A Madame de Grammont, Comtesse de Guissen.
Madame, je ne vous offre rien du miens, ou parce qu'il est déjà
vôtre, où pour ce que je n'y trouve rien digne de vous. Mais j'ai
voulu que ces vers, de quelque lieu qu'ils se vissent, portassent votre nom
en tête, pour l'honneur que ce leur sera d'avoir pour guide cette grande
Corisande d'Andoins. Ce présent m'a semblé vous être propre,
d'autant qu'il est peu de dames en France qui jugent mieux et se servent plus
à propos que vous de la poésie; et puisqu'il n'en est point qui
la puissent rendre vive et animée, comme vous faites par ces beaux et
riches accords de quoi, parmi un million d'autres beautés, nature vous
a étrennée. Madame, ces vers méritent que vous les chérissiez; car vous serez de mon avis, qu'il n'en est point sorti de Gascogne qui eussent
plus d'invention et de gentillesse, et qui témoignent être sortis
d'une plus riche main. Et n'entrez pas en jalousie de quoi vous n'avez que le
reste de ce que pièce j'en ai fait imprimer sous le nom de monsieur de
Foix, votre bon parent, car certes ceux ci ont je ne sais quoi de plus vif et
de plus bouillant, comme il les fit en sa plus verte jeunesse, et échauffé
d'une belle et noble ardeur que je vous dirai, Madame, un jour à l'oreille.
Les autres furent faits depuis, comme il était à la poursuite
de son mariage, en faveur de sa femme, et sentent déjà je ne sais
quelle froideur maritale. Et moi je suis de ceux qui tiennent que la poésie
ne rit point ailleurs, comme elle fait en un sujet folâtre et déréglé.
Ces vers se voient ailleurs.
SONNETS
I
Pardon, amour, pardon; à Seigneur je te voue
Le reste de mes ans, ma voix et mes écrits,
Mes sanglots, mes soupirs, mes larmes et mes cris :
Rien, rien tenir d'aucun que de toi, je n'avoue.
Hélas ! comment de moi ma fortune se joue !
De toi n'a pas longtemps, amour je me suis ris,
J'ai failli, je le vois; je me rends, je suis pris.
J'ai trop gardé mon cur , or je le désavoue.
Si j'ai pour le garder retardé ta victoire
Ne l'en traite plus mal, plus grande en est ta gloire.
Et si du premier coup tu ne m'as abattu.
Pense qu'un bon vainqueur, et né pour être grand,
Son nouveau prisonnier, quand un coup il se rend,
Il prise et l'aime mieux, s'il a bien combattu.
II
C'est amour, c'est amour, c'est lui seul, je le sens,
Mais le plus vif amour, le poison le plus fort,
A qui donc pauvre cur ait ouverte la porte :
Ce cruel n'a pas mis un de ses traits perçants,
Mais arc, traits et carquois, et lui tout dans mes sens.
Encore un mois n'a pas que ma franchise est morte,
Que ce venin mortel dans mes veines je porte;
Et déjà j'ai perdu et le cur et le sens.
Et quoi ? Si cet amour à mesure croissoit,
Oui en si grand tourment dedans moi se conçoit ?
O crois, si tu peux croître, et amende en croissant :
Tu te nourris de pleurs, des pleurs je te promets,
Et pour te rafraîchir, des soupirs pour jamais;
Mais que le plus grand mal soit au moins en naissant !
III
C'est fait, mon cur , quittons la liberté.
En quoi servirait je la défense,
Que d'agrandir et la peine et l'offense ?
Plus ne suis fort, ainsi que j'ai été.
La raison frit un temps de mon côté :
Or, révoltée, elle veut que je pense
Qu'il faut servir, et prendre en récompense
Qu'onc d'un tel noeud nul ne fut arrêté.
S'il se faut rendre, alors il est saison,
Quand on n'a plus devers soi la raison.
Je vois qu'amour, sans que je le desserve,
Sans aucun droit, se vient saisir de moi;
Et vois qu'encore il faut à ce grand roi,
Quand il a tort, que la raison lui serve.
IV
C'était alors, quand, les chaleurs passées,
Le sale Automne aux cuves va foulant,
Le raisin gras dessous le pied coulant,
Que mes douleurs furent encemmencées.
Le paisan bat ses gerbes amassées,
Et aux caveaux ses bouillants muids roulant,
Et des fruitiers son automne croulant,
Se venge lors des peines avancées.
Serait-ce un présage donné
Que mon espoir est déjà moissonné ?
Non certes, non mais pour certain je pense,
J'aurai, si bien à deviner j'entends,
Si l'on peut rien pronostiquer du temps,
Quelque grand fruit de ma longue espérance.
V
J'aî vu ses yeux perçants, j'ai vu sa face claire
(Nul jamais sans son damne regarde les dieux);
Froid, sans cur me laissa son oeil victorieux,
Tout étourdi du coup de sa forte lumière.
Comme un surpris de nuit, aux champs, quand il éclaire,
Etonné, se pâlit si la flèche des cieux
Sifflant lui passe contre, et lui serre les yeux :
Il tremble, et voit, transi, Jupiter en colère.
