !

1812.
Je suis devin, mes chers amis ;
l' avenir qui nous est promis
se découvre à mon art subtil.
Ainsi soit-il !
Plus de poëte adulateur ;
le puissant craindra le flatteur ;
nul courtisan ne sera vil.
Ainsi soit-il !
Plus d' usuriers, plus de joueurs,
de petits banquiers grands seigneurs,
et pas un commis incivil.
Ainsi soit-il !
L' amitié, charme de nos jours,
ne sera plus un froid discours
dont l' infortune rompt le fil.
Ainsi soit-il !
La fille, novice à quinze ans,
à dix-huit avec ses amants
n' exercera que son babil.
Ainsi soit-il !
Femme fuira les vains atours,
et son mari pendant huit jours
pourra s' absenter sans péril.
Ainsi soit-il !
L' on montrera dans chaque écrit
plus de génie et moins d' esprit,
laissant tout jargon puéril.
Ainsi soit-il !
L' auteur aura plus de fierté,
l' acteur moins de fatuité ;
le critique sera civil.
Ainsi soit-il !
On rira des erreurs des grands,
on chansonnera leurs agents,
sans voir arriver l' alguazil.
Ainsi soit-il !
En France enfin renaît le goût ;
la justice règne par-tout,
et la vérité sort d' exil.
Ainsi soit-il !
Or, mes amis, bénissons Dieu,
qui met chaque chose en son lieu :
celles-ci sont pour l' an trois mil.
Ainsi soit-il !

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L'EDUCATION DES DEMOISELLES

Le bel instituteur de filles
que ce monsieur De Fénelon !
Il parle de messe et d' aiguilles :
maman, c' est un sot tout du long.
Concerts, bals et pièces nouvelles
nous instruisent mieux que cela.
Tra la la la, les demoiselles,
tra la la la, se forment là.
Qu' à broder une autre s' applique ;
maman, je veux au piano,
avec mon maître de musique,
d' Armide chanter le duo.
Je crois sentir les étincelles
de l' amour dont Renaud brûla.
Tra la la la, les demoiselles,
qu' une autre écrive la dépense ;
maman, pendant une heure ou deux,
je veux que mon maître de danse
m' enseigne un pas voluptueux.
Ma robe rend mes pieds rebelles :
un peu plus haut relevons-la.
Tra la la la, les demoiselles,
que sur ma soeur une autre veille ;
maman, je veux mettre au salon.
Déja je dessine à merveille
les contours de cet Apollon.
Grand dieu, que ses formes sont belles !
Sur-tout les beaux nus que voilà !
Tra la la la, les demoiselles,
maman, il faut qu' on me marie,
la coutume ainsi l' exigeant.
Je t' avoûrai, ma chère amie,
que même le cas est urgent.
Le monde sait de mes nouvelles,
mais on y rit de tout cela.
Tra la la la, les demoiselles,

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MADAME GREGOIRE

c' était de mon temps
que brillait Madame Grégoire.
J' allais à vingt ans
dans son cabaret rire et boire ;
elle attirait les gens
par des airs engageants.
Plus d' un brun à large poitrine
avait là crédit sur la mine.
Ah ! Comme on entrait
boire à son cabaret !
D' un certain époux
bien qu' elle pleurât la mémoire,
personne de nous
n' avait connu défunt Grégoire ;
mais à le remplacer
qui n' eût voulu penser ?
Heureux l' écot où la commère
apportait sa pinte et son verre !
Ah ! Comme on entrait
boire à son cabaret !
Je crois voir encor
son gros rire aller jusqu' aux larmes,
et sous sa croix d' or
l' ampleur de ses pudiques charmes.
Sur tous ses agréments
consultez ses amants :
au comptoir la sensible brune
leur rendait deux pièces pour une.
Ah ! Comme on entrait
boire à son cabaret !
Des buveurs grivois
les femmes lui cherchaient querelle.
Que j' ai vu de fois
des galants se battre pour elle !
La garde et les amours
se chamaillant toujours,
elle, en femme des plus capables,
dans son lit cachait les coupables.
Ah ! Comme on entrait
boire à son cabaret !
Quand ce fut mon tour
d' être en tout le maître chez elle,
c' était chaque jour
pour mes amis fête nouvelle.
Je ne suis point jaloux :
nous nous arrangions tous.
L' hôtesse, poussant à la vente,
nous livrait jusqu' à la servante.
Ah ! Comme on entrait
boire à son cabaret !
Tout est bien changé :
n' ayant plus rien à mettre en perce,
elle a pris congé
et des plaisirs et du commerce.
Que je regrette, hélas !
Sa cave et ses appas !
Long-temps encor chaque pratique
s' écrîra devant sa boutique :
ah ! Comme on entrait
boire à son cabaret !

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WebMaistre : Catelin Michel


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