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Chansons (première partie)
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PREFACE
Novembre 1815.
Pourquoi les libraires ne cessent-ils de vouloir des préfaces, et pourquoi les lecteurs ont-ils cessé de les lire ? On agite tous les jours, dans de graves assemblées, une foule de questions bien moins importantes que celle-ci, et je me propose de la résoudre dans un ouvrage en 3 volumes in-8, qui, si l' on en permet la publication, pourra amener la réforme de plusieurs abus très dangereux. Forcé en attendant de me conformer à l' usage, je me creusais la tête depuis un mois pour trouver le moyen de dire au public, qui ne s' en soucie guère, qu' ayant fait des chansons je prends le parti de les faire imprimer. Le bourgeois-gentilhomme, embrouillant son compliment à la belle comtesse, est moins embarrassé que je ne l' étais. J' appelais mes amis à mon aide ; et l' un d' eux profond érudit, vint il y a quelques jours m' offrir, pour mettre en tête de mon recueil, une dissertation qu' il trouve excellente, et dans laquelle il prouve que les flonflons , les fariradondé , les tourelouribo , et tant d' autres refrains qui ont eu le privilège de charmer nos pères, dérivent du grec et de l' hébreu. Quoique je sois ignorant comme un chansonnier, j' aime beaucoup les traits d' érudition. Enchanté de cette dissertation, je me préparais à en faire mon profit, ou plutôt celui du libraire, lorsqu' un autre de mes amis, car j' ai beaucoup d' amis (c' est ce qu' il est bon de consigner ici, attendu que les journaux pourront faire croire le contraire) ; lorsque, dis-je, un de mes amis, homme de plaisir et de bon sens, m' apporta d' un air empressé un chiffon de papier trouvé dans le fond d' un vieux secrétaire. C' est de l' écriture de Collé ! Me dit-il du plus loin qu' il m' aperçut. " j' ai confronté ce fragment avec le manuscrit des mémoires du premier de nos chansonniers, et je vous en garantis l' authenticité. Vous verrez en lisant pourquoi il n' a pas trouvé place dans ces mémoires, qui ne contiennent pas toujours des choses aussi raisonnables. " je ne me le fis pas dire deux fois ; et je lus avec la plus grande attention ce morceau, dont le fond des idées me séduisit tellement que d' abord je ne m' aperçus pas que le style pouvait faire douter un peu que Collé en fût l' auteur. Malgré toutes les observations de mon ami le savant, qui tenait à ce que j' adoptasse sa dissertation, je fis sur-le-champ le projet de me servir pour ma préface de ce legs que le hasard me procurait dans l' héritage d' un homme qui n' a laissé que des collatéraux. Ceux qui trouveront ce petit dialogue indigne de Collé pourront s' en prendre à l' ami qui me l' a fourni, et qui m' a assuré devoir en déposer le manuscrit chez un notaire, pour le soumettre à la confrontation des incrédules. Ces précautions prises, je le transcris ici en toute sûreté de conscience. CONVERSATION CENSEUR ET MOI 15 janvier 1768. (je prends la liberté de substituer le nom de Collé au moi qui se trouve dans tout le dialogue.) Le Censeur.
Voici, monsieur, mon approbation pour votre théâtre de société. Il contient des ouvrages charmants.Collé.
Et mes chansons, monsieur, mes chansons, comment les avez-vous traitées ?Le Censeur.
Vous me trouverez sévère. Mais je ne puis vous dissimuler que le choix ne m' en paraît pas sagement fait.Collé.
Connaîtriez-vous quelque bonne chanson que j' aurais omise ?Le Censeur.
J' ai été au contraire forcé d' indiquer la suppression d' un grand nombre.Collé, feuilletant son manuscrit.
Quoi, monsieur ! Vous exigez que je retranche...(ici le papier endommagé ne permet que de deviner le titre des chansons supprimées par le censeur.) Le Censeur.
Vous n' avez pas dû penser que cela passerait à la censure.Collé.
Elles ont bien passé ailleurs.Le Censeur.
Raison de plus.Collé.
Pardonnez ; je ne connaissais pas bien encore les raisons d' un censeur.Le Censeur.
Examinons avec sang-froid les deux genres de chansons qui m' ont contraint à la sévérité. D' abord pourquoi, dans des vaudevilles, mêlez-vous toujours quelques traits de satire relatifs aux circonstances ?Collé.
Que ne me demandez-vous plutôt pourquoi je fais des vaudevilles ? La chanson est essentiellement du
parti de l' opposition. D' ailleurs, en frondant
quelques abus qui n' en seront pas moins éternels, en
ridiculisant quelques personnages à qui l' on pourrait
souhaiter de n' être que ridicules, ai-je insulté
jamais à ce qui a droit au respect de tous ? Le
respect pour le souverain paraît-il me coûter ?Le Censeur.
