la bibliothèque numérique du poète

Entrée du site

Catalalogue de la bibliothèque

Page de téléchargement

Chaîne de sites

Contacter le WebMaistre

Etienne de la Boétie

29 sonnets



A Madame de Grammont, Comtesse de Guissen.

Madame, je ne vous offre rien du miens, ou parce qu'il est déjà vôtre, où pour ce que je n'y trouve rien digne de vous. Mais j'ai voulu que ces vers, de quelque lieu qu'ils se vissent, portassent votre nom en tête, pour l'honneur que ce leur sera d'avoir pour guide cette grande Corisande d'Andoins. Ce présent m'a semblé vous être propre, d'autant qu'il est peu de dames en France qui jugent mieux et se servent plus à propos que vous de la poésie; et puisqu'il n'en est point qui la puissent rendre vive et animée, comme vous faites par ces beaux et riches accords de quoi, parmi un million d'autres beautés, nature vous a étrennée. Madame, ces vers méritent que vous les chérissiez; car vous serez de mon avis, qu'il n'en est point sorti de Gascogne qui eussent plus d'invention et de gentillesse, et qui témoignent être sortis d'une plus riche main. Et n'entrez pas en jalousie de quoi vous n'avez que le reste de ce que pièce j'en ai fait imprimer sous le nom de monsieur de Foix, votre bon parent, car certes ceux ci ont je ne sais quoi de plus vif et de plus bouillant, comme il les fit en sa plus verte jeunesse, et échauffé d'une belle et noble ardeur que je vous dirai, Madame, un jour à l'oreille. Les autres furent faits depuis, comme il était à la poursuite de son mariage, en faveur de sa femme, et sentent déjà je ne sais quelle froideur maritale. Et moi je suis de ceux qui tiennent que la poésie ne rit point ailleurs, comme elle fait en un sujet folâtre et déréglé.

Ces vers se voient ailleurs.

SONNETS

I

Pardon, amour, pardon; à Seigneur je te voue
Le reste de mes ans, ma voix et mes écrits,
Mes sanglots, mes soupirs, mes larmes et mes cris :
Rien, rien tenir d'aucun que de toi, je n'avoue.
Hélas ! comment de moi ma fortune se joue !
De toi n'a pas longtemps, amour je me suis ris,
J'ai failli, je le vois; je me rends, je suis pris.
J'ai trop gardé mon cur , or je le désavoue.
Si j'ai pour le garder retardé ta victoire
Ne l'en traite plus mal, plus grande en est ta gloire.
Et si du premier coup tu ne m'as abattu.
Pense qu'un bon vainqueur, et né pour être grand,
Son nouveau prisonnier, quand un coup il se rend,
Il prise et l'aime mieux, s'il a bien combattu.

II

C'est amour, c'est amour, c'est lui seul, je le sens,
Mais le plus vif amour, le poison le plus fort,
A qui donc pauvre cur ait ouverte la porte :
Ce cruel n'a pas mis un de ses traits perçants,
Mais arc, traits et carquois, et lui tout dans mes sens.
Encore un mois n'a pas que ma franchise est morte,
Que ce venin mortel dans mes veines je porte;
Et déjà j'ai perdu et le cur et le sens.
Et quoi ? Si cet amour à mesure croissoit,
Oui en si grand tourment dedans moi se conçoit ?
O crois, si tu peux croître, et amende en croissant :
Tu te nourris de pleurs, des pleurs je te promets,
Et pour te rafraîchir, des soupirs pour jamais;
Mais que le plus grand mal soit au moins en naissant !

III

C'est fait, mon cur , quittons la liberté.
En quoi servirait je la défense,
Que d'agrandir et la peine et l'offense ?
Plus ne suis fort, ainsi que j'ai été.
La raison frit un temps de mon côté :
Or, révoltée, elle veut que je pense
Qu'il faut servir, et prendre en récompense
Qu'onc d'un tel noeud nul ne fut arrêté.
S'il se faut rendre, alors il est saison,
Quand on n'a plus devers soi la raison.
Je vois qu'amour, sans que je le desserve,
Sans aucun droit, se vient saisir de moi;
Et vois qu'encore il faut à ce grand roi,
Quand il a tort, que la raison lui serve.

IV

C'était alors, quand, les chaleurs passées,
Le sale Automne aux cuves va foulant,
Le raisin gras dessous le pied coulant,
Que mes douleurs furent encemmencées.
Le paisan bat ses gerbes amassées,
Et aux caveaux ses bouillants muids roulant,
Et des fruitiers son automne croulant,
Se venge lors des peines avancées.
Serait-ce un présage donné
Que mon espoir est déjà moissonné ?
Non certes, non mais pour certain je pense,
J'aurai, si bien à deviner j'entends,
Si l'on peut rien pronostiquer du temps,
Quelque grand fruit de ma longue espérance.