Dis-moi, ma Dame, au vrai, dis-moi si tes yeux verts
Ne sont pas ceux qu'on dit que l'amour tient couverts ?
Tu les avais, je crois, la fois que je t'ai vue;
Au moins il me souvient qu'il me fut lors avis
Qu'amour tout à un coup, quand premier je te vis,
Débanda dessus moi et son arc et sa vue.
VI
Ce dit maint un de moi : De quoi se plaint-il tant,
Perdant ses ans meilleurs en chose si légère ?
Qu'a-t-il tant à crier, si encore il espère ?
Et s'il n'espère rien, pourquoi n'est-il content ?
Quand j'étais libre et sain, j'en disais bien autant,
Mais certes celui-là n'a la raison entière,
Ainsi a le cur gâté de quelque rigueur fière,
S'il se plaint de ma plainte, et mon mal il n'entend.
Amour tout à un coup de cent douleurs me point,
Et puis l'on m'avertit que je ne crie point.
Si vain je ne suis pas que mon mal j'agrandisse,
A force de parler : s'on m'en peut exempter,
Je quitte les sonnets, je quitte le chanter.
Qui me défend le deuil, celui-là me guérisse
!
VII
Quand à chanter ton los parfois je m'aventure,
Sans oser ton grand nom dans mes vers exprimer,
Sondant le moins profond de cette large mer,
Je tremble de m'y perdre, et aux rives m'assure;
Je crains, en louant mal, que je te tasse injure.
Mais le peuple, étonné d'ouïr tant t'estimer,
Ardant de te connaître, essaie à te nommer,
Et, cherchant toi saint nom ainsi à l'aventure.
Ebloui, n'atteint pas à voir chose si claire;
Et ne te trouve point, ce grossier populaire,
Qui, n'ayant qu'un moyen, ne voit pas celui-là :
C'est que s'il peut trier, la comparaison faite,
Des parfaites du monde une la plus parfaite,
Lors, s'il a voix, qu'il crie hardiment : La voilà !
VIII
Quand viendra ce jour-là, que ton nom au vrai passe
Par France dans mes vers ? combien et quantes fois
S'en empresse mon cur , s'en démangent mes doigts ?
Souvent dans mes écrits de soi même il prend place.
Malgré moi je t'écris, malgré moi je t'efface,
Quand Astrée viendrait, et la foi, et le droit,
Alors joyeux, ton nom au monde se rendroit.
Alors, c'est à ce temps, que cacher il te fasse,
C'est à ce temps malin une grande vergogne,
Donc, ma Dame, tandis tu seras ma Dordogne.
Toutefois, laisse-moi, laisse-moi ton nom mettre;
Ayez pitié du temps : si au jour je te mets,
Si le temps ce connaît, lors je te le promets,
Lors il sera doré, s'il le doit jamais être.
IX
O entre tes beautés, que ta constance est belle !
C'est ce cur assuré, ce courage constant,
C'est, parmi tes vertus, ce que l'on prise tant :
Ainsi qu'est-il plus beau, qu'une amitié fidèle
?
Or ne charge donc rien de ta soeur infidèle,
De Vézère ta soeur; elle va s'écartant,
Toujours flottant mal sûre en son cours inconstant
Vois-tu comme à leur gré les vents secouent d'elle
?
Et ne te repens point, pour droit de ton aînage,
D'avoir déjà choisi la constance en partage.
Même race porta l'amitié souveraine.
Des bons jumeaux, desquels l'un à l'autre départ
Du ciel et de l'enfer la moitié de sa part,
Et l'amour diffamé de la trop belle Hélène.
X
Je vois bien, ma Dordogne, encore humble tu vas :
De te montrer Gasconne, en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue on fait Alors grand conte,
Si a-t-il bien été quelquefois aussi bas.
Vois-tu le petit Loir, comme il hâte le pas ?
Comme déjà parmi les plus grands il se compte
?
Comme il marche hautain d'une course plus prompte
Tout à côté du Mince, et il ne s'en plaint
pas ?
Un seul olivier d'Anne, enté au bord de Loire,
Le fait courir plus brave et lui donne sa gloire.
Laisse, laisse-moi faire; et un joué, ma Dordogne,
Si je devine bien, on te connaîtra mieux;
Et Garonne, et le Rhône, et ces autres grands dieux,
En auront quelque envie, et, possible, vergogne.
XI
Toi qui entend mes soupirs, ne me sois rigoureux
Si mer larmes à part toutes miennes je verse,
Si mon amour ne suit en sa douleur diverse
Du Florentin transi les regrets langoureux,
Ni de Catulle aussi, le folâtre amoureux,
Oui le cur de sa dame en chatouillant lui perce,
Ni le savant amour du mi-grégeois Properce :
Ils n'aiment pas pour moi, je n'aime pas pour eux.
Oui pourra sur autrui ses douleurs limiter,
Celui pourra d'autrui les plaintes imiter :
Chacun sent son tourment, et sait ce qu'il endure;
Chacun parla d'amour ainsi qu'il l'entendit,
Je dis ce que mon cur , ce que mon mal me dit.