Mais les ministres, monsieur, les ministres ! Si à Naples l' on peut sans danger offenser la divinité,
il n' y fait pas bon pour ceux qui parlent mal de saint Janvier.Collé.
Je le conçois : à Naples saint Janvier passe pour faire des miracles.Le Censeur.
Vous y seriez aussi incrédule qu' à Paris.Collé.
Dites aussi clairvoyant.Le Censeur.
Tant pis pour vous, monsieur. Au fait, de quoi se mêlent les faiseurs de chansons ? Vous en pouvez
convenir avec moins de peine qu' un autre : les chansonniers sont en littérature ce que les ménétriers sont en
musique.Collé.
Je l' ai dit cent fois avant vous. Mais convenez à
votre tour qu' il en est quelques uns qui ne jouent
pas du violon pour tout le monde. Plusieurs ne
seraient pas indignes de faire partie de la musique
dont le grand Condé se servait pour ouvrir la
tranchée, et tous deviennent utiles lorsqu' il
s' agit de faire célébrer au peuple des triomphes
dont sans eux fort souvent il ne sentirait que le
poids.Le Censeur.
Je n' ai point oublié la jolie chanson du
Port-Mahon. Monsieur Collé, ce n' est pas à vous
qu' on reprochera l' anglomanie . Mais cela ne
suffit pas. Pourquoi, par exemple, vous être fait
l' apôtre de certains principes d' indépendance qu' il
vaudrait mieux combattre ?Collé.
J' entends de quelles idées vous voulez parler.
Combattre ces idées, monsieur ! Il n' y aurait pas
plus de mérite à cela qu' à faire en Prusse des
épigrammes contre les capucins. Ne trouvez-vous pas
même que la plupart de ceux qui attaquent ces idées, qui
peut-être au fond sont les vôtres, ressemblent à des
aveugles qui voudraient casser les réverbères ?Le Censeur.
Je suis de votre avis, si vous voulez dire qu' ils
frappent à côté. Mais revenons à vos chansons. Tout
le monde rend justice à la loyauté de votre
caractère, à la régularité de vos moeurs ; et je
pense qu' il sera aisé de vous convaincre du tort que
vous feraient certaines gaillardises que je vous
engage à faire disparaître de votre recueil.Collé.
C' est parceque je ne crains point qu' on examine mes
moeurs que je me suis permis de peindre celles du
temps avec une exactitude qui participe de leur
licence.Le Censeur.
Vos tableaux choqueront les regards des gens rigides.Collé.
La chasteté porte un bandeau.Le Censeur.
Elle n' est pas sourde, et le ton libre de plusieurs
de vos chansons peut augmenter la corruption dont
vous faites la satire.Collé.
Quoi ! Comme l' a dit le bon La Fontaine,
les mères, les maris, me prendront aux cheveux
pour dix ou douze contes bleus !
Voyez un peu la belle affaire !
Ce que je n' ai pas fait mon livre irait le faire !Le Censeur.
L' autorité d' un grand homme est déplacée ici. Il ne
s' agit que de bagatelles que vous pouvez sacrifier
sans regret.Collé.
En avez-vous de les connaître ?Le Censeur.
Je ne dis pas cela.Collé.
En êtes-vous moins censeur et très censeur ?Le Censeur.
Je vous en fais juge.Collé.
Eh bien ! Après avoir lu ou chanté en secret mes
couplets les plus graveleux, les prudes n' en auront pas
plus de charité et les bigots pas plus de tolérance.
Laissez à ces gens-là le soin de me mettre à
l' index . Si vous leur ôtez le plaisir de crier
de temps à autre, on finira par croire à la réalité
de leurs vertus. Mes chansons peuvent fournir une
occasion de savoir à quoi s' en tenir sur le compte
de ces messieurs et de ces dames. C' est un service
qu' elles rendront aux gens véritablement sages, qui,
toujours indulgents, pardonnent des écarts à la
gaieté, et permettent à l' innocence de sourire. Le Censeur.
Hors de mon cabinet je pourrais trouver vos raisons
bonnes ; ici elles ne sont que spécieuses. Je vous
répète donc qu' il est impossible que j' autorise
l' impression des chansons que vous défendez si bien.Collé.
En ce cas je prends mon parti. Je les ferai
imprimer en Hollande sous le titre de chansons
que mon censeur n' a pas dû me passer .Le Censeur.
Je vous en retiens un exemplaire.Collé.
Vous mériteriez que je vous les dédiasse.Le Censeur.
Vous pouvez les adresser mieux, vous, Monsieur
Collé, qui avez pour protecteur un prince de
l' auguste maison dont vous avez si bien fait parler
le héros.Collé.
Que ne me protège-t-il contre les censeurs ?Le Censeur.
Et contre les feuilles périodiques.Collé.
En effet elles sont la seconde plaie de lalittérature. Le Censeur.
Quelle est la première, s' il vous plaît ?Collé.
Je vous le laisse à deviner, et cours chezl' imprimeur qui m' attend. Le Censeur.
