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Comte de Lautréamont [Isidore Ducasse]Les chants de Maldoror
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Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu
momentanément féroce comme ce qu' il lit,
trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt
et sauvage, à travers les marécages désolés de
ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins
qu' il n' apporte dans sa lecture une logique
rigoureuse et une tension d' esprit égale au moins à
sa défiance, les émanations mortelles de ce livre
imbiberont son āme comme l' eau le sucre. Il n' est pas
bon que tout le monde lise les pages qui vont
suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit
amer sans danger. Par conséquent, āme timide, avant
de pénétrer plus loin dans de pareilles landes
inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en
avant. écoute bien ce que je te dis : dirige tes
talons en arrière et non en avant, comme les yeux
d' un fils qui se détourne respectueusement de la
contemplation auguste de la face maternelle ; ou,
plutôt, comme un angle à perte de vue de grues
frileuses méditant beaucoup, qui, pendant l' hiver,
vole puissamment à travers le silence, toutes voiles
tendues, vers un point déterminé de l' horizon, d' où
tout à coup part un vent étrange et fort,
précurseur de la tempête. La grue la plus vieille
et qui forme à elle seule l' avant-garde, voyant
cela, branle la tête comme une personne raisonnable,
conséquemment son bec aussi qu' elle fait
claquer, et n' est pas contente (moi, non plus, je ne
le serais pas à sa place), tandis que son vieux cou,
dégarni de plumes et contemporain de trois générations
de grues, se remue en ondulations irritées qui
présagent l' orage qui s' approche de plus en plus.
Après avoir de sang-froid regardé plusieurs fois de
tous les côtés avec des yeux qui renferment
l' expérience, prudemment, la première (car, c' est
elle qui a le privilège de montrer les plumes de sa
queue aux autres grues inférieures en intelligence),
avec son cri vigilant de mélancolique sentinelle,
pour repousser l' ennemi commun, elle vire avec
flexibilité la pointe de la figure géométrique (c' est
peut-être un triangle, mais on ne voit pas le
troisième côté que forment dans l' espace ces curieux
oiseaux de passage), soit à bābord, soit à tribord,
comme un habile capitaine ; et, manoeuvrant avec des
ailes qui ne paraissent pas plus grandes que celles
d' un moineau, parce qu' elle n' est pas bête, elle
prend ainsi un autre chemin philosophique et plus
sûr.
Lecteur, c' est peut-être la haine que tu veux que
j' invoque dans le commencement de cet ouvrage !
Qui te dit que tu n' en renifleras pas, baigné dans
d' innombrables voluptés, tant que tu voudras, avec
tes narines orgueilleuses, larges et maigres, en te
renversant de ventre, pareil à un requin, dans l' air
beau et noir, comme si tu comprenais l' importance
de cet acte et l' importance non moindre de ton
appétit légitime, lentement et majestueusement, les
rouges émanations ? Je t' assure, elles réjouiront les
deux trous informes de ton museau hideux, ô monstre,
si toutefois tu t' appliques auparavant à respirer
trois mille fois de suite la conscience maudite de
l' éternel ! Tes narines, qui seront démesurément
dilatées de contentement ineffable, d' extase
immobile, ne demanderont pas quelque chose de
meilleur
à l' espace, devenu embaumé comme de parfums
et d' encens ; car, elles seront rassasiées d' un
bonheur complet, comme les anges qui habitent dans
la magnificence et la paix des agréables cieux.
J' établirai dans quelques lignes comment Maldoror
fut bon pendant ses premières années, où il vécut
heureux ; c' est fait. Il s' aperÇut ensuite qu' il
était né méchant : fatalité extraordinaire ! Il
cacha son caractère tant qu' il put, pendant un grand
nombre d' années ; mais, à la fin, à cause de cette
concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque
jour le sang lui montait à la tête ; jusqu' à ce que,
ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se
jeta résolument dans la carrière du mal... atmosphère
douce ! Qui l' aurait dit ! Lorsqu' il embrassait un
petit enfant, au visage rose, il aurait voulu lui
enlever ses joues avec un rasoir, et il l' aurait fait
très souvent, si justice, avec son long cortège de
chātiments, ne l' en eût chaque fois empêché. Il
n' était pas menteur, il avouait la vérité et disait
qu' il était cruel. Humains, avez-vous entendu ? Il
ose le redire avec cette plume qui tremble ! Ainsi
donc, il est une puissance plus forte que la
volonté... malédiction ! La pierre voudrait se
soustraire aux lois de la pesanteur ? Impossible.
Impossible, si le mal voulait s' allier avec le bien.
C' est ce que je disais plus haut.
Il y en a qui écrivent pour rechercher les
applaudissements humains, au moyen de nobles
qualités du coeur que l' imagination invente ou qu' ils
peuvent avoir. Moi, je fais servir mon génie à
peindre les délices de la cruauté ! Délices non
passagères, artificielles ; mais, qui ont commencé
avec l' homme, finiront avec lui. Le génie ne peut-il
pas s' allier avec
la cruauté dans les résolutions secrètes de la
providence ? Ou, parce qu' on est cruel, ne peut-on
pas avoir du génie ? On en verra la preuve dans mes
paroles ; il ne tient qu' à vous de m' écouter, si
vous le voulez bien... pardon, il me semblait que
mes cheveux s' étaient dressés sur ma tête ; mais, ce
n' est rien, car, avec ma main, je suis parvenu
facilement à les remettre dans leur première
position. Celui qui chante ne prétend pas que ses
cavatines soient une chose inconnue ; au contraire,
il se loue de ce que les pensées hautaines et
méchantes de son héros soient dans tous les hommes.
J' ai vu, pendant toute ma vie, sans en excepter un
seul, les hommes, aux épaules étroites, faire des
actes stupides et nombreux, abrutir leurs semblables,
et pervertir les āmes par tous les moyens. Ils
appellent les motifs de leurs actions : la gloire. En
voyant ces spectacles, j' ai voulu rire comme les
autres ; mais cela, étrange imitation, était
impossible. J' ai pris un canif dont la lame avait un
tranchant acéré, et me suis fendu les chairs aux
endroits où se réunissent les lèvres. Un instant je
crus mon but atteint. Je regardai dans un miroir
cette bouche meurtrie par ma propre volonté ! C' était
une erreur ! Le sang qui coulait avec abondance des
deux blessures empêchait d' ailleurs de distinguer si
c' était là vraiment le rire des autres. Mais, après
quelques instants de comparaison, je vis bien que
mon rire ne ressemblait pas à celui des humains,
c' est-à-dire que je ne riais pas. J' ai vu les
hommes, à la tête laide et aux yeux terribles
enfoncés dans l' orbite obscur, surpasser la dureté
du roc, la rigidité de l' acier fondu, la cruauté
du requin, l' insolence de la jeunesse, la fureur
insensée des criminels, les trahisons de l' hypocrite,
les comédiens les plus extraordinaires, la puissance
de caractère des prêtres, et les
êtres les plus cachés au dehors, les plus froids des
mondes et du ciel ; lasser les moralistes à découvrir
leur coeur, et faire retomber sur eux la colère
implacable d' en haut. Je les ai vus tous à la fois,
tantôt, le poing le plus robuste dirigé vers le ciel,
comme celui d' un enfant déjà pervers contre sa mère,
probablement excités par quelque esprit de l' enfer,
les yeux chargés d' un remords cuisant en même temps
que haineux, dans un silence glacial, n' oser
émettre les méditations vastes et ingrates que
recélait leur sein, tant elles étaient pleines
d' injustice et d' horreur, et attrister de compassion
le Dieu de miséricorde ; tantôt, à chaque moment du
jour, depuis le commencement de l' enfance jusqu' à la
fin de la vieillesse, en répandant des anathèmes
incroyables, qui n' avaient pas le sens commun,
contre tout ce qui respire, contre eux-mêmes et
contre la providence, prostituer les femmes et les
enfants, et déshonorer ainsi les parties du corps
consacrées à la pudeur. Alors, les mers soulèvent
leurs eaux, engloutissent dans leurs abïmes les
planches ; les ouragans, les tremblements de terre
renversent les maisons ; la peste, les maladies
diverses déciment les familles priantes. Mais, les
hommes ne s' en aperÇoivent pas. Je les ai vus aussi
rougissant, pālissant de honte pour leur conduite
sur cette terre ; rarement. Tempêtes, soeurs des
ouragans ; firmament bleuātre, dont je n' admets pas
la beauté ; mer hypocrite, image de mon coeur ;
terre, au sein mystérieux ; habitants des sphères ;
univers entier ; Dieu, qui l' as créé avec
magnificence, c' est toi que j' invoque : montre-moi
un homme qui soit bon ! ... mais, que ta grāce
décuple mes forces naturelles ; car, au spectacle de
ce monstre, je puis mourir d' étonnement ; on meurt
à moins.