V

J'aî vu ses yeux perçants, j'ai vu sa face claire
(Nul jamais sans son damne regarde les dieux);
Froid, sans cur me laissa son oeil victorieux,
Tout étourdi du coup de sa forte lumière.
Comme un surpris de nuit, aux champs, quand il éclaire,
Etonné, se pâlit si la flèche des cieux
Sifflant lui passe contre, et lui serre les yeux :
Il tremble, et voit, transi, Jupiter en colère.
Dis-moi, ma Dame, au vrai, dis-moi si tes yeux verts
Ne sont pas ceux qu'on dit que l'amour tient couverts ?
Tu les avais, je crois, la fois que je t'ai vue;
Au moins il me souvient qu'il me fut lors avis
Qu'amour tout à un coup, quand premier je te vis,
Débanda dessus moi et son arc et sa vue.

VI

Ce dit maint un de moi : De quoi se plaint-il tant,
Perdant ses ans meilleurs en chose si légère ?
Qu'a-t-il tant à crier, si encore il espère ?
Et s'il n'espère rien, pourquoi n'est-il content ?
Quand j'étais libre et sain, j'en disais bien autant,
Mais certes celui-là n'a la raison entière,
Ainsi a le cur gâté de quelque rigueur fière,
S'il se plaint de ma plainte, et mon mal il n'entend.
Amour tout à un coup de cent douleurs me point,
Et puis l'on m'avertit que je ne crie point.
Si vain je ne suis pas que mon mal j'agrandisse,
A force de parler : s'on m'en peut exempter,
Je quitte les sonnets, je quitte le chanter.
Qui me défend le deuil, celui-là me guérisse !

VII

Quand à chanter ton los parfois je m'aventure,
Sans oser ton grand nom dans mes vers exprimer,
Sondant le moins profond de cette large mer,
Je tremble de m'y perdre, et aux rives m'assure;
Je crains, en louant mal, que je te tasse injure.
Mais le peuple, étonné d'ouïr tant t'estimer,
Ardant de te connaître, essaie à te nommer,
Et, cherchant toi saint nom ainsi à l'aventure.
Ebloui, n'atteint pas à voir chose si claire;
Et ne te trouve point, ce grossier populaire,
Qui, n'ayant qu'un moyen, ne voit pas celui-là :
C'est que s'il peut trier, la comparaison faite,
Des parfaites du monde une la plus parfaite,
Lors, s'il a voix, qu'il crie hardiment : La voilà !

VIII

Quand viendra ce jour-là, que ton nom au vrai passe
Par France dans mes vers ? combien et quantes fois
S'en empresse mon cur , s'en démangent mes doigts ?
Souvent dans mes écrits de soi même il prend place.
Malgré moi je t'écris, malgré moi je t'efface,
Quand Astrée viendrait, et la foi, et le droit,
Alors joyeux, ton nom au monde se rendroit.
Alors, c'est à ce temps, que cacher il te fasse,
C'est à ce temps malin une grande vergogne,
Donc, ma Dame, tandis tu seras ma Dordogne.
Toutefois, laisse-moi, laisse-moi ton nom mettre;
Ayez pitié du temps : si au jour je te mets,
Si le temps ce connaît, lors je te le promets,
Lors il sera doré, s'il le doit jamais être.

IX

O entre tes beautés, que ta constance est belle !
C'est ce cur assuré, ce courage constant,
C'est, parmi tes vertus, ce que l'on prise tant :
Ainsi qu'est-il plus beau, qu'une amitié fidèle ?
Or ne charge donc rien de ta soeur infidèle,
De Vézère ta soeur; elle va s'écartant,
Toujours flottant mal sûre en son cours inconstant
Vois-tu comme à leur gré les vents secouent d'elle ?
Et ne te repens point, pour droit de ton aînage,
D'avoir déjà choisi la constance en partage.
Même race porta l'amitié souveraine.
Des bons jumeaux, desquels l'un à l'autre départ
Du ciel et de l'enfer la moitié de sa part,
Et l'amour diffamé de la trop belle Hélène.

X

Je vois bien, ma Dordogne, encore humble tu vas :
De te montrer Gasconne, en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue on fait Alors grand conte,
Si a-t-il bien été quelquefois aussi bas.
Vois-tu le petit Loir, comme il hâte le pas ?
Comme déjà parmi les plus grands il se compte ?
Comme il marche hautain d'une course plus prompte
Tout à côté du Mince, et il ne s'en plaint pas ?
Un seul olivier d'Anne, enté au bord de Loire,
Le fait courir plus brave et lui donne sa gloire.
Laisse, laisse-moi faire; et un joué, ma Dordogne,
Si je devine bien, on te connaîtra mieux;
Et Garonne, et le Rhône, et ces autres grands dieux,
En auront quelque envie, et, possible, vergogne.