Un moment. Je sais que jour par jour vous écrivez
ce que vous avez dit et fait. Ne vous avisez point
de transcrire ainsi notre conversation.Collé.
Vous n' y seriez point compromis.Le Censeur.
Bien ; mais un jour quelque écolier pourrait s' appuyer de vos arguments, et, à l' abri de votre nom,
tenter de justifier...(ici l' écriture, absolument illisible, m' a privé du reste de ce dialogue, qui n' est peut-être intéressant que pour un auteur placé dans une situation pareille à celle où Collé s' est trouvé. Malgré le soin qu' il avait pris de ne pas le joindre aux mémoires de sa vie, ce que le censeur avait craint est arrivé ; et l' écolier n' hésite point à se servir du nom de son maître, au risque d' être en butte à de graves reproches. Mon ami l' érudit m' a annoncé qu' il m' en arriverait malheur, et, pour donner du poids au pronostic, m' a retiré sa dissertation sur les flonflons . Le public n' y perdra rien. Il doit l' augmenter considérablement, et l' adresser en forme de mémoire à la troisième classe de l' institut. Elle obtiendra peut-être plus de succès que je n' ose en espérer pour mon recueil. Le moment serait mal choisi pour publier des chansons, si la futilité même des productions n' était une recommandation à une époque où l' on a plus besoin de se distraire que de s' occuper. Souhaitons que bientôt l' on puisse lire des poëmes épiques, sans souhaiter néanmoins qu' il en paraisse autant que chaque année voit éclore de chansonniers nouveaux.) post-scriptum de 1821.
Je crois inutile d' ajouter aucune réflexion à cette préface du recueil chantant que je publiai à la fin de 1815. J' ai fait depuis quelques tentatives pour étendre le domaine de la chanson. Le succès seul peut les justifier. Des amateurs du genre pourront se plaindre de la gravité de certains sujets que j' ai cru pouvoir traiter. Voici ma réponse : la chanson vit de l' inspiration du moment. Notre époque est sérieuse, même un peu triste : j' ai dû prendre le ton qu' elle m' a donné ; il est probable que je ne l' aurais pas choisi. Je pourrais repousser ainsi plusieurs autres critiques, s' il n' était naturel de penser qu' on accordera trop peu d' attention à ces chansons pour qu' il soit nécessaire de les défendre sérieusement. Un recueil de chansons est et sera toujours un livre sans conséquence. Entrée du Site / Haut de la page LE ROI D'YVETOT Mai 1813. Il était un roi d' Yvetot peu connu dans l' histoire, se levant tard, se couchant tôt, dormant fort bien sans gloire ; et couronné par Jeanneton d' un simple bonnet de coton, dit-on. Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Quel bon petit roi c' était là ! La, la. Il faisait ses quatre repas dans son palais de chaume, et sur un âne, pas à pas, parcourait son royaume. Joyeux, simple et croyant le bien, pour toute garde il n' avait rien qu' un chien. Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Quel bon petit roi c' était là ! La, la. Il n' avait de goût onéreux qu' une soif un peu vive ; mais, en rendant son peuple heureux, il faut bien qu' un roi vive. Lui-même, à table et sans suppôt, sur chaque muid levait un pot d' impôt. Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Quel bon petit roi c' était là ! La, la. Aux filles de bonnes maisons comme il avait su plaire, ses sujets avaient cent raisons de le nommer leur père : d' ailleurs il ne levait de ban que pour tirer, quatre fois l' an, au blanc. Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Quel bon petit roi c' était là ! La, la. Il n' agrandit point ses états, fut un voisin commode, et, modèle des potentats, prit le plaisir pour code. Ce n' est que lorsqu' il expira que le peuple qui l' enterra pleura. Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Quel bon petit roi c' était là ! La, la. On conserve encor le portrait de ce digne et bon prince ; c' est l' enseigne d' un cabaret fameux dans la province. Les jours de fête, bien souvent, la foule s' écrie en buvant devant : oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Quel bon petit roi c' était là ! La, la. Entrée du Site / Haut de la page LA BACCHANTE Cher amant, je cède à tes desirs : de champagne enivre Julie. Inventons, s' il se peut, des plaisirs ; des amours épuisons la folie. Verse-moi ce joyeux poison ; mais sur-tout bois à ta maîtresse : je rougirais de mon ivresse, si tu conservais ta raison. Vois déja briller dans mes regards tout le feu dont mon sang bouillonne. Sur ton lit, de mes cheveux épars, fleur à fleur vois tomber ma couronne. Le cristal vient de