On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze
jours. Oh ! Comme il est doux d' arracher brutalement
de son lit un enfant qui n' a rien encore sur la
lèvre supérieure, et, avec les yeux très-ouverts,
de faire semblant de passer suavement la main sur
son front, en inclinant en arrière ses beaux
cheveux ! Puis, tout à coup, au moment où il s' y
attend le moins, d' enfoncer les ongles longs dans
sa poitrine molle, de faÇon qu' il ne meure pas ;
car, s' il mourait, on n' aurait pas plus tard
l' aspect de ses misères. Ensuite, on boit le sang en
léchant les blessures ; et, pendant ce temps, qui
devrait durer autant que l' éternité dure, l' enfant
pleure. Rien n' est si bon que son sang, extrait
comme je viens de le dire, et tout chaud encore, si
ce ne sont ses larmes, amères comme le sel. Homme,
n' as-tu jamais goûté de ton sang, quand par hasard
tu t' es coupé le doigt ? Comme il est bon, n' est-ce
pas ; car, il n' a aucun goût. En outre, ne te
souviens-tu pas d' avoir un jour, dans tes réflexions
lugubres, porté la main, creusée au fond, sur ta
figure maladive mouillée par ce qui tombait des
yeux ; laquelle main ensuite se dirigeait fatalement
vers la bouche, qui puisait à longs traits, dans
cette coupe, tremblante comme les dents de l' élève
qui regarde obliquement celui qui est né pour
l' oppresser, les larmes ? Comme elles sont bonnes,
n' est-ce pas ; car, elles ont le goût du vinaigre.
On dirait les larmes de celle qui aime le plus ;
mais, les larmes de l' enfant sont meilleures au
palais. Lui, ne trahit pas, ne connaissant pas encore
le mal : celle qui aime le plus trahit tôt ou tard...
je le devine par analogie, quoique j' ignore ce que
c' est que l' amitié, que l' amour (il est probable que
je ne les accepterai jamais ; du moins, de la part
de la race humaine). Donc, puisque ton sang et tes
larmes ne te dégoûtent pas, nourris-toi, nourris-toi
avec confiance des larmes et du sang de l' adolescent.
Bande-lui les yeux, pendant que tu déchireras ses
chairs palpitantes ; et, après avoir entendu de
longues heures ses cris sublimes, semblables aux
rāles perÇants que poussent dans une bataille les
gosiers des blessés agonisants, alors,
t' ayant écarté comme une avalanche, tu te
précipiteras de la chambre voisine, et tu feras
semblant d' arriver à son secours. Tu lui délieras
les mains, aux nerfs et aux veines gonflées, tu
rendras la vue à ses yeux égarés, en te remettant
à lécher ses larmes et son sang. Comme alors le
repentir est vrai ! L' étincelle divine qui est en
nous, et paraït si rarement, se montre ; trop tard !
Comme le coeur déborde de pouvoir consoler
l' innocent à qui l' on a fait du mal : " adolescent,
qui venez de souffrir des douleurs cruelles, qui
donc a pu commettre sur vous un crime que je ne sais
de quel nom qualifier ! Malheureux que vous êtes !
Comme vous devez souffrir ! Et si votre mère savait
cela, elle ne serait pas plus près de la mort, si
abhorrée par les coupables, que je ne le suis
maintenant. Hélas ! Qu' est-ce donc que le bien et
le mal ! Est-ce une même chose par laquelle nous
témoignons avec rage notre impuissance, et la
passion d' atteindre à l' infini par les moyens même
les plus insensés ? Ou bien, sont-ce deux choses
différentes ? Oui... que ce soit plutôt une même
chose... car, sinon, que deviendrai-je au jour du
jugement ! Adolescent, pardonne-moi ; c' est celui
qui est devant ta figure noble et sacrée, qui a
brisé tes os et déchiré les chairs qui pendent à
différents endroits de ton corps. Est-ce un délire
de ma raison malade, est-ce un instinct secret qui
ne dépend pas de mes raisonnements, pareil à celui
de l' aigle déchirant sa proie, qui m' a poussé à
commettre ce crime ; et pourtant, autant que ma
victime, je souffrais ! Adolescent, pardonne-moi.
Une fois sortis de cette vie passagère, je veux que
nous soyons entrelacés pendant l' éternité ; ne former
qu' un seul être, ma bouche collée à ta bouche.
Même, de cette manière, ma punition ne sera pas
complète. Alors, tu me déchireras, sans jamais
t' arrêter, avec les dents et les ongles à la fois.
Je parerai mon corps de guirlandes embaumées, pour
cet holocauste expiatoire ; et nous souffrirons tous
les deux, moi, d' être déchiré, toi, de me déchirer...
ma bouche collée à ta bouche. ô adolescent, aux
cheveux blonds, aux yeux si doux, feras-tu
maintenant ce que je te conseille ? Malgré toi,
je veux que tu le fasses, et tu rendras heureuse ma
conscience. " après avoir parlé ainsi, en même temps
tu auras fait le mal à un être humain, et tu seras
aimé du même être : c' est le bonheur le plus grand
que l' on puisse concevoir. Plus tard, tu pourras le
mettre à l' hôpital ; car le perclus ne pourra pas
gagner sa vie. On t' appelera bon, et les couronnes
de laurier et les médailles d' or cacheront tes
pieds nus, épars sur la grande tombe, à la figure
vieille. ô toi, dont je ne veux pas écrire le nom
sur cette page qui consacre la sainteté du crime, je
sais que ton pardon fut immense comme l' univers.
Mais, moi, j' existe encore !
J' ai fait un pacte avec la prostitution afin de semer
le désordre dans les familles. Je me rappelle la
nuit qui précéda cette dangereuse liaison. Je vis
devant moi un tombeau. J' entendis un ver luisant, grand
comme une maison, qui me dit : " je vais t' éclairer.
Lis l' inscription. Ce n' est pas de moi que vient cet
ordre suprême. " une vaste lumière couleur de sang,
à l' aspect de laquelle mes māchoires claquèrent et
mes bras tombèrent inertes, se répandit dans les
airs jusqu' à l' horizon. Je m' appuyai contre une
muraille en ruine, car j' allais tomber, et je lus :
" ci-gït un adolescent qui mourut poitrinaire : vous
savez pourquoi. Ne priez pas pour lui. " beaucoup
d' hommes n' auraient peut-être pas eu autant de
courage que moi. Pendant ce temps, une belle femme nue
vint se coucher à mes pieds. Moi, à elle, avec une
figure triste : " tu peux te relever. " je lui tendis
la main avec laquelle le fratricide égorge sa soeur.
Le ver luisant à moi : " toi, prends une pierre et
tue-la. -pourquoi ? " lui dis-je. Lui, à moi :
" prends garde à toi ; le plus faible, parce que je
suis le plus fort. Celle-ci s' appelle
Prostitution. " les larmes dans les yeux, la
rage dans le coeur, je sentis naïtre en moi une
force inconnue. Je pris une grosse pierre ; après
bien des efforts, je la soulevai avec peine jusqu' à
la hauteur de ma poitrine ; je la mis sur l' épaule
avec les bras. Je gravis une montagne jusqu' au
sommet : de là, j' écrasai le ver luisant. Sa tête
s' enfonÇa sous le sol d' une grandeur d' homme ; la
pierre rebondit jusqu' à la hauteur de six églises.
Elle alla retomber dans un lac, dont les eaux
s' abaissèrent un instant, tournoyantes, en creusant
un immense cône renversé. Le calme reparut à la
surface ; la lumière de sang ne brilla plus. " hélas !
Hélas ! S' écria la belle femme nue ; qu' as-tu
fait ? " moi, à elle : " je te préfère à lui ; parce
que j' ai pitié des malheureux. Ce n' est pas ta faute,
si la justice éternelle t' a créée. " elle, à moi :
" un jour, les hommes me rendront justice ; je ne t' en
dis pas davantage. Laisse-moi partir, pour aller
cacher au fond de la mer ma tristesse infinie. Il n' y
a que toi et les monstres hideux qui grouillent dans
ces noirs abïmes, qui ne me méprisent pas. Tu es bon.
Adieu, toi qui m' as aimée ! " moi, à elle : " adieu !
Encore une fois : adieu ! Je t' aimerai toujours ! ...
dès aujourd' hui, j' abandonne la vertu. " c' est
pourquoi, ô peuples, quand vous entendrez le vent
d' hiver gémir sur la mer et près de ses bords, ou
au-dessus des grandes villes, qui, depuis longtemps,
ont pris le deuil pour moi, ou à travers les froides
régions polaires, dites : " ce n' est pas l' esprit de
Dieu qui passe : ce n' est que le soupir aigu de la
prostitution, uni avec les gémissements graves du
montévidéen. " enfants, c' est moi qui vous le dis.
Alors, pleins de miséricorde, agenouillez-vous ; et
que les hommes, plus nombreux que les poux, fassent
de longues prières.
Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits
isolés de la campagne, l' on voit, plongé dans
d' amères réflexions, toutes les choses revêtir des
formes jaunes, indécises, fantastiques. L' ombre des
arbres, tantôt vite, tantôt lentement, court, vient,
revient, par diverses formes, en s' aplatissant, en se
collant contre la terre. Dans le temps, lorsque
j' étais emporté sur les ailes de la jeunesse, cela
me faisait rêver, me paraissait étrange ; maintenant,
j' y suis habitué. Le vent gémit à travers les feuilles
ses notes langoureuses, et le hibou chante sa grave
complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui
l' entendent. Alors, les chiens, rendus furieux,
brisent leurs chaïnes, s' échappent des fermes
lointaines ; ils courent dans la campagne, Çà et là,
en proie à la folie. Tout à coup, ils s' arrêtent,
regardent de tous les côtés avec une inquiétude
farouche, l' oeil en feu ; et, de même que les
éléphants, avant de mourir, jettent dans le désert
un dernier regard au ciel, élevant désespérément
leur trompe, laissant leurs oreilles inertes, de
même les chiens laissent leurs oreilles inertes,
élèvent la tête, gonflent le cou terrible, et se
mettent à aboyer, tour à tour, soit comme un enfant
qui crie de faim, soit comme un chat blessé au
ventre au-dessus d' un toit, soit comme une femme qui
va enfanter, soit comme un moribond atteint de la
peste à l' hôpital, soit comme une jeune fille qui
chante un air sublime, contre les étoiles au nord,
contre les étoiles à l' est, contre les étoiles au
sud, contre les étoiles à l' ouest ; contre la lune ;
contre les montagnes, semblables au loin à des
roches géantes, gisantes dans l' obscurité ; contre
l' air froid qu' ils aspirent à pleins poumons, qui
rend l' intérieur de leur narine rouge, brûlant ;
contre le silence de la nuit ; contre les chouettes,
dont le vol oblique leur rase le museau, emportant
un rat ou
une grenouille dans le bec, nourriture vivante, douce
pour les petits ; contre les lièvres qui
disparaissent en un clin d' oeil ; contre le voleur,
qui s' enfuit au galop de son cheval après avoir
commis un crime ; contre les serpents, remuant les
bruyères, qui leur font trembler la peau, grincer
les dents ; contre leurs propres aboiements, qui
leur font peur à eux-mêmes ; contre les crapauds
qu' ils broient d' un seul coup de māchoire (pourquoi
se sont-ils éloignés du marais ? ) ; contre les arbres,
dont les feuilles, mollement bercées, sont autant
de mystères qu' ils ne comprennent pas, qu' ils
veulent découvrir avec leurs yeux fixes, intelligents ;
contre les araignées, suspendues entre leurs longues
pattes, qui grimpent sur les arbres pour se sauver ;
contre les corbeaux qui n' ont pas trouvé de quoi
manger pendant la journée, et qui s' en reviennent
au gïte l' aile fatiguée ; contre les rochers du
rivage ; contre les feux, qui paraissent aux māts
des navires invisibles ; contre le bruit sourd des
vagues ; contre les grands poissons, qui, nageant,
montrent leur dos noir, puis s' enfoncent dans
l' abïme ; et contre l' homme qui les rend esclaves.
Après quoi, ils se mettent de nouveau à courir
dans la campagne, en sautant, de leurs pattes
sanglantes, par-dessus les fossés, les chemins, les
champs, les herbes et les pierres escarpées. On les
dirait atteints de la rage, cherchant un vaste
étang pour apaiser leur soif. Leurs hurlements
prolongés épouvantent la nature. Malheur au
voyageur attardé ! Les amis des cimetières se
jetteront sur lui, le déchireront, le mangeront avec
leur bouche d' où tombe du sang ; car ils n' ont pas
les dents gātées. Les animaux sauvages, n' osant pas
s' approcher pour prendre part au repas de chair,
s' enfuient à perte de vue, tremblants. Après
quelques heures, les chiens, harassés de courir Çà
et là, presque morts, la langue en dehors de la
bouche, se précipitent les uns sur les autres, sans
savoir ce qu' ils font, et se déchirent en mille
lambeaux, avec une rapidité incroyable. Ils
n' agissent pas ainsi par cruauté. Un jour, avec des
yeux vitreux, ma mère me dit : " lorsque tu seras
dans ton lit, que tu entendras les aboiements des
chiens dans la campagne, cache-toi dans ta
couverture, ne tourne pas en dérision ce qu' ils
font : ils ont soif insatiable de l' infini, comme
toi, comme moi, comme le reste des humains, à la
figure pāle et longue. Même, je te permets de te
mettre devant la fenêtre pour contempler ce spectacle,
qui est assez sublime. " depuis ce temps, je respecte
le voeu de la morte. Moi, comme les chiens,
j' éprouve le besoin de l' infini... je ne puis, je ne
puis contenter ce besoin ! Je suis le fils de l' homme
et de la femme d' après ce qu' on m' a dit. Ça
m' étonne... je croyais être davantage ! Au reste,
que m' importe d' où je viens ? Moi, si cela avait
pu dépendre de ma volonté, j' aurais voulu être
plutôt le fils de la femelle du requin, dont la
faim est amie des tempêtes, et du tigre, à la
cruauté reconnue : je ne serais pas si méchant.
Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car
mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n' a
encore vu les rides vertes de mon front ; ni les os
en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes
de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant
les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes
alpestres, que je parcourus souvent, quand j' avais
sur ma tête des cheveux d' une autre couleur. Et,
quand je rôde autour des habitations des hommes,
pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les
cheveux flagellés par le vent des tempêtes, isolé
comme une pierre au milieu du chemin, je couvre
ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir
comme la suie qui remplit l' intérieur des cheminées :
il ne faut pas que les yeux soient témoins de la
laideur que l' être suprême, avec un sourire de
haine puissante, a mise sur moi. Chaque matin, quand
le soleil se lève pour les autres, en répandant la
joie et la chaleur salutaires dans la nature, tandis
qu' aucun de mes traits ne bouge, en regardant
fixement l' espace plein de ténèbres, accroupi vers
le fond de ma caverne aimée, dans un désespoir qui
m' enivre comme le vin, je meurtris de mes puissantes
mains ma poitrine en lambeaux. Pourtant, je sens que
je ne suis pas atteint de la rage ! Pourtant, je sens
que je ne suis pas le seul qui souffre ! Pourtant, je
sens que je respire ! Comme un condamné qui essaie
ses muscles, en réfléchissant sur leur sort, et qui
va bientôt monter à l' échafaud, debout, sur mon lit
de paille, les yeux fermés, je tourne lentement
mon col de droite à gauche, de gauche à droite,
pendant des heures entières ; je ne tombe pas raide
mort. De moment en moment, lorsque mon col ne peut
plus continuer de tourner dans un même sens, qu' il
s' arrête, pour se remettre à tourner dans un sens
opposé, je regarde subitement l' horizon, à travers
les rares interstices laissés par les broussailles
épaisses qui recouvrent l' entrée : je ne vois rien !
Rien... si ce ne sont les campagnes qui dansent en
tourbillons avec les arbres et avec les longues
files d' oiseaux qui traversent les airs. Cela me
trouble le sang et le cerveau... qui donc, sur la
tête, me donne des coups de barre de fer, comme un
marteau frappant l' enclume ?
Je me propose, sans être ému, de déclamer à grande
voix la strophe sérieuse et froide que vous allez
entendre. Vous, faites attention à ce qu' elle
contient et gardez-vous de l' impression pénible
qu' elle ne manquera pas de laisser, comme une
flétrissure, dans vos imaginations troublées. Ne
croyez pas que je sois sur le point de mourir, car
je ne suis pas encore un squelette, et la vieillesse
n' est pas collée à mon front. écartons en conséquence
toute idée de comparaison avec le cygne, au moment
où son existence s' envole, et ne voyez devant vous
qu' un monstre, dont je suis heureux que vous ne
puissiez pas apercevoir la figure ; mais moins
horrible est-elle que son āme. Cependant, je ne suis
pas un criminel... assez sur ce sujet. Il n' y a pas
longtemps que j' ai
revu la mer et foulé le pont des vaisseaux, et mes
souvenirs sont vivaces comme si je l' avais quittée
la veille. Soyez néanmoins, si vous le pouvez, aussi
calmes que moi, dans cette lecture que je me repens
déjà de vous offrir, et ne rougissez pas à la pensée
de ce qu' est le coeur humain. ô poulpe au regard de
soie ! Toi, dont l' āme est inséparable de la mienne ;
toi, le plus beau des habitants du globe terrestre,
et qui commandes à un sérail de quatre cents
ventouses ; toi, en qui siègent noblement, comme dans
leur résidence naturelle, par un commun accord, d' un
lien indestructible, la douce vertu communicative et
les grāces divines, pourquoi n' es-tu pas avec moi, ton
ventre de mercure contre ma poitrine d' aluminium,
assis tous les deux sur quelque rocher du rivage,
pour contempler ce spectacle que j' adore !
