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Brise marine Un peintre À Emmanuel Lansyer Il a compris la race antique aux yeux pensifs Qui foule le sol dur de la terre bretonne, La lande rase, rose et grise et monotone Où croulent les manoirs sous le lierre et les ifs. Des hauts talus plantés de hêtres convulsifs, Il a vu, par les soirs tempétueux d'automne, Sombrer le soleil rouge en la mer qui moutonne ; Sa lèvre s'est salée à l'embrun des récifs Il a peint l'océan splendide, immense et triste, Où le nuage laisse un reflet d'améthyste, L'émeraude écumante et le calme saphir ; El fixant l'eau, l'air, l'ombre et l'heure insaisissables, Sur une toile étroite il a fait réfléchir Le ciel occidental dans le miroir des sables Bretagne Pour que le sang joyeux dompte l'esprit morose, Il faut, tout parfumé du sel des goëmons, Que le souffle atlantique emplisse tes poumons ; Arvor t'offre ses caps que la mer blanche arrose. L'ajonc fleurit et la bruyère est déjà rose. La terre des vieux clans, des nains et des démons, Ami, te garde encor, sur le granit des monts, L'homme immobile auprès de l'immuable chose. Viens. Partout tu verras, par les landes d'Arèz, Monter vers le ciel morne, infrangible cyprès, Le menhir sous lequel gît la cendre du Brave ; Et l'océan, qui roule en un lit d'algues d'or Is la voluptueuse et la grande Occismor, Bercera ton coeur triste à son murmure grave. Floridum mare La moisson débordant le plateau diapré Roule, ondule et déferle au vent frais qui la berce ; Et le profil, au ciel lointain, de quelque herse Semble un bateau qui tangue et lève un noir beaupré. Et sous mes pieds, la mer, jusqu'au couchant pourpré, Céruléenne ou rose ou violette ou perse Ou blanche de moutons que le reflux disperse, Verdoie à l'infini comme un immense pré. Aussi les goëlands qui suivent la marée, Vers les blés mûrs que gonfle une houle dorée, Avec des cris joyeux, volaient en tourbillons ; Tandis que, de la terre, une brise emmiellée Éparpillait au gré de leur ivresse ailée Sur l'océan fleuri des vols de papillons. Soleil couchant Les ajoncs éclatants, parure du granit, Dorent l'âpre sommet que le couchant allume ; Au loin, brillante encor par sa barre d'écume, La mer sans fin commence où la terre finit. À mes pieds c'est la nuit, le silence. Le nid Se tait, l'homme est rentré sous le chaume qui fume ; Seul, l'Angélus du soir, ébranlé dans la brume, À la vaste rumeur de l'océan s'unit. Alors, comme du fond d'un abîme, des traînes, Des landes, des ravins, montent des voix lointaines De pâtres attardés ramenant le bétail. L'horizon tout entier s'enveloppe dans l'ombre, Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre, Ferme les branches d'or de son rouge éventail. Maris stella Sous les coiffes de lin, toutes, croisant leurs bras Vêtus de laine rude ou de mince percale, Les femmes, à genoux sur le roc de la cale, Regardent l'océan blanchir l'île de Batz. Les hommes, pères, fils, maris, amants, là-bas, Avec ceux de Paimpol, d'Audierne et de Cancale, Vers le Nord, sont partis pour la lointaine escale. Que de hardis pêcheurs qui ne reviendront pas ! Par-dessus la rumeur de la mer et des côtes Le chant plaintif s'élève, invoquant à voix hautes L'Étoile sainte, espoir des marins en péril ; Et l'Angélus, courbant tous ces fronts noirs de hâle, Des clochers de Roscoff à ceux de Sybiril S'envole, tinte et meurt dans le ciel rose et pâle. Le bain L'homme et la bête, tels que le beau monstre antique Sont entrés dans la mer, et nus, libres, sans frein, Parmi la brume d'or de l'âcre pulvérin, Sur le ciel embrasé font un groupe athlétique. Et l'étalon sauvage et le dompteur rustique, Humant à pleins poumons l'odeur du sel marin, Se plaisent à laisser sur la chair et le crin Frémir le flot glacé de la rude Atlantique. La houle s'enfle, court, se dresse comme un mur Et déferle. Lui crie. Il hennit, et sa queue En jets éblouissants fait rejaillir l'eau bleue ; Et, les cheveux épars, s'effarant dans l'azur, Ils opposent, cabrés, leur poitrail noir qui fume, Au fouet échevelé de la fumante écume. Blason