se briser : dieux ! Baise ma gorge brûlante, et taris l' écume enivrante dont tu te plais à l' arroser. Verse encor ! Mais pourquoi ces atours entre tes baisers et mes charmes ? Romps ces noeuds, oui, romps-les pour toujours : ma pudeur ne connaît plus d' alarmes. Presse en tes bras mes charmes nus. Ah ! Je sens redoubler mon être ! à l' ardeur qu' en moi tu fais naître ton ardeur ne suffira plus. Dans mes bras tombe enfin à ton tour ; mais, hélas ! Tes baisers languissent. Ne bois plus, et garde à mon amour ce nectar où tes feux s' amortissent. De mes desirs mal apaisés, ingrat, si tu pouvais te plaindre, j' aurai du moins pour les éteindre le vin où je les ai puisés. Entrée du Site / Haut de la page LE SENATEUR 1813. Mon épouse fait ma gloire : Rose a de si jolis yeux ! Je lui dois, l' on peut m' en croire, un ami bien précieux. Le jour où j' obtins sa foi un sénateur vint chez moi. Quel honneur ! Quel bonheur ! Ah ! Monsieur le sénateur, je suis votre humble serviteur. De ses faits je tiens registre : c' est un homme sans égal. L' autre hiver, chez un ministre, il mena ma femme au bal. S' il me trouve en son chemin, il me frappe dans la main. Quel honneur ! Quel bonheur ! Ah ! Monsieur le sénateur, je suis votre humble serviteur. Près de Rose il n' est point fade, et n' a rien de freluquet. Lorsque ma femme est malade, il fait mon cent de piquet. Il m' embrasse au jour de l' an ; il me fête à la saint-Jean. Quel honneur ! Quel bonheur ! Ah ! Monsieur le sénateur, je suis votre humble serviteur. Chez moi qu' un temps effroyable me retienne après dîner, il me dit d' un air aimable : " allez donc vous promener ; mon cher, ne vous gênez pas, mon équipage est là bas. " quel honneur ! Quel bonheur ! Ah ! Monsieur le sénateur, je suis votre humble serviteur. Certain soir à sa campagne il nous mena par hasard ; il m' enivra de champagne, et Rose fit lit à part : mais de la maison, ma foi, le plus beau lit fut pour moi. Quel honneur ! Quel bonheur ! Ah ! Monsieur le sénateur, je suis votre humble serviteur. à l' enfant que Dieu m' envoie pour parrain je l' ai donné. C' est presque en pleurant de joie qu' il baise le nouveau-né ; et mon fils, dès ce moment, est mis sur son testament. Quel honneur ! Quel bonheur ! Ah ! Monsieur le sénateur, je suis votre humble serviteur. à table il aime qu' on rie ; mais parfois j' y suis trop vert. J' ai poussé la raillerie jusqu' à lui dire au dessert : on croit, j' en suis convaincu, que vous me faites c... quel honneur ! Quel bonheur ! Ah ! Monsieur le sénateur, je suis votre humble serviteur. Entrée du Site / Haut de la page L'ACADEMIE ET LE CAVEAU Chanson de réception au caveau moderne. Au caveau je n' osais frapper ; des méchants m' avaient su tromper. C' est presque un cercle académique, me disait maint esprit caustique. Mais, que vois-je ! De bons amis que rassemble un couvert bien mis. Asseyez-vous, me dit la compagnie. Non, non, ce n' est point comme à l' académie. Ce n' est point comme à l' académie. Je me voyais, pendant un mois, courant pour disputer les voix à des gens qu' appuîrait le zèle d' un grand seigneur ou d' une belle : mais, faisant moitié du chemin, vous m' accueillez le verre en main. D' ici l' intrigue est à jamais bannie : non, non, ce n' est point comme à l' académie. Ce n' est point comme à l' académie. Toussant, crachant, faudra-t-il donc, dans un discours superbe et long, dire : quel honneur vous me faites ! Messieurs, vous êtes trop honnêtes ; ou quelque chose d' aussi fort ? Mais que je m' effrayais à tort ! On peut ici montrer moins de génie. Non, non, ce n' est point comme à l' académie. Ce n' est point comme à l' académie. Je croyais voir le président faire bâiller en répondant que l' on vient de perdre un grand homme ; que moi je le vaux, Dieu sait comme. Mais ce président sans façon ne pérore ici qu' en chanson : toujours trop tôt sa harangue est finie. Non, non, ce n' est point comme à l' académie. Ce n' est point comme à l' académie. Admis enfin, aurai-je alors, pour tout esprit, l' esprit de corps ? Il rend le bon sens, quoi qu' on dise, solidaire de la sottise ; mais dans votre société, l' esprit de corps c' est la gaîté. Cet esprit-là règne sans tyrannie. Non, non, ce n' est point comme à l' académie. Ce n' est point comme à l' académie. Ainsi, j' en juge à votre accueil, ma chaise n' est point un fauteuil. Que je vais chérir cet asile, où tant de fois le vaudeville a renouvelé ses grelots, et sur la porte écrit ces mots : joie, amitié, malice et bonhomie ! Non, non, ce n' est point comme à l' académie. Ce n' est point comme à l' académie. Entrée du Site / Haut de la page LA GAUDRIOLE Momus a pris pour adjoints des rimeurs d' école : des chansons en quatre points le froid nous désole. Mirliton s' en est allé. Ah ! La muse de Collé, c' est la gaudriole, ô gué, c' est la gaudriole. Moi, des sujets polissons le ton m' affriole. Minerve dans mes chansons fait la cabriole. De ma grand' mère, après tout, Tartufes, je tiens le goût de la gaudriole, ô gué, de la gaudriole. Elle amusait à dix ans son maître d' école. Des cordeliers gros plaisants elle fut l' idole. Au prêtre qui l' exhortait, en mourant elle contait une gaudriole, ô gué, une gaudriole. C' était la régence alors ; et, sans hyperbole, grace aux plus drôles de corps, la France était folle. Tous les hommes plaisantaient, et les femmes se prêtaient à la gaudriole, ô gué, à la gaudriole. On ne rit guère aujourd' hui. Est-on moins frivole ? Trop de gloire nous a nui ; le plaisir s' envole. Mais au français attristé qui peut rendre la gaîté ? C' est la gaudriole, ô gué, c' est la gaudriole. Prudes, qui ne criez plus lorsqu' on vous viole, pourquoi prendre un air confus à chaque parole ? Passez les mots aux rieurs : les plus gros sont les meilleurs pour la gaudriole, ô gué, pour la gaudriole. Entrée du Site / Haut de la page ROGER BONTEMPS 1814. Aux gens atrabilaires pour exemple donné, en un temps de misères Roger Bontemps est né. Vivre obscur à sa guise, narguer les mécontents ; eh gai ! C' est la devise du gros Roger Bontemps. Du chapeau de son père, coiffé dans les grands jours, de roses ou de lierre le rajeunir toujours ; mettre un manteau de bure, vieil ami de vingt ans ; eh gai ! C' est la parure du gros Roger Bontemps. Posséder dans sa hutte une table, un vieux lit, des cartes, une flûte, un broc que Dieu remplit, un portrait de maîtresse, un coffre et rien dedans ; eh gai ! C' est la richesse du gros Roger Bontemps. Aux enfants de la ville montrer de petits jeux ; être un faiseur habile de contes graveleux ; ne parler que de danse et d' almanachs chantants ; eh gai ! C' est la science du gros Roger Bontemps. Faute de vin d' élite, sabler ceux du canton ; préférer Marguerite aux dames du grand ton ; de joie et de tendresse remplir tous ses instants ; eh gai ! C' est la sagesse du gros Roger Bontemps. Dire au ciel : je me fie, mon père, à ta bonté ; de ma philosophie pardonne la gaîté ; que ma saison dernière soit encore un printemps ; eh gai ! C' est la prière du gros Roger Bontemps. Vous, pauvres pleins d' envie, vous, riches desireux, vous, dont le char dévie après un cours heureux ; vous, qui perdrez peut-être des titres éclatants, eh gai ! Prenez pour maître le gros Roger Bontemps. Entrée du Site / Haut de la page PARNY Je disais au fils d' épicure : " réveillez par vos joyeux chants Parny, qui sait de la nature célébrer les plus doux penchants. " mais les chants que la joie inspire font place aux regrets superflus : Parny n' est plus ! Il vient d' expirer sur sa lyre : Parny n' est plus ! Je disais aux graces émues : " il vous doit sa célébrité. Montrez-vous à lui demi-nues ; qu' il peigne encor la volupté. " mais chacune d' elles soupire auprès des plaisirs éperdus. Parny n' est plus ! Il vient d' expirer sur sa lyre : Parny n' est plus ! Je disais aux dieux du bel âge : " amours, rendez à ses vieux ans les fleurs qu' aux pieds d' une volage il prodigua dans son printemps. " mais en pleurant je les vois lire des vers qu' ils ont cent fois relus. Parny n' est plus ! Il vient d' expirer sur sa lyre : Parny n' est plus ! Je disais aux muses plaintives : " oubliez vos malheurs récents ; pour charmer l' écho de nos rives, il vous suffit de ses accents. " mais du poétique délire elles brisent les attributs. Parny n' est plus ! Il vient d' expirer sur sa lyre : Parny n' est plus ! Il n' est plus ! Ah ! Puisse l' envie s' interdire un dernier effort ! Immortel il quitte la vie ; pour lui tous les dieux sont d' accord. Que la haine, prête à maudire, pardonne aux aimables vertus. Parny n' est plus ! Il vient d' expirer sur sa lyre : Parny n' est plus ! Entrée du Site / Haut de la page MA GRAND'MERE Ma grand' mère, un soir à sa fête, de vin pur ayant bu deux doigts, nous disait en branlant la tête : que d' amoureux j' eus autrefois ! Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite, et le temps perdu ! Quoi ! Maman, vous n' étiez pas sage ! -non vraiment ; et de mes appas seule à quinze ans j' appris l' usage, car la nuit je ne dormais pas. Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite, maman, vous aviez le coeur tendre ? -oui, si tendre, qu' à dix-sept ans, Lindor ne se fit pas attendre, et qu' il n' attendit pas long-temps. Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite, maman, Lindor savait donc plaire ? -oui, seul il me plut quatre mois : mais bientôt j' estimai Valère, et fis deux heureux à-la-fois. Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite, quoi ! Maman, deux amants ensemble ! -oui, mais chacun d' eux me trompa. Plus fine alors qu' il ne vous semble, j' épousai votre grand-papa. Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite, maman, que lui dit la famille ? -rien, mais un mari plus sensé eût pu connaître à la coquille que l' oeuf était déja cassé. Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite, maman, lui fûtes-vous fidèle ? -oh ! Sur cela je me tais bien. à moins qu' à lui Dieu ne m' appelle, mon confesseur n' en saura rien. Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite, bien tard, maman, vous fûtes veuve ? -oui ; mais, graces à ma gaîté, si l' église n' était plus neuve, le saint n' en fut pas moins fêté. Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite, comme vous, maman, faut-il faire ? -eh ! Mes petits-enfants, pourquoi, quand j' ai fait comme ma grand' mère, ne feriez-vous pas comme moi ? Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite, Entrée du Site / Haut de la page LE MORT VIVANT lorsque l' ennui pénètre dans mon fort, priez pour moi : je suis mort, je suis mort ! Quand le plaisir à grands coups m' abreuvant gaîment m' assiège et derrière et devant, je suis vivant, bien vivant, très vivant ! Un sot fait-il sonner son coffre-fort, priez pour moi : je suis mort, je suis mort ! Volnay, Pomard, Beaune, et moulin-à-vent, fait-on sonner votre âge en vous servant, je suis vivant, bien vivant, très vivant ! Des pauvres rois veut-on régler le sort, priez pour moi : je suis mort, je suis mort ! En fait de vin qu' on se montre savant ; dût-on pousser le sujet trop avant, je suis vivant, bien vivant, très vivant ! Faut-il aller guerroyer dans le nord, priez pour moi : je suis mort, je suis mort ! Que, près du feu, l' un l' autre se bravant, on trinque assis derrière un paravent, je suis vivant, bien vivant, très vivant ! De beaux esprits s' annoncent-ils d' abord, priez pour moi : je suis mort, je suis mort ! Mais, sans esprit, faut-il mettre en avant de gais couplets qu' on répète en buvant, je suis vivant, bien vivant, très vivant ! Suis-je au sermon d' un bigot qui m' endort, priez pour moi : je suis mort, je suis mort ! Que l' amitié réclame un coeur fervent, que dans la cave elle fonde un couvent, je suis vivant, bien vivant, très vivant ! Monseigneur entre, et la liberté sort, priez pour moi : je suis mort, je suis mort ! Mais que Thémire, à table nous trouvant, avec l' aï s' égaie en arrivant, je suis vivant, bien vivant, très vivant ! Faut-il sans boire abandonner ce bord, priez pour moi : je suis mort, je suis mort ! Mais pour m' y voir jeter l' ancre souvent, le verre en main, quand j' implore un bon vent, je suis vivant, bien vivant, très vivant ! Entrée du Site / Haut de la page LE PRINTEMPS ET L'AUTOMNE Deux saisons règlent toutes choses, pour qui sait vivre en s' amusant : au printemps nous devons les roses, à l' automne un jus bienfaisant. Les jours croissent ; le coeur s' éveille : on fait le vin quand ils sont courts. Au printemps, adieu la bouteille ! En automne, adieu les amours ! Mieux il vaudrait unir sans doute ces deux penchants faits pour charmer ; mais pour ma santé je redoute de trop boire et de trop aimer. Or, la sagesse me conseille de partager ainsi mes jours : au printemps, adieu la bouteille ! Au mois de mai j' ai vu Rosette, et mon coeur a subi ses lois. Que de caprices la coquette m' a fait essuyer en six mois ! Pour lui rendre enfin la pareille, j' appelle octobre à mon secours. Au printemps, adieu la bouteille ! Je prends, quitte, et reprends Adèle, sans façon comme sans regrets. Au revoir, un jour me dit-elle. Elle revint long-temps après ; j' étais à chanter sous la treille : ah ! Dis-je, l' année a son cours. Au printemps, adieu la bouteille ! Mais il est une enchanteresse qui change à son gré mes plaisirs. Du vin elle excite l' ivresse, et maîtrise jusqu' aux desirs. Pour elle ce n' est pas merveille de troubler l' ordre de mes jours, au printemps avec la bouteille, en automne avec les amours. Entrée du Site / Haut de la page LA MERE AVEUGLE