Vieil océan, aux vagues de cristal, tu ressembles proportionnellement à ces marques azurées que l' on voit sur le dos meurtri des mousses ; tu es un immense bleu, appliqué sur le corps de la terre : j' aime cette comparaison. Ainsi, à ton premier aspect, un souffle prolongé de tristesse, qu' on croirait être le murmure de ta brise suave, passe, en laissant des ineffaÇables traces, sur l' āme profondément ébranlée, et tu rappelles au souvenir de tes amants, sans qu' on s' en rende toujours compte, les rudes commencements de l' homme, où il fait connaissance avec la douleur, qui ne le quitte plus. Je te salue, vieil océan ! Vieil océan, ta forme harmonieusement sphérique, qui réjouit la face grave de la géométrie, ne me rappelle que trop les petits yeux de l' homme, pareils à ceux du sanglier pour la petitesse, et à ceux des oiseaux de nuit pour la perfection circulaire du contour. Cependant, l' homme s' est cru beau dans tous les siècles. Moi, je suppose plutôt que l' homme ne croit à sa beauté que par amour-propre ; mais, qu' il n' est pas beau réellement et qu' il s' en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable, avec tant de mépris ? Je te salue, vieil océan ! Vieil océan, tu es le symbole de l' identité : toujours égal à toi-même. Tu ne varies pas d' une manière essentielle, et si tes vagues sont quelque part en furie, plus loin, dans quelque autre zone, elles sont dans le calme le plus complet. Tu n' es pas comme l' homme, qui s' arrête dans la rue, pour voir deux bouledogues s' empoigner au cou, mais qui ne s' arrête pas, quand un enterrement passe ; qui est ce matin accessible, et ce soir de mauvaise humeur ; qui rit aujourd' hui et pleure demain. Je te salue, vieil océan ! Vieil océan, il n' y aurait rien d' impossible à ce que tu caches dans ton sein de futures utilités pour l' homme. Tu lui as déjà donné la baleine. Tu ne laisses pas facilement deviner aux yeux avides des sciences naturelles les mille secrets de ton intime organisation : tu es modeste. L' homme se vante sans cesse, et pour des minuties. Je te salue, vieil océan ! Vieil océan, les différentes espèces de poissons que tu nourris n' ont pas juré fraternité entre elles. Chaque espèce vit de son côté. Les tempéraments et les conformations qui varient dans chacune d' elles expliquent, d' une manière satisfaisante, ce qui ne paraït d' abord qu' une anomalie. Il en est ainsi de l' homme qui n' a pas les mêmes motifs d' excuse. Un morceau de terre est-il occupé par trente millions d' êtres humains, ceux-ci se croient obligés de ne pas se mêler de l' existence de leurs voisins fixés comme des racines sur le morceau de terre qui suit. En descendant du grand au petit, chaque homme vit comme un sauvage dans sa tanière, et en sort rarement pour visiter son semblable, accroupi pareillement dans une autre tanière. La grande famille universelle des humains est une utopie digne de la logique la plus médiocre. En outre, du spectacle de tes mamelles fécondes se dégage la notion d' ingratitude ; car on pense aussitôt à ces parents nombreux, assez ingrats envers le créateur, pour abandonner le fruit de leur misérable union. Je te salue, vieil océan ! Vieil océan, ta grandeur matérielle ne peut se comparer qu' à la mesure qu' on se fait de ce qu' il a fallu de puissance active pour engendrer la totalité de ta masse. On ne peut pas t' embrasser d' un coup d' oeil. Pour te contempler, il faut que la vue tourne son télescope par un mouvement continu vers les quatre points de l' horizon, de même qu' un mathématicien, afin de résoudre une équation algébrique, est obligé d' examiner séparément les divers cas possibles, avant de trancher la difficulté. L' homme mange des substances nourrissantes, et fait d' autres efforts, dignes d' un meilleur sort, pour paraïtre gras. Qu' elle se gonfle tant qu' elle voudra, cette adorable grenouille. Sois tranquille, elle ne t' égalera pas en grosseur ; je le suppose, du moins. Je te salue, vieil océan ! Vieil océan, tes eaux sont amères. C' est exactement le même goût que le fiel que distille la critique sur les beaux-arts, sur les sciences, sur tout. Si quelqu' un a du génie, on le fait passer pour un idiot ; si quelque autre est beau de corps, c' est un bossu affreux. Certes, il faut que l' homme sente avec force son imperfection, dont les trois quarts d' ailleurs ne sont dus qu' à lui-même, pour la critiquer ainsi ! Je te salue, vieil océan ! Vieil océan, les hommes, malgré l' excellence de leurs méthodes, ne sont pas encore parvenus, aidés par les moyens d' investigation de la science, à mesurer la profondeur vertigineuse de tes abïmes ; tu en as que les sondes les plus longues, les plus pesantes, ont reconnus inaccessibles. Aux poissons... Ça leur est permis : pas aux hommes. Souvent, je me suis demandé quelle chose était le plus facile à reconnaïtre : la profondeur de l' océan ou la profondeur du coeur humain ! Souvent, la main portée au front, debout sur les vaisseaux, tandis que la lune se balanÇait entre les māts d' une faÇon irrégulière, je me suis surpris, faisant abstraction de tout ce qui n' était pas le but que je poursuivais, m' efforÇant de résoudre ce difficile problème ! Oui, quel est le plus profond, le plus impénétrable des deux : l' océan ou le coeur humain ? Si trente ans d' expérience de la vie peuvent jusqu' à un certain point pencher la balance vers l' une ou l' autre de ces solutions, il me sera permis de dire que, malgré la profondeur de l' océan, il ne peut pas se mettre en ligne, quant à la comparaison sur cette propriété, avec la profondeur du coeur humain. J' ai été en relation avec des hommes qui ont été vertueux. Ils mouraient à soixante ans, et chacun ne manquait pas de s' écrier : " ils ont fait le bien sur cette terre, c' est-à-dire qu' ils ont pratiqué la charité : voilà tout, ce n' est pas malin, chacun peut en faire autant. " qui comprendra pourquoi deux amants qui s' idolātraient la veille, pour un mot mal interprété, s' écartent, l' un vers l' orient, l' autre vers l' occident, avec les aiguillons de la haine, de la vengeance, de l' amour et du remords, et ne se revoient plus, chacun drapé dans sa fierté solitaire ? C' est un miracle qui se renouvelle chaque jour et qui n' en est pas moins miraculeux. Qui comprendra pourquoi l' on savoure non seulement les disgrāces générales de ses semblables, mais encore les particulières de ses amis les plus chers, tandis que l' on est affligé en même temps ? Un exemple incontestable pour clore la série : l' homme dit hypocritement oui et pense non. C' est pour cela que les marcassins de l' humanité ont tant de confiance les uns dans les autres et ne sont pas égoļstes. Il reste à la psychologie beaucoup de progrès à faire. Je te salue, vieil océan ! Vieil océan, tu es si puissant, que les hommes l' ont appris à leurs propres dépens. Ils ont beau employer toutes les ressources de leur génie... incapables de te dominer. Ils ont trouvé leur maïtre. Je dis qu' ils ont trouvé quelque chose de plus fort qu' eux. Ce quelque chose a un nom. Ce nom est : l' océan ! La peur que tu leur inspires est telle, qu' ils te respectent. Malgré cela, tu fais valser leurs plus lourdes machines avec grāce, élégance et facilité. Tu leur fais faire des sauts gymnastiques jusqu' au ciel, et des plongeons admirables jusqu' au fond de tes domaines : un saltimbanque en serait jaloux. Bienheureux sont-ils, quand tu ne les enveloppes pas définitivement dans tes plis bouillonnants, pour aller voir, sans chemin de fer, dans tes entrailles aquatiques, comment se portent les poissons, et surtout comment ils se portent en eux-mêmes. L' homme dit : " je suis plus intelligent que l' océan. " c' est possible, c' est même assez vrai ; mais l' océan lui est plus redoutable que lui à l' océan : c' est ce qu' il n' est pas nécessaire de prouver. Ce patriarche observateur, contemporain des premières époques de notre globe suspendu, sourit de pitié, quand il assiste aux combats navals des nations. Voilà une centaine de léviathans qui sont sortis des mains de l' humanité. Les ordres emphatiques des supérieurs, les cris des blessés, les coups de canon, c' est du bruit fait exprès pour anéantir quelques secondes. Il paraït que le drame est fini, et que l' océan a tout mis dans son ventre. La gueule est formidable. Elle doit être grande vers le bas, dans la direction de l' inconnu ! Pour couronner enfin la stupide comédie, qui n' est pas même intéressante, on voit, au milieu des airs, quelque cigogne, attardée par la fatigue, qui se met à crier, sans arrêter l' envergure de son vol : " tiens ! ... je la trouve mauvaise ! Il y avait en bas des points noirs ; j' ai fermé les yeux : ils ont disparu. " je te salue, vieil océan ! Vieil océan, ô grand célibataire, quand tu parcours la solitude solennelle de tes royaumes flegmatiques, tu t' enorgueillis à juste titre de ta magnificence native, et des éloges vrais que je m' empresse de te donner. Balancé voluptueusement par les mols effluves de ta lenteur majestueuse, qui est le plus grandiose parmi les attributs dont le souverain pouvoir t' a gratifié, tu déroules, au milieu d' un sombre mystère, sur toute ta surface sublime, tes vagues incomparables, avec le sentiment calme de ta puissance éternelle. Elles se suivent parallèlement, séparées par de courts intervalles. à peine l' une diminue, qu' une autre va à sa rencontre en grandissant, accompagnées du bruit mélancolique de l' écume qui se fond, pour nous avertir que tout est écume. (ainsi, les êtres humains, ces vagues vivantes, meurent l' un après l' autre, d' une manière monotone ; mais sans laisser de bruit écumeux.) l' oiseau de passage se repose sur elles avec confiance, et se laisse abandonner à leurs mouvements, pleins d' une grāce fière, jusqu' à ce que les os de ses ailes aient recouvré leur vigueur accoutumée pour continuer leur pèlerinage aérien. Je voudrais que la majesté humaine ne fût que l' incarnation du reflet de la tienne. Je demande beaucoup, et ce souhait sincère est glorieux pour toi. Ta grandeur morale, image de l' infini, est immense comme la réflexion du philosophe, comme l' amour de la femme, comme la beauté divine de l' oiseau, comme les méditations du poète. Tu es plus beau que la nuit. Réponds-moi, océan, veux-tu être mon frère ? Remue-toi avec impétuosité... plus... plus encore, si tu veux que je te compare à la vengeance de Dieu ; allonge tes griffes livides en te frayant un chemin sur ton propre sein... c' est bien. Déroule tes vagues épouvantables, océan hideux, compris par moi seul, et devant lequel je tombe, prosterné à tes genoux. La majesté de l' homme est empruntée ; il ne m' imposera point : toi, oui. Oh ! Quand tu t' avances, la crête haute et terrible, entouré de tes replis tortueux comme d' une cour, magnétiseur et farouche, roulant tes ondes les unes sur les autres, avec la conscience de ce que tu es, pendant que tu pousses, des profondeurs de ta poitrine, comme accablé d' un remords intense que je ne puis pas découvrir, ce sourd mugissement perpétuel que les hommes redoutent tant, même quand ils te contemplent, en sûreté, tremblants sur le rivage, alors je vois qu' il ne m' appartient pas, le droit insigne de me dire ton égal. C' est pourquoi, en présence de ta supériorité, je te donnerais tout mon amour (et nul ne sait la quantité d' amour que contiennent mes aspirations vers le beau), si tu ne me faisais douloureusement penser à mes semblables, qui forment avec toi le plus ironique contraste, l' antithèse la plus bouffonne que l' on ait jamais vue dans la création : je ne puis pas t' aimer, je te déteste. Pourquoi reviens-je à toi, pour la millième fois, vers tes bras amis, qui s' entr' ouvrent, pour caresser mon front brûlant, qui voit disparaïtre la fièvre à leur contact ! Je ne connais pas ta destinée cachée ; tout ce qui te concerne m' intéresse. Dis-moi donc si tu es la demeure du prince des ténèbres. Dis-le-moi... dis-le-moi, océan (à moi seul, pour ne pas attrister ceux qui n' ont encore connu que les illusions), et si le souffle de Satan crée les tempêtes qui soulèvent tes eaux salées jusqu' aux nuages. Il faut que tu me le dises, parce que je me réjouirais de savoir l' enfer si près de l' homme. Je veux que celle-ci soit la dernière strophe de mon invocation. Par conséquent, une seule fois encore, je veux te saluer et te faire mes adieux ! Vieil océan, aux vagues de cristal... mes yeux se mouillent de larmes abondantes, et je n' ai pas la force de poursuivre ; car, je sens que le moment est venu de revenir parmi les hommes, à l' aspect brutal ; mais... courage ! Faisons un grand effort, et accomplissons, avec le sentiment du devoir, notre destinée sur cette terre. Je te salue, vieil océan ! On ne me verra pas, à mon heure dernière (j' écris
ceci sur mon lit de mort), entouré de prêtres. Je
veux mourir, bercé par la vague de la mer
tempétueuse, ou debout sur la montagne... les yeux en
haut, non : je sais que mon anéantissement sera
complet. D' ailleurs, je n' aurais pas de grāce à
espérer. Qui ouvre la porte de ma chambre funéraire ?