XI

Toi qui entend mes soupirs, ne me sois rigoureux
Si mer larmes à part toutes miennes je verse,
Si mon amour ne suit en sa douleur diverse
Du Florentin transi les regrets langoureux,
Ni de Catulle aussi, le folâtre amoureux,
Oui le cur de sa dame en chatouillant lui perce,
Ni le savant amour du mi-grégeois Properce :
Ils n'aiment pas pour moi, je n'aime pas pour eux.
Oui pourra sur autrui ses douleurs limiter,
Celui pourra d'autrui les plaintes imiter :
Chacun sent son tourment, et sait ce qu'il endure;
Chacun parla d'amour ainsi qu'il l'entendit,
Je dis ce que mon cur , ce que mon mal me dit.
Que celui aime peu qui aime à la mesure

XII

Quoi ? qu'est-ce ? ô vents, à nues, à l'orage
A point nommé, quand d'elle m'approchant,
Les bois, les monts, les baisses vont tranchant,
Sur moi d'aguet vous poussez votre rage.
Alors mon cur s'embrase davantage.
Allez, allez faire peur au marchand
Qui dans la mer, les trésors va cherchant :
Ce n'est ainsi qu'on m'abat le courage.
Quand j'entends les vents, leur tempête et leurs cris,
De leur malice en mon cur je me ris :
Me pensent.ils pour cela faire rendre ?
Fasse le ciel du pire, et l'air aussi :
Je veux, je veux, et le déclare ainsi
S'il faut mourir, mourir comme Léandre.

XIII

Vous qui aimer encore ne savez,
Alors m'oyant parler de mon Léandre,
Ou jamais non, vous y devez apprendre,
Si rien de bon dans le cur vous avez.
Il osa bien, branlant ses bras lavés,
Armé d'amour, contre l'eau se défendre,
Qui pour tribut la fille voulut prendre,
Ayant le frère et le mouton sauvés
Un soir, vaincu par les flots rigoureux,
Voyant déjà, ce vaillant amoureux,
Que l'eau maîtresse à son plaisir le tourne,
Parlant aux flots, leur jeta cette voix :
Pardonnez-moi maintenant que j'y vois,
Et gardez moi la mort quand je retourne,

XIV

O cur léger, à courage mal seur,
Penses-tu plus que souffrir je te puisse ?
O bonté creuse, à couverte malice !
Traître beauté, venimeuse douceur !
Tu étais donc toujours soeur de ta soeur ?
Et moi, trop simple, il fallait que j'en fisse
L'essai sur moi, et que tard j'entendisse
Ton parler double et tes chants de chasseur ?
Depuis le jour que j'ai pris à t'aimer,
J'eusse vaincu les vagues de la mer.
Qu'est-ce que je pourrais attendre ?
Comment de toi pourrais-je être content ?
Oui apprendra ton cur d'être constant,
Puisque le mien ne le lui peut apprendre ?

XV

Ce n'est pas moi que l'on abuse ainsi :
Qu'à quelque enfant ses ruses on emploie,
Qui n'a nul goût, qui n'entend rien qu'il entend :
Je sais aimer, je sais haïr aussi.
Contente-toi de m'avoir jusqu'ici
Fermé les yeux; il est temps que j'y voie,
Et je suis las et honteux
je sois D'avoir mal mis mon temps et mon souci.
Oserais-tu, m'ayant ainsi traité,
Parler à moi jamais de fermeté ?
Tu prends plaisir à ma douleur extrême;
Tu me défends de sentir mon tourment,
Et si je veux bien que je meure en t'aimant :
Si je ne sens, comment veux-tu que j'aime ?

XVI

Oh ! l'ai-je dit ? Hélas, l'ai-je songé,
Ou si pour vrai j'ai dit blasphème t'elle ?
Ça, fausse langue, il faut que l'honneur d'elle,
De moi, par moi, dessus moi, soit vengé.
Mon cur chez toi, à ma Dame, est logé :
Là donne-lui quelque gène nouvelle,
Fais-lui souffrir quelque peine cruelle;
Fais, fais-lui tout, fors lui donner congé.
Or seras-tu (je le sais) trop humaine,
Et ne pourras longuement voir ma peine :
Mais, un tel fait, faut.il qu'il se pardonne ?
A tout le moins, haut , je me dédierai
De mes sonnets, et me démentirai :
Pour ces deux faux, cinq cents vrais je t'en donne.

XVII

Si ma raison en moi s'est pu remettre,
Si recouvrer asteure je me puis,
Si j'ai du sens, si plus homme je suis,
Je t'en mercie, à bienheureuse lettre !
Oui m'eût (hélas !), qui m'eût su reconnaître,
- Lorsqu'enragé, vaincu de mes ennuis,
En blasphémant ma Dame, je poursuis ?...
De loin, honteux, je te vis lors paraître,
O saint papier alors je me revins,
Et devers toi dévotement je vins.
Je te donnerais un autel pour ce fait,
Qu'on vît les traits de cette main divine.
Mais de les voir aucun homme n'est digne,
Ni moi aussi, s'elle ne m'en eût fait.

XVIII

J'étais prêt d'encourir pour jamais quelque blâme.
De colère échauffé, mon courage brûlait;
Ma