Tout en filant votre lin, écoutez-moi bien, ma fille. Déja votre coeur sautille au nom du jeune Colin. Craignez ce qu' il vous conseille. Quoique aveugle, je surveille ; à tout je prête l' oreille, et vous soupirez tout bas. Votre Colin n' est qu' un traître... mais vous ouvrez la fenêtre ; Lise, vous ne filez pas. Il fait trop chaud, dites-vous ; mais par la fenêtre ouverte, à Colin, toujours alerte, ne faites pas les yeux doux. Vous vous plaignez que je gronde : hélas ! Je fus jeune et blonde, je sais combien dans ce monde on peut faire de faux pas. L' amour trop souvent l' emporte... mais quelqu' un est à la porte ; Lise, vous ne filez pas. C' est le vent, me dites-vous, qui fait crier la serrure ; et mon vieux chien qui murmure gagne à cela de bons coups. Oui, fiez-vous à mon âge : Colin deviendra volage ; craignez, si vous n' êtes sage, de pleurer sur vos appas... grand dieu ! Que viens-je d' entendre ? C' est le bruit d' un baiser tendre ; Lise, vous ne filez pas. C' est votre oiseau, dites-vous, c' est votre oiseau qui vous baise ; dites-lui donc qu' il se taise, et redoute mon courroux. Ah ! D' une folle conduite le déshonneur est la suite ; l' amant qui vous a séduite en rit même entre vos bras. Que la prudence vous sauve... mais vous allez vers l' alcôve ; Lise, vous ne filez pas. C' est pour dormir, dites-vous. Quoi ! Me jouer de la sorte ! Colin est ici, qu' il sorte, ou devienne votre époux. En attendant qu' à l' église le séducteur vous conduise, filez, filez, filez, Lise, près de moi, sans faire un pas. En vain votre lin s' embrouille ; avec une autre quenouille, non, vous ne filerez pas. Entrée du Site / Haut de la page LE PETIT HOMME GRIS Il est un petit homme tout habillé de gris, dans Paris, joufflu comme une pomme, qui, sans un sou comptant, vit content, et dit : moi, je m' en... et dit : moi, je m' en... ma foi, moi, je m' en ris ! Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris ! à courir les fillettes, à boire sans compter, à chanter, il s' est couvert de dettes ; mais, quant aux créanciers, aux huissiers, il dit : moi, je m' en... il dit : moi, je m' en... ma foi, moi, je m' en ris ! Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris ! Qu' il pleuve dans sa chambre ; qu' il s' y couche le soir sans y voir ; qu' il lui faille en décembre souffler, faute de bois, dans ses doigts, il dit : moi, je m' en... il dit : moi, je m' en... ma foi, moi, je m' en ris ! Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris ! Sa femme, assez gentille, fait payer ses atours aux amours ; aussi, plus elle brille, plus on le montre au doigt. Il le voit, et dit : moi, je m' en... et dit : moi, je m' en... ma foi, moi, je m' en ris ! Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris ! Quand la goutte l' accable sur un lit délabré, le curé, de la mort et du diable, parle à ce moribond, qui répond : ma foi, moi, je m' en... ma foi, moi je m' en... ma foi, moi, je m' en ris ! Oh ! Qu' il est gai le petit homme gris ! Entrée du Site / Haut de la page BONNE FILLE OU MOEURS DU TEMPS 1812. Je sais fort bien que sur moi l' on babille, que soi-disant j' ai le ton trop plaisant ; mais cet air amusant sied si bien à Camille ! Philosophe par goût, et toujours et de tout je ris, je ris, tant je suis bonne fille. Pour le théâtre ayant quitté l' aiguille, à mon début, craignant quelque rebut, je me livre en tribut au censeur Mascarille ; et ce cuistre insolent dénigre mon talent ; mais moi j' en ris, tant je suis bonne fille. Un sénateur, qui toujours apostille, dit : je voudrais servir tes intérêts. Lors j' essaie à grands frais d' échauffer le vieux drille. Quoi qu' il fît espérer, je n' en pus rien tirer ; mais j' en ai ri, tant je suis bonne fille. Un chambellan, qui de clinquant petille, après qu' un jour il m' eut fait voir la cour, enrichit mon amour de ce jonc qui scintille. J' en fais voir le chaton : c' est du faux, me dit-on ; et moi j' en ris, tant je suis bonne fille. Un bel esprit, beau de l' esprit qu' il pille, grace à moi fut nommé de l' institut. Quand des voix qu' il me dut vient l' éclat dont il brille, avec moi que de fois il a manqué de voix ! Mais j' en ai ri, tant je suis bonne fille. Un lycéen, qui sort de sa coquille, tout triomphant, dans ses bras m' étouffant, de me faire un enfant me proteste qu' il grille ; et le petit morveux, au lieu d' un, m' en fait deux ; mais moi j' en ris, tant je suis bonne fille. Trois auditeurs me disent : viens, Camille, soupe avec nous ; que nous fassions les fous. J' étais seule pour tous : l' un d' eux me déshabille. Puis le vin met dedans nos petits intendants ; et moi j' en ris, tant je suis bonne fille. Telle est ma vie ; et sur mainte vétille j' aurais ici pu glisser, dieu merci ! Dans ses jupons aussi je sais qu' on s' entortille ; mais les restrictions, mais les précautions, moi je m' en ris, tant je suis bonne fille. Entrée du Site / Haut de la page AINSI SOIT-IL ! 