J' avais dit que personne n' entrāt. Qui que vous
soyez, éloignez-vous ; mais si vous croyez apercevoir
quelque marque de douleur ou de crainte sur mon
visage d' hyène (j' use de cette comparaison, quoique
l' hyène soit plus belle que moi, et plus agréable à
voir), soyez détrompé : qu' il s' approche. Nous
sommes dans une nuit d' hiver, alors que les éléments
s' entre-hoquent de toutes parts, que l' homme a peur
et que l' adolescent médite quelque crime sur un de
ses amis, s' il est ce que je fus dans ma jeunesse.
Que le vent, dont les sifflements plaintifs
attristent l' humanité, depuis que le vent,
l' humanité existent, quelques moments avant l' agonie
dernière, me porte sur les os de ses ailes, à
travers le monde, impatient de ma mort. Je jouirai
encore, en secret, des exemples nombreux de la
méchanceté humaine (un frère, sans être vu, aime
à voir les actes de ses frères). L' aigle, le
corbeau, l' immortel pélican, le canard sauvage, la
grue voyageuse, éveillés, grelottant de froid, me
verront passer à la lueur des éclairs, spectre
horrible et content. Ils ne sauront ce que cela
signifie. Sur la terre, la vipère, l' oeil gros du
crapaud, le tigre, l' éléphant ; dans la mer, la
baleine, le requin, le marteau, l' informe raie, la
dent du phoque polaire, se demanderont quelle est
cette dérogation à la loi de la nature. L' homme,
tremblant, collera son front contre la terre, au
milieu de ses gémissements. " oui, je vous surpasse
tous par ma cruauté innée, cruauté qu' il n' a pas
dépendu de moi d' effacer. Est-ce pour ce motif que
vous vous montrez devant moi dans cette
prosternation ? Ou bien, est-ce parce que vous me
voyez parcourir, phénomène nouveau, comme une comète
effrayante, l' espace ensanglanté ? (il me tombe une
pluie de sang de mon vaste corps, pareil à un nuage
noirātre que pousse l' ouragan devant soi.) ne
craignez rien, enfants, je ne veux pas vous maudire.
Le mal que vous m' avez fait est trop grand, trop
grand le mal que je vous ai fait, pour qu' il soit
volontaire. Vous autres, vous avez marché dans votre
voie, moi, dans la mienne, pareilles toutes les deux,
toutes les deux perverses. Nécessairement,
nous avons dû nous rencontrer, dans cette similitude
de caractère ; le choc qui en est résulté nous a
été réciproquement fatal. " alors, les hommes
relèveront peu à peu la tête, en reprenant courage,
pour voir celui qui parle ainsi, allongeant le cou
comme l' escargot. Tout à coup, leur visage brûlant,
décomposé, montrant les plus terribles passions,
grimacera de telle manière que les loups auront peur.
Ils se dresseront à la fois comme un ressort
immense. Quelles imprécations ! Quels déchirements
de voix ! Ils m' ont reconnu. Voilà que les animaux
de la terre se réunissent aux hommes, font entendre
leurs bizarres clameurs. Plus de haine réciproque ;
les deux haines sont tournées contre l' ennemi commun,
moi ; on se rapproche par un assentiment universel.
Vents, qui me soutenez, élevez-moi plus haut ; je
crains la perfidie. Oui, disparaissons peu à peu de
leurs yeux, témoin, une fois de plus, des conséquences
des passions, complètement satisfait. Je te remercie,
ô rhinolophe, de m' avoir réveillé avec le mouvement
de tes ailes, toi, dont le nez est surmonté d' une
crête en forme de fer à cheval : je m' aperÇois, en
effet, que ce n' était malheureusement qu' une
maladie passagère, et je me sens avec dégoût
renaïtre à la vie. Les uns disent que tu arrivais
vers moi pour me sucer le peu de sang qui se trouve
dans mon corps : pourquoi cette hypothèse n' est-elle
pas la réalité !
Une famille entoure une lampe posée sur la table :
-Mon fils, donne-moi les ciseaux qui sont placés sur cette chaise. -Ils n' y sont pas, mère. -Va les chercher alors dans l' autre chambre. Te rappelles-tu cette époque, mon doux maïtre, où nous faisions des voeux, pour avoir un enfant, dans lequel nous renaïtrions une seconde fois, et qui serait le soutien de notre vieillesse ? -Je me rappelle, et Dieu nous a exaucés. Nous n' avons pas à nous plaindre de notre lot sur cette terre. Chaque jour nous bénissons la providence de ses bienfaits. Notre édouard possède toutes les grāces de sa mère. -Et les māles qualités de son père. -Voici les ciseaux, mère ; je les ai enfin trouvés. Il reprend son travail... mais, quelqu' un s' est présenté à la porte d' entrée, et contemple, pendant quelques instants, le tableau qui s' offre à ses yeux : -Que signifie ce spectacle ? Il y a beaucoup de gens qui sont moins heureux que ceux-là. Quel est le raisonnement qu' ils se font pour aimer l' existence ? éloigne-toi, Maldoror, de ce foyer paisible ; ta place n' est pas ici. Il s' est retiré ! -Je ne sais comment cela se fait ; mais je sens les facultés humaines qui se livrent des combats dans mon coeur. Mon āme est inquiète, et sans savoir pourquoi ; l' atmosphère est lourde. -Femme, je ressens les mêmes impressions que toi ; je tremble qu' il ne nous arrive quelque malheur. Ayons confiance en Dieu ; en lui est le suprême espoir . -Mère, je respire à peine ; j' ai mal à la tête. -Toi aussi, mon fils ! Je vais te mouiller le front et les tempes avec du vinaigre. -Non, bonne mère... voyez, il appuie son corps sur le revers de la chaise, fatigué. Quelque chose se retourne en moi, que je ne saurais expliquer. Maintenant, le moindre objet me contrarie. -Comme tu es pāle ! La fin de cette veillée ne se passera pas sans que quelque événement funeste nous plonge tous les trois dans le lac du désespoir ! J' entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante. -Mon fils ! -Ah ! Mère ! ... j' ai peur ! -Dis-moi vite si tu souffres. -Mère, je ne souffre pas... je ne dis pas la vérité. Le père ne revient pas de son étonnement : -Voilà des cris que l' on entend quelquefois, dans le silence des nuits sans étoiles. Quoique nous entendions ces cris, néanmoins, celui qui les pousse n' est pas près d' ici ; car on peut entendre ces gémissements à trois lieues de distance, transportés par le vent d' une cité à une autre. On m' avait souvent parlé de ce phénomène ; mais, je n' avais jamais eu l' occasion de juger par moi-même de sa véracité. Femme, tu me parlais de malheur ; si malheur plus réel exista dans la longue spirale du temps, c' est le malheur de celui qui trouble maintenant le sommeil de ses semblables... j' entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante. -Plût au ciel que sa naissance ne soit pas une calamité pour son pays, qui l' a repoussé de son sein. Il va de contrée en contrée, abhorré partout. Les uns disent qu' il est accablé d' une espèce de folie originelle, depuis son enfance. D' autres croient savoir qu' il est d' une cruauté extrême et instinctive, dont il a honte lui-même, et que ses parents en sont morts de douleur. Il y en a qui prétendent qu' on l' a flétri d' un surnom dans sa jeunesse ; qu' il en est resté inconsolable le reste de son existence, parce que sa dignité blessée voyait là une preuve flagrante de la méchanceté des hommes, qui se montre aux premières années, pour augmenter ensuite. Ce surnom était le vampire ! ... j' entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante. -Ils ajoutent que, les jours, les nuits, sans trêve ni repos, des cauchemars horribles lui font saigner le sang par la bouche et les oreilles ; et que des spectres s' assoient au chevet de son lit, et lui jettent à la face, poussés malgré eux par une force inconnue, tantôt d' une voix douce, tantôt d' une voix pareille aux rugissements des combats, avec une persistance