céleste J'ai vu parfois, ayant tout l'azur pour émail, Les nuages d'argent et de pourpre et de cuivre, À l'occident où il s'éblouit à les suivre Peindre d'un grand blason le céleste vitrail. Pour cimier, pour supports, l'héraldique bétail, Licorne, léopard, alérion ou guivre, Monstres, géants captifs qu'un coup de vent délivre, Exhaussent leur stature et cabrent leur poitrail. Certe, aux champs de l'espace, en ces combats étranges Que les noirs Séraphins livrèrent aux Archanges, Cet écu fut gagné par un Baron du ciel ; Comme ceux qui jadis prirent Constantinople, Il porte, en bon croisé, qu'il soit George ou Michel, Le soleil, besant d'or, sur la mer de sinople. Armor Pour me conduire au Raz, j'avais pris à Trogor Un berger chevelu comme un ancien Évhage ; Et nous foulions, humant son arôme sauvage, L'âpre terre kymrique où croît le genêt d'or. Le couchant rougissait et nous marchions encor, Lorsque le souffle amer me fouetta le visage ; Et l'homme, par-delà le morne paysage Étendant un long bras, me dit : Senèz Ar-Mor ! Et je vis, me dressant sur la bruyère rose, L'océan qui, splendide et monstrueux, arrose Du sel vert de ses eaux les caps de granit noir ; Et mon coeur savoura, devant l'horizon vide Que reculait vers l'ouest l'ombre immense du soir L'ivresse de l'espace et du vent intrépide. Mer montante Le soleil semble un phare à feux fixes et blancs. Du Raz jusqu'à Penmarc'h la côte entière fume, Et seuls, contre le vent qui rebrousse leur plume, À travers la tempête errent les goëlands. L'une après l'autre, avec de furieux élans, Les lames glauques sous leur crinière d'écume, Dans un tonnerre sourd s'éparpillant en brume Empanachent au loin les récifs ruisselants. Et j'ai laissé courir le flot de ma pensée, Rêves, espoirs, regrets de force dépensée, Sans qu'il en reste rien qu'un souvenir amer. L'océan m'a parlé d'une voix fraternelle, Car la même clameur que pousse encor la mer Monte de l'homme aux Dieux, vainement éternelle. Brise marine L'hiver a défleuri la lande et le courtil. Tout est mort. Sur la roche uniformément grise Où la lame sans fin de l'Atlantique brise, Le pétale fané pend au dernier pistil. Et pourtant je ne sais quel arome subtil Exhalé de la mer jusqu'à moi par la brise, D'un effluve si tiède emplit mon coeur qu'il grise ; Ce souffle étrangement parfumé, d'où vient-il ? Ah ! Je le reconnais. C'est de trois mille lieues Qu'il vient, de l'ouest, là-bas où les Antilles bleues Se pâment sous l'ardeur de l'astre occidental ; Et j'ai, de ce récif battu du flot kymrique, Respiré dans le vent qu'embauma l'air natal La fleur jadis éclose au jardin d'Amérique. |
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Par quels froids océans, depuis combien d'hivers,
- Qui le saura jamais, Conque frêle et nacrée ! -
La houle sous-marine et les raz de marée
T'ont-ils roulée au creux de leurs abîmes verts ?
Aujourd'hui, sous le ciel, loin des reflux amers
Tu t'es fait un doux lit de l'arène dorée.
Mais ton espoir est vain. Longue et désespérée,
En toi gémit toujours la grande voix des mers.
Mon âme est devenue une prison sonore
Et comme en tes replis pleure et soupire encore
La plainte du refrain de l'ancienne clameur ;
Ainsi du plus profond de ce coeur trop plein d'Elle,
Sourde, lente, insensible et pourtant éternelle,
Gronde en moi l'orageuse et lointaine rumeur.
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Qu'il soit encourtiné de brocart ou de serge,
Triste comme une tombe ou joyeux comme un nid,
C'est là que l'homme naît, se repose et s'unit,
Enfant, époux, vieillard, aïeule, femme ou vierge.
Funèbre ou nuptial, que l'eau sainte l'asperge
Sous le noir crucifix ou le rameau bénit,
C'est là que tout commence et là que tout finit,
De la première aurore au feu du dernier cierge.
Humble, rustique et clos, ou fier du pavillon
Triomphalement peint d'or et de vermillon,
Qu'il soit de chêne brut, de cyprès ou d'érable ;
Heureux qui peut dormir sans peur et sans remords
Dans le lit paternel, massif et vénérable,
Où tous les siens sont nés aussi bien qu'ils sont morts.