1812. Je suis devin, mes chers amis ; l' avenir qui nous est promis se découvre à mon art subtil. Ainsi soit-il ! Plus de poëte adulateur ; le puissant craindra le flatteur ; nul courtisan ne sera vil. Ainsi soit-il ! Plus d' usuriers, plus de joueurs, de petits banquiers grands seigneurs, et pas un commis incivil. Ainsi soit-il ! L' amitié, charme de nos jours, ne sera plus un froid discours dont l' infortune rompt le fil. Ainsi soit-il ! La fille, novice à quinze ans, à dix-huit avec ses amants n' exercera que son babil. Ainsi soit-il ! Femme fuira les vains atours, et son mari pendant huit jours pourra s' absenter sans péril. Ainsi soit-il ! L' on montrera dans chaque écrit plus de génie et moins d' esprit, laissant tout jargon puéril. Ainsi soit-il ! L' auteur aura plus de fierté, l' acteur moins de fatuité ; le critique sera civil. Ainsi soit-il ! On rira des erreurs des grands, on chansonnera leurs agents, sans voir arriver l' alguazil. Ainsi soit-il ! En France enfin renaît le goût ; la justice règne par-tout, et la vérité sort d' exil. Ainsi soit-il ! Or, mes amis, bénissons Dieu, qui met chaque chose en son lieu : celles-ci sont pour l' an trois mil. Ainsi soit-il ! Entrée du Site / Haut de la page L'EDUCATION DES DEMOISELLES Le bel instituteur de filles que ce monsieur De Fénelon ! Il parle de messe et d' aiguilles : maman, c' est un sot tout du long. Concerts, bals et pièces nouvelles nous instruisent mieux que cela. Tra la la la, les demoiselles, tra la la la, se forment là. Qu' à broder une autre s' applique ; maman, je veux au piano, avec mon maître de musique, d' Armide chanter le duo. Je crois sentir les étincelles de l' amour dont Renaud brûla. Tra la la la, les demoiselles, qu' une autre écrive la dépense ; maman, pendant une heure ou deux, je veux que mon maître de danse m' enseigne un pas voluptueux. Ma robe rend mes pieds rebelles : un peu plus haut relevons-la. Tra la la la, les demoiselles, que sur ma soeur une autre veille ; maman, je veux mettre au salon. Déja je dessine à merveille les contours de cet Apollon. Grand dieu, que ses formes sont belles ! Sur-tout les beaux nus que voilà ! Tra la la la, les demoiselles, maman, il faut qu' on me marie, la coutume ainsi l' exigeant. Je t' avoûrai, ma chère amie, que même le cas est urgent. Le monde sait de mes nouvelles, mais on y rit de tout cela. Tra la la la, les demoiselles, Entrée du Site / Haut de la page MADAME GREGOIRE c' était de mon temps que brillait Madame Grégoire. J' allais à vingt ans dans son cabaret rire et boire ; elle attirait les gens par des airs engageants. Plus d' un brun à large poitrine avait là crédit sur la mine. Ah ! Comme on entrait boire à son cabaret ! D' un certain époux bien qu' elle pleurât la mémoire, personne de nous n' avait connu défunt Grégoire ; mais à le remplacer qui n' eût voulu penser ? Heureux l' écot où la commère apportait sa pinte et son verre ! Ah ! Comme on entrait boire à son cabaret ! Je crois voir encor son gros rire aller jusqu' aux larmes, et sous sa croix d' or l' ampleur de ses pudiques charmes. Sur tous ses agréments consultez ses amants : au comptoir la sensible brune leur rendait deux pièces pour une. Ah ! Comme on entrait boire à son cabaret ! Des buveurs grivois les femmes lui cherchaient querelle. Que j' ai vu de fois des galants se battre pour elle ! La garde et les amours se chamaillant toujours, elle, en femme des plus capables, dans son lit cachait les coupables. Ah ! Comme on entrait boire à son cabaret ! Quand ce fut mon tour d' être en tout le maître chez elle, c' était chaque jour pour mes amis fête nouvelle. Je ne suis point jaloux : nous nous arrangions tous. L' hôtesse, poussant à la vente, nous livrait jusqu' à la servante. Ah ! Comme on entrait boire à son cabaret ! Tout est bien changé : n' ayant plus rien à mettre en perce, elle a pris congé et des plaisirs et du commerce. Que je regrette, hélas ! Sa cave et ses appas ! Long-temps encor chaque pratique s' écrîra devant sa boutique : ah ! Comme on entrait boire à son cabaret ! 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