implacable, ce surnom toujours vivace, toujours hideux, et qui ne périra qu' avec l' univers. Quelques-uns même ont affirmé que l' amour l' a réduit dans cet état ; ou que ses cris témoignent du repentir de quelque crime enseveli dans la nuit de son passé mystérieux. Mais le plus grand nombre pense qu' un incommensurable orgueil le torture, comme jadis Satan, et qu' il voudrait égaler Dieu... j' entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante. -Mon fils, ce sont là des confidences exceptionnelles ; je plains ton āge de les avoir entendues, et j' espère que tu n' imiteras jamais cet homme. -Parle, ô mon édouard ; réponds que tu n' imiteras jamais cet homme. -ô mère bien-aimée, à qui je dois le jour, je te promets, si la sainte promesse d' un enfant a quelque valeur, de ne jamais imiter cet homme. -c' est parfait, mon fils ; il faut obéļr à sa mère, en quoi que ce soit. On n' entend plus les gémissements. -femme, as-tu fini ton travail ? -il me manque quelques points à cette chemise, quoique nous ayons prolongé la veillée bien tard. -moi aussi, je n' ai pas fini un chapitre commencé. Profitons des dernières lueurs de la lampe ; car il n' y a presque plus d' huile, et achevons chacun notre travail... l' enfant s' est écrié : -si Dieu nous laisse vivre ! -ange radieux, viens à moi ; tu te promèneras dans la prairie, du matin jusqu' au soir ; tu ne travailleras point. Mon palais magnifique est construit avec des murailles d' argent, des colonnes d' or et des portes de diamants. Tu te coucheras quand tu voudras, au son d' une musique céleste, sans faire ta prière. Quand, au matin, le soleil montrera ses rayons resplendissants et que l' alouette joyeuse emportera avec elle, son cri, à perte de vue, dans les airs, tu pourras encore rester au lit, jusqu' à ce que cela te fatigue. Tu marcheras sur les tapis les plus précieux ; tu seras constamment enveloppé dans une atmosphère composée des essences parfumées des fleurs les plus odorantes. -il est temps de reposer le corps et l' esprit. Lève-toi, mère de famille, sur tes chevilles musculeuses. Il est juste que tes doigts raidis abandonnent l' aiguille du travail exagéré. Les extrêmes n' ont rien de bon. -oh ! Que ton existence sera suave ! Je te donnerai une bague enchantée ; quand tu en retourneras le rubis, tu seras invisible, comme les princes, dans les contes des fées. -remets tes armes quotidiennes dans l' armoire protectrice, pendant que, de mon côté, j' arrange mes affaires. -quand tu le replaceras dans sa position ordinaire, tu reparaïtras tel que la nature t' a formé, ô jeune magicien. Cela, parce que je t' aime et que j' aspire à faire ton bonheur. -va-t' en, qui que tu sois ; ne me prends pas par les épaules. -mon fils, ne t' endors point, bercé par les rêves de l' enfance : la prière en commun n' est pas commencée et tes habits ne sont pas encore soigneusement placés sur une chaise... à genoux ! éternel créateur de l' univers, tu montres ta bonté inépuisable jusque dans les plus petites choses. -tu n' aimes donc pas les ruisseaux limpides, où glissent des milliers de petits poissons rouges, bleus et argentés ? Tu les prendras avec un filet si beau qu' il les attirera de lui-même, jusqu' à ce qu' il soit rempli. De la surface, tu verras des cailloux brillants, plus polis que le marbre. -mère, vois ces griffes ; je me méfie de lui ; mais ma conscience est calme, car je n' ai rien à me reprocher. -tu nous vois, prosternés à tes pieds, accablés du sentiment de ta grandeur. Si quelque pensée orgueilleuse s' insinue dans notre imagination, nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain et nous t' en faisons le sacrifice irrémissible. -tu t' y baigneras avec de petites filles, qui t' enlaceront de leurs bras. Une fois sorti du bain, elles te tresseront des couronnes de roses et d' oeillets. Elles auront des ailes transparentes de papillon et des cheveux d' une longueur ondulée, qui flottent autour de la gentillesse de leur front. -quand même ton palais serait plus beau que le cristal, je ne sortirais pas de cette maison pour te suivre. Je crois que tu n' es qu' un imposteur, puisque tu me parles si doucement, de crainte de te faire entendre. Abandonner ses parents est une mauvaise action. Ce n' est pas moi qui serais fils ingrat. Quant à tes petites filles, elles ne sont pas si belles que les yeux de ma mère. -toute notre vie s' est épuisée dans les cantiques de ta gloire. Tels nous avons été jusqu' ici, tels nous serons, jusqu' au moment où nous recevrons de toi l' ordre de quitter cette terre. -elles t' obéiront à ton moindre signe et ne songeront qu' à te plaire. Si tu désires l' oiseau qui ne se repose jamais, elles te l' apporteront. Si tu désires la voiture de neige, qui transporte au soleil en un clin d' oeil, elles te l' apporteront. Que ne t' apporteraient-elles pas ! Elles t' apporteraient même le cerf-volant, grand comme une tour, qu' on a caché dans la lune, et à la queue duquel sont suspendus, par des liens de soie, des oiseaux de toute espèce. Fais attention à toi... écoute mes conseils. -fais ce que tu voudras ; je ne veux pas interrompre ma prière, pour appeler au secours. Quoique ton corps s' évapore, quand je veux l' écarter, sache que je ne te crains pas. -devant toi, rien n' est grand, si ce n' est la flamme exhalée d' un coeur pur. -réfléchis à ce que je t' ai dit, si tu ne veux pas t' en repentir. -père céleste, conjure, conjure les malheurs qui peuvent fondre sur notre famille. -tu ne veux donc pas te retirer, mauvais esprit ? -conserve cette épouse chérie, qui m' a consolé dans mes découragements... -puisque tu me refuses, je te ferai pleurer et grincer des dents comme un pendu. -et ce fils aimant, dont les chastes lèvres s' entr' ouvrent à peine aux baisers de l' aurore de vie. -mère, il m' étrangle... père, secourez-moi... je ne puis plus respirer... votre bénédiction ! Un cri d' ironie immense s' est élevé dans les airs. Voyez comme les aigles, étourdis, tombent du haut des nuages, en roulant sur eux-mêmes, littéralement foudroyés par la colonne d' air. -son coeur ne bat plus... et celle-ci est morte, en même temps que le fruit de ses entrailles, fruit que je ne reconnais plus, tant il est défiguré... mon épouse ! ... mon fils ! ... je me rappelle un temps lointain où je fus époux et père. Il s' était dit, devant le tableau qui s' offrit à ses yeux, qu' il ne supporterait pas cette injustice. S' il est efficace, le pouvoir que lui ont accordé les esprits infernaux, ou plutôt qu' il tire de lui-même, cet enfant, avant que la nuit s' écoule, ne devait plus être. Celui qui ne sait pas pleurer (car il a toujours
refoulé la souffrance en dedans) remarqua qu' il se
trouvait en Norvège. Aux ïles Foeroé, il assista
à la recherche des nids d' oiseaux de mer, dans les
crevasses à pic, et s' étonna que la corde de trois
cents mètres, qui retient l' explorateur au-dessus du
précipice, fût choisie d' une telle solidité. Il
voyait là, quoi
qu' on dise, un exemple frappant de la bonté
humaine, et il ne pouvait en croire ses yeux. Si
c' était lui qui eût dû préparer la corde, il aurait
fait des entailles en plusieurs endroits, afin
qu' elle se coupāt, et précipitāt le chasseur dans
la mer ! Un soir, il se dirigea vers un cimetière,
et les adolescents qui trouvent du plaisir à violer
les cadavres de belles femmes mortes depuis peu,
purent, s' ils le voulurent, entendre la conversation
suivante, perdue dans le tableau d' une action qui va
se dérouler en même temps.