Que celui aime peu qui aime à la mesure
XII
Quoi ? qu'est-ce ? ô vents, à nues, à l'orage
A point nommé, quand d'elle m'approchant,
Les bois, les monts, les baisses vont tranchant,
Sur moi d'aguet vous poussez votre rage.
Alors mon cur s'embrase davantage.
Allez, allez faire peur au marchand
Qui dans la mer, les trésors va cherchant :
Ce n'est ainsi qu'on m'abat le courage.
Quand j'entends les vents, leur tempête et leurs cris,
De leur malice en mon cur je me ris :
Me pensent.ils pour cela faire rendre ?
Fasse le ciel du pire, et l'air aussi :
Je veux, je veux, et le déclare ainsi
S'il faut mourir, mourir comme Léandre.
XIII
Vous qui aimer encore ne savez,
Alors m'oyant parler de mon Léandre,
Ou jamais non, vous y devez apprendre,
Si rien de bon dans le cur vous avez.
Il osa bien, branlant ses bras lavés,
Armé d'amour, contre l'eau se défendre,
Qui pour tribut la fille voulut prendre,
Ayant le frère et le mouton sauvés
Un soir, vaincu par les flots rigoureux,
Voyant déjà, ce vaillant amoureux,
Que l'eau maîtresse à son plaisir le tourne,
Parlant aux flots, leur jeta cette voix :
Pardonnez-moi maintenant que j'y vois,
Et gardez moi la mort quand je retourne,
XIV
O cur léger, à courage mal seur,
Penses-tu plus que souffrir je te puisse ?
O bonté creuse, à couverte malice !
Traître beauté, venimeuse douceur !
Tu étais donc toujours soeur de ta soeur ?
Et moi, trop simple, il fallait que j'en fisse
L'essai sur moi, et que tard j'entendisse
Ton parler double et tes chants de chasseur ?
Depuis le jour que j'ai pris à t'aimer,
J'eusse vaincu les vagues de la mer.
Qu'est-ce que je pourrais attendre ?
Comment de toi pourrais-je être content ?
Oui apprendra ton cur d'être constant,
Puisque le mien ne le lui peut apprendre ?
XV
Ce n'est pas moi que l'on abuse ainsi :
Qu'à quelque enfant ses ruses on emploie,
Qui n'a nul goût, qui n'entend rien qu'il entend :
Je sais aimer, je sais haïr aussi.
Contente-toi de m'avoir jusqu'ici
Fermé les yeux; il est temps que j'y voie,
Et je suis las et honteux
je sois D'avoir mal mis mon temps et mon souci.
Oserais-tu, m'ayant ainsi traité,
Parler à moi jamais de fermeté ?
Tu prends plaisir à ma douleur extrême;
Tu me défends de sentir mon tourment,
Et si je veux bien que je meure en t'aimant :
Si je ne sens, comment veux-tu que j'aime ?
XVI
Oh ! l'ai-je dit ? Hélas, l'ai-je songé,
Ou si pour vrai j'ai dit blasphème t'elle ?
Ça, fausse langue, il faut que l'honneur d'elle,
De moi, par moi, dessus moi, soit vengé.
Mon cur chez toi, à ma Dame, est logé :
Là donne-lui quelque gène nouvelle,
Fais-lui souffrir quelque peine cruelle;
Fais, fais-lui tout, fors lui donner congé.
Or seras-tu (je le sais) trop humaine,
Et ne pourras longuement voir ma peine :
Mais, un tel fait, faut.il qu'il se pardonne ?
A tout le moins, haut , je me dédierai
De mes sonnets, et me démentirai :
Pour ces deux faux, cinq cents vrais je t'en donne.
XVII
Si ma raison en moi s'est pu remettre,
Si recouvrer asteure je me puis,
Si j'ai du sens, si plus homme je suis,
Je t'en mercie, à bienheureuse lettre !
Oui m'eût (hélas !), qui m'eût su reconnaître,
- Lorsqu'enragé, vaincu de mes ennuis,
En blasphémant ma Dame, je poursuis ?...
De loin, honteux, je te vis lors paraître,
O saint papier alors je me revins,
Et devers toi dévotement je vins.
Je te donnerais un autel pour ce fait,
Qu'on vît les traits de cette main divine.
Mais de les voir aucun homme n'est digne,
Ni moi aussi, s'elle ne m'en eût fait.
XVIII
J'étais prêt d'encourir pour jamais quelque blâme.
De colère échauffé, mon courage brûlait;
Ma folle voix au gré de ma fureur branlait;
Je dépitais les dieux, et encore ma Dame.
Lorsqu'elle de loin jette un brevet dans ma flamme
Je le sentis soudain comme il me rhabillait,
Qu'aussitôt devant lui ma fureur s'en allait,
Qu'il me rendait, vainqueur, en sa place mon âme.
Entre vous, qu'i de moi, ces merveilles parlez,
Que me dites-vous d'elle ? Et je vous prie, voyez,
S'ainsi comme je fais, adorer je la dois ?
Quels miracles en moi pensez.vous qu'elle fasse
De son oeil tout-puissant, ou d'un rai de sa face,