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Quand l'aigle a dépassé les neiges éternelles,
À ses larges poumons il veut chercher plus d'air
Et le soleil plus proche en un azur plus clair
Pour échauffer l'éclat de ses mornes prunelles.
Il s'enlève. Il aspire un torrent d'étincelles.
Toujours plus haut, enflant son vol tranquille et fier,
Il plane sur l'orage et monte vers l'éclair
Mais la foudre d'un coup a rompu ses deux ailes.
Avec un cri sinistre, il tournoie, emporté
Par la trombe, et, crispé, buvant d'un trait sublime
La flamme éparse, il plonge au fulgurant abîme.
Heureux qui pour la Gloire ou pour la Liberté,
Dans l'orgueil de la force et l'ivresse du rêve,
Meurt ainsi d'une mort éblouissante et brève !
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L'homme a conquis la terre ardente des lions
Et celle des venins et celle des reptiles,
Et troublé l'océan où cinglent les nautiles
Du sillage doré des anciens galions.
Mais plus loin que la neige et que les tourbillons
Du Ström et que l'horreur des Spitzbergs infertiles,
Le Pôle bat d'un flot tiède et libre des îles
Où nul marin n'a pu hisser ses pavillons.
Partons ! Je briserai l'infranchissable glace,
Car dans mon corps hardi je porte une âme lasse
Du facile renom des conquérants de l'or.
J'irai. Je veux monter au dernier promontoire,
Et qu'une mer, pour tous silencieuse encor,
Caresse mon orgueil d'un murmure de gloire.
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Au poète Armand Silvestre.
Lorsque la sombre croix sur nous sera plantée,
La terre nous ayant tous deux ensevelis,
Ton corps refleurira dans la neige des lys
Et de ma chair naîtra la rose ensanglantée.
Et la divine Mort que tes vers ont chantée,
En son vol noir chargé de silence et d'oublis,
Nous fera par le ciel, bercés d'un lent roulis,
Vers des astres nouveaux une route enchantée.
Et montant au soleil, en son vivant foyer
Nos deux esprits iront se fondre et se noyer
Dans la félicité des flammes éternelles ;
Cependant que sacrant le poète et l'ami,
La Gloire nous fera vivre à jamais parmi
Les ombres que la Lyre a faites fraternelles.
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Après une récitation de Dante
Ô Rossi, je t'ai vu, traînant le manteau noir
Briser le faible coeur de la triste Ophélie,
Et, tigre exaspéré d'amour et de folie,
Étrangler tes sanglots dans le fatal mouchoir.
J'ai vu Lear et Macbeth, et pleuré de te voir
Baiser, suprême amant de l'antique Italie,
Au tombeau nuptial Juliette pâlie.
Pourtant tu fus plus grand et plus terrible, un soir.
Car j'ai goûté l'horreur et le plaisir sublimes,
Pour la première fois, d'entendre les trois rimes
Sonner par ta voix d'or leur fanfare de fer ;
Et, rouge du reflet de l'infernale flamme,
J'ai vu - j'en ai frémi jusques au fond de l'âme ! -
Alighieri vivant dire un chant de l'Enfer.
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Certe, il était hanté d'un tragique tourment,
Alors qu'à la Sixtine et loin de Rome en fêtes,
Solitaire, il peignait Sibylles et Prophètes
Et, sur le sombre mur, le dernier Jugement.
Il écoutait en lui pleurer obstinément,
Titan que son désir enchaîne aux plus hauts faîtes,
La Patrie et l'Amour, la Gloire et leurs défaites ;
Il songeait que tout meurt et que le rêve ment.
Aussi ces lourds Géants, las de leur force exsangue,
Ces Esclaves qu'étreint une infrangible gangue,
Comme il les a tordus d'une étrange façon ;
Et dans les marbres froids où bout son âme altière,
Comme il a fait courir avec un grand frisson
La colère d'un Dieu vaincu par la Matière !
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La mousse fut pieuse en fermant ses yeux mornes.
Car, dans ce bois inculte, il chercherait en vain
La Vierge qui versait le lait pur et le vin
Sur la terre au beau nom dont il marqua les bornes.
Aujourd'hui le houblon, le lierre et les viornes
Qui s'enroulent autour de ce débris divin
Ignorant s'il fut Pan, Faune, Hermès ou Silvain,
À son front mutilé tordent leurs vertes cornes.
Vois. L'oblique rayon, le caressant encor,
Dans sa face camuse a mis deux orbes d'or.
La vigne folle y rit comme une lèvre rouge,
Et, prestige mobile, un murmure du vent,
Les feuilles, l'ombre errante et le soleil qui bouge,
De ce marbre en ruine ont fait un Dieu vivant.
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