-n' est-ce pas, fossoyeur, que tu voudras causer avec moi ? Un cachalot s' élève peu à peu du fond de la mer, et montre sa tête au-dessus des eaux, pour voir le navire qui passe dans ses parages solitaires. La curiosité naquit avec l' univers. -ami, il m' est impossible d' échanger des idées avec toi. Il y a longtemps que les doux rayons de la lune font briller le marbre des tombeaux. C' est l' heure silencieuse où plus d' un être humain rêve qu' il voit apparaïtre des femmes enchaïnées, traïnant leurs linceuls, couverts de taches de sang, comme un ciel noir, d' étoiles. Celui qui dort pousse des gémissements, pareils à ceux d' un condamné à mort, jusqu' à ce qu' il se réveille, et s' aperÇoive que la réalité est trois fois pire que le rêve. Je dois finir de creuser cette fosse, avec ma bêche infatigable, afin qu' elle soit prête demain matin. Pour faire un travail sérieux, il ne faut pas faire deux choses à la fois. -il croit que creuser une fosse est un travail sérieux ! Tu crois que creuser une fosse est un travail sérieux ? -lorsque le sauvage pélican se résout à donner sa poitrine à dévorer à ses petits, n' ayant pour témoin que celui qui sut créer un pareil amour, afin de faire honte aux hommes, quoique le sacrifice soit grand, cet acte se comprend. Lorsqu' un jeune homme voit, dans les bras de son ami, une femme qu' il idolātrait, il se met alors à fumer un cigare ; il ne sort pas de la maison, et se noue d' une amitié indissoluble avec la douleur ; cet acte se comprend. Quand un élève interne, dans un lycée, est gouverné, pendant des années, qui sont des siècles, du matin jusqu' au soir et du soir jusqu' au lendemain, par un paria de la civilisation, qui a constamment les yeux sur lui, il sent les flots tumultueux d' une haine vivace, monter comme une épaisse fumée, à son cerveau, qui lui paraït près d' éclater. Depuis le moment où on l' a jeté dans la prison, jusqu' à celui, qui s' approche, où il en sortira, une fièvre intense lui jaunit la face, rapproche ses sourcils, et lui creuse les yeux. La nuit, il réfléchit, parce qu' il ne veut pas dormir. Le jour, sa pensée s' élance au-dessus des murailles de la demeure de l' abrutissement, jusqu' au moment où il s' échappe, ou qu' on le rejette, comme un pestiféré, de ce cloïtre éternel ; cet acte se comprend. Creuser une fosse dépasse souvent les forces de la nature. Comment veux-tu, étranger, que la pioche remue cette terre, qui d' abord nous nourrit, et puis nous donne un lit commode, préservé du vent de l' hiver, soufflant avec furie dans ces froides contrées, lorsque celui qui tient la pioche, de ses tremblantes mains, après avoir toute la journée palpé convulsivement les joues des anciens vivants qui rentrent dans son royaume, voit, le soir, devant lui, écrit en lettres de flammes, sur chaque croix de bois, l' énoncé du problème effrayant que l' humanité n' a pas encore résolu : la mortalité ou l' immortalité de l' āme. Le créateur de l' univers, je lui ai toujours conservé mon amour ; mais, si, après la mort, nous ne devons plus exister, pourquoi vois-je, la plupart des nuits, chaque tombe s' ouvrir, et leurs habitants soulever doucement les couvercles de plomb, pour aller respirer l' air frais ? -arrête-toi dans ton travail. L' émotion t' enlève tes forces ; tu me parais faible comme le roseau ; ce serait une grande folie de continuer. Je suis fort ; je vais prendre ta place. Toi, mets-toi à l' écart ; tu me donneras des conseils, si je ne fais pas bien. -que ses bras sont musculeux, et qu' il y a du plaisir à le regarder bêcher la terre avec tant de facilité ! -il ne faut pas qu' un doute inutile tourmente ta pensée : toutes ces tombes, qui sont éparses dans un cimetière, comme les fleurs dans une prairie, comparaison qui manque de vérité, sont dignes d' être mesurées avec le compas serein du philosophe. Les hallucinations dangereuses peuvent venir le jour ; mais, elles viennent surtout la nuit. Par conséquent, ne t' étonne pas des visions fantastiques que tes yeux semblent apercevoir. Pendant le jour, lorsque l' esprit est en repos, interroge ta conscience ; elle te dira, avec sûreté, que le Dieu qui a créé l' homme avec une parcelle de sa propre intelligence possède une bonté sans limites, et recevra, après la mort terrestre, ce chef-d' oeuvre dans son sein. Fossoyeur, pourquoi pleures-tu ? Pourquoi ces larmes, pareilles à celles d' une femme ? Rappelle-toi-le bien ; nous sommes sur ce vaisseau démāté pour souffrir. C' est un mérite, pour l' homme, que Dieu l' ait jugé capable de vaincre ses souffrances les plus graves. Parle, et, puisque, d' après tes voeux les plus chers, l' on ne souffrirait pas, dis en quoi consisterait alors la vertu, idéal que chacun s' efforce d' atteindre, si ta langue est faite comme celle des autres hommes. -où suis-je ? N' ai-je pas changé de caractère ? Je sens un souffle puissant de consolation effleurer mon front rasséréné, comme la brise du printemps ranime l' espérance des vieillards. Quel est cet homme dont le langage sublime a dit des choses que le premier venu n' aurait pas prononcées ? Quelle beauté de musique dans la mélodie incomparable de sa voix ! Je préfère l' entendre parler, que chanter d' autres. Cependant, plus je l' observe, plus sa figure n' est pas franche. L' expression générale de ses traits contraste singulièrement avec ces paroles que l' amour de Dieu seul a pu inspirer. Son front, ridé de quelques plis, est marqué d' un stigmate indélébile. Ce stigmate, qui l' a vieilli avant l' āge, est-il honorable ou est-il infāme ? Ses rides doivent-elles être regardées avec vénération ? Je l' ignore et je crains de le savoir. Quoiqu' il dise ce qu' il ne pense pas, je crois néanmoins qu' il a des raisons pour agir comme il l' a fait, excité par les restes en lambeaux d' une charité détruite en lui. Il est absorbé dans des méditations qui me sont inconnues, et il redouble d' activité dans un travail ardu qu' il n' a pas l' habitude d' entreprendre. La sueur mouille sa peau ; il ne s' en aperÇoit pas. Il est plus triste que les sentiments qu' inspire la vue d' un enfant au berceau. Oh ! Comme il est sombre ! ... d' où sors-tu ? ... étranger, permets que je te touche, et que mes mains, qui étreignent rarement celles des vivants, s' imposent sur la noblesse de ton corps. Quoi qu' il en arrive, je saurais à quoi m' en tenir. Ces cheveux sont les plus beaux que j' aie touchés dans ma vie. Qui serait assez audacieux pour contester que je ne connais pas la qualité des cheveux ? -que me veux-tu, quand je creuse une tombe ? Le lion ne souhaite pas qu' on l' agace, quand il se repaït. Si tu ne le sais pas, je te l' apprends. Allons, dépêche-toi ; accomplis ce que tu désires. -ce qui frissonne à mon contact, en me faisant frissonner moi-même, est de la chair, à n' en pas douter. Il est vrai... je ne rêve pas ! Qui es-tu donc, toi, qui te penches là pour creuser une tombe, tandis que, comme un paresseux qui mange le pain des autres, je ne fais rien ? C' est l' heure de dormir, ou de sacrifier son repos à la science. En tout cas, nul n' est absent de sa maison, et se garde de laisser la porte ouverte, pour ne pas laisser entrer les voleurs. Il s' enferme dans sa chambre, le mieux qu' il peut, tandis que les cendres de la vieille cheminée savent encore réchauffer la salle d' un reste de chaleur. Toi, tu ne fais pas comme les autres ; tes habits indiquent un habitant de quelque pays lointain. -quoique je ne sois pas fatigué, il est inutile de creuser la fosse davantage. Maintenant, déshabille-moi ; puis, tu me mettras dedans. -la conversation, que nous avons tous les deux, depuis quelques instants, est si étrange, que je ne sais que te répondre... je crois qu' il veut rire. -oui, oui, c' est vrai, je voulais rire ; ne fais plus attention à ce que j' ai dit. Il s' est affaissé, et le fossoyeur s' est empressé de le soutenir ! -qu' as-tu ? -oui, oui, c' est vrai, j' avais menti... j' étais fatigué quand j' ai abandonné la pioche... c' est la première fois que j' entreprenais ce travail... ne fais plus attention à ce que j' ai dit. -mon opinion prend de plus en plus de la consistance : c' est quelqu' un qui a des chagrins épouvantables. Que le ciel m' ôte la pensée de l' interroger. Je préfère rester dans l' incertitude, tant il m' inspire de la pitié. Puis, il ne voudrait pas me répondre, cela est certain : c' est souffrir deux fois que de communiquer son coeur en cet état anormal. -laisse-moi sortir de ce cimetière ; je continuerai ma route. -tes jambes ne te soutiennent point ; tu t' égarerais, pendant que tu cheminerais. Mon devoir est de t' offrir un lit grossier ; je n' en ai pas d' autre. Aie confiance en moi ; car l' hospitalité ne demandera point la violation de tes secrets. -ô pou vénérable, toi dont le corps est dépourvu d' élytres, un jour, tu me reprochas avec aigreur de ne pas aimer suffisamment ta sublime intelligence, qui ne se laisse pas lire ; peut-être avais-tu raison, puisque je ne sens même pas de la reconnaissance pour celui-ci. Fanal de Maldoror, où guides-tu ses pas ? -chez moi. Que tu sois un criminel, qui n' a pas eu la précaution de laver sa main droite, avec du savon, après avoir commis son forfait, et facile à reconnaïtre, par l' inspection de cette main ; ou un frère qui a perdu sa soeur ; ou quelque monarque dépossédé, fuyant de ses royaumes, mon palais vraiment grandiose est digne de te recevoir. Il n' a pas été construit avec du diamant et des pierres précieuses, car ce n' est qu' une pauvre chaumière mal bātie ; mais cette chaumière célèbre a un passé historique que le présent renouvelle et continue sans cesse. Si elle pouvait parler, elle t' étonnerait, toi, qui me parais ne t' étonner de rien. Que de fois, en même temps qu' elle, j' ai vu défiler, devant moi, les bières funéraires, contenant des os bientôt plus vermoulus que le revers de ma porte, contre laquelle je m' appuyais. Mes innombrables sujets augmentent chaque jour. Je n' ai pas besoin de faire, à des périodes fixes, aucun recensement pour m' en apercevoir. Ici, c' est comme chez les vivants ; chacun paie un impôt, proportionnel à la richesse de la demeure qu' il s' est choisie ; et si quelque avare refusait de délivrer sa quote-part, j' ai ordre, en parlant à sa personne, de faire comme les huissiers : il ne manque pas de chacals et de vautours qui désireraient faire un bon repas. J' ai vu se ranger, sous les drapeaux de la mort, celui qui fut beau ; celui qui, après sa vie, n' a pas enlaidi ; l' homme, la femme, le mendiant, les fils de rois ; les illusions de la jeunesse, les squelettes des vieillards ; le génie, la folie ; la paresse, son contraire ; celui qui fut faux, celui qui fut vrai ; le masque de l' orgueilleux, la modestie de l' humble ; le vice couronné de fleurs et l' innocence trahie. -non, certes, je ne refuse pas ta couche, qui est digne de moi, jusqu' à ce que l' aurore vienne, qui ne tardera point. Je te remercie de ta bienveillance... fossoyeur, il est beau de contempler les ruines des cités ; mais il est plus beau de contempler les ruines des humains ! Le frère de la sangsue marchait à pas lents dans la
forêt. Il s' arrête à plusieurs reprises, en ouvrant
la bouche pour parler. Mais, chaque fois sa gorge se
resserre, et refoule en arrière l' effort avorté.
Enfin, il s' écrie : " homme, lorsque tu rencontres
un chien mort retourné, appuyé contre une écluse qui
l' empêche de partir, n' aille pas, comme les autres,
prendre avec ta main les vers qui sortent de son
ventre gonflé, les considérer avec étonnement,
ouvrir un couteau, puis en dépecer un grand nombre,
en te disant que, toi aussi, tu ne seras pas plus que
ce chien. Quel mystère cherches-tu ? Ni moi, ni les
quatre pattes-nageoires de l' ours marin de l' océan
boréal, n' avons pu trouver le problème de la vie.
Prends garde, la nuit s' approche, et tu es là depuis
le matin. Que dira ta famille, avec ta petite soeur,
de te voir si tard arriver ? Lave tes mains,
reprends la route qui va où tu dors... quel est cet
être, là-bas, à l' horizon, et qui ose approcher de
moi, sans peur, à sauts obliques et tourmentés ; et
quelle majesté, mêlée d' une douceur sereine ! Son
regard, quoique doux, est profond. Ses paupières
énormes jouent avec la brise, et paraissent vivre.
Il m' est inconnu. En fixant ses yeux monstrueux,
mon corps tremble ; c' est la première fois, depuis
que j' ai sucé les sèches mamelles de ce qu' on
appelle une mère. Il y a comme une auréole de
lumière éblouissante autour de lui. Quand il a parlé,
tout s' est tu dans la nature et a éprouvé un grand
frisson. Puisqu' il te plaït de venir à moi, comme
attiré par un aimant, je ne m' y opposerai pas. Qu' il
est beau ! Ça me fait de la peine de le dire. Tu
dois être puissant ; car, tu as une figure plus
qu' humaine, triste comme l' univers, belle comme le
suicide. Je t' abhorre autant que je le peux ; et je
préfère voir un serpent, entrelacé autour de mon cou
depuis le commencement des siècles, que non pas
tes yeux... comment ! ... c' est toi, crapaud ! ... gros
crapaud ! ... infortuné crapaud ! ... pardonne ! ...
pardonne ! ... que viens-tu faire sur cette terre où
sont les maudits ? Mais qu' as-tu donc fait de tes
pustules visqueuses et fétides, pour avoir l' air si
doux ? Quand tu descendis d' en haut, par un ordre
supérieur, avec la mission de consoler les diverses
races d' êtres existants, tu t' abattis sur la terre,
avec la rapidité du milan, les ailes non fatiguées
de cette longue, magnifique course ; je te vis !
Pauvre crapaud ! Comme alors je pensais à l' infini,
en même temps qu' à ma faiblesse. " un de plus qui est
supérieur à ceux de la terre, me disais-je : cela,
par la volonté divine. Moi, pourquoi pas aussi ? à
quoi bon l' injustice, dans les décrets suprêmes ?
Est-il insensé, le créateur ; cependant le plus fort,
dont la colère est terrible ! Depuis que tu m' es
apparu, monarque des étangs et des marécages !
Couvert d' une gloire qui n' appartient qu' à Dieu,
tu m' as en partie consolé ; mais ma raison chancelante
s' abïme devant tant de grandeur ! Qui es-tu donc ?
Reste... oh ! Reste encore sur cette terre ! Replie
tes blanches ailes, et ne regarde pas en haut, avec
tes paupières inquiètes... si tu pars, partons
ensemble ! " le crapaud s' assit sur les cuisses de
derrière (qui ressemblent tant à celles de
l' homme ! ) et, pendant que les limaces, les cloportes
et les limaÇons s' enfuyaient à la vue de leur
ennemi mortel, prit la parole en ces termes :
" Maldoror, écoute-moi. Remarque ma figure, calme
comme un miroir, et je crois avoir une intelligence
égale à la tienne. Un jour, tu m' appelas le soutien
de ta vie. Depuis lors, je n' ai pas démenti la
confiance que tu m' avais vouée. Je ne suis qu' un
simple habitant des roseaux, c' est vrai ; mais,
grāce à ton propre contact, ne prenant que ce qu' il
y avait de beau en toi, ma raison s' est agrandie,
et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de
te retirer de l' abïme. Ceux qui s' intitulent tes
amis te regardent,
frappés de consternation, chaque fois qu' ils te
rencontrent, pāle et voûté, dans les théātres, dans
les places publiques, dans les églises, ou pressant,
de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope
que pendant la nuit, tandis qu' il porte son
maïtre-fantôme, enveloppé dans un long manteau noir.
Abandonne ces pensées, qui rendent ton coeur vide
comme un désert ; elles sont plus brûlantes que le
feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t' en
aperÇois pas, et que tu crois être dans ton naturel,
chaque fois qu' il sort de ta bouche des paroles
insensées, quoique pleines d' une infernale grandeur.
Malheureux ! Qu' as-tu dit depuis le jour de ta
naissance ? ô triste reste d' une intelligence
immortelle, que Dieu avait créée avec tant d' amour !
Tu n' as engendré que des malédictions plus affreuses
que la vue de panthères affamées ! Moi, je
préférerais avoir les paupières collées, mon corps
manquant des jambes et des bras, avoir assassiné un
homme, que ne pas être toi ! Parce que je te hais.
Pourquoi avoir ce caractère qui m' étonne ? De quel
droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en
dérision ceux qui l' habitent, épave pourrie,
ballottée par le scepticisme ? Si tu ne t' y
plais pas, il faut retourner dans les sphères d' où
tu viens. Un habitant des cités ne doit pas résider
dans les villages, pareil à un étranger. Nous
savons que, dans les espaces, il existe des sphères
plus spacieuses que la nôtre, et dont les esprits ont
une intelligence que nous ne pouvons même pas
concevoir. Eh bien, va-t' en ! ... retire-toi de ce sol
mobile ! ... montre enfin ton essence divine, que tu
as cachée jusqu' ici ; et, le plus tôt possible,
dirige ton vol ascendant vers ta sphère, que nous
n' envions point, orgueilleux que tu es ! Car je
ne suis pas parvenu à reconnaïtre si tu es un homme
ou plus qu' un homme ! Adieu donc ; n' espère plus
retrouver le crapaud sur ton passage. Tu as été
la cause de ma mort. Moi, je pars pour l' éternité,
afin d' implorer ton pardon ! "
S' il est quelquefois logique de s' en rapporter à
l' apparence des phénomènes, ce premier chant finit
ici. Ne soyez pas sévère pour celui qui ne fait
encore qu' essayer sa lyre : elle rend un son si
étrange ! Cependant, si vous voulez être impartial,
vous reconnaïtrez déjà une empreinte forte, au
milieu des imperfections. Quant à moi, je vais me
remettre au travail, pour faire paraïtre un
deuxième chant, dans un laps de temps qui ne soit
pas trop retardé. La fin du dix-neuvième siècle
verra son poète (cependant, au début, il ne doit pas
commencer par un chef-d' oeuvre, mais suivre la loi
de la nature) ; il est né sur les rives américaines,
à l' embouchure de la Plata, là, où deux peuples,
jadis rivaux, s' efforcent actuellement de se
surpasser par le progrès matériel et moral.
Buenos-Ayres, la reine du sud, et Montevideo,
la coquette, se tendent une main amie, à travers
les eaux argentines du grand estuaire. Mais la
guerre éternelle a placé son empire destructeur sur
les campagnes et moissonne avec joie des victimes
nombreuses. Adieu, vieillard, et pense à moi, si tu
m' as lu. Toi, jeune homme, ne te désespère point ;
car tu as un ami dans le vampire, malgré ton opinion
contraire. En comptant l' acarus sarcopte qui produit
la gale, tu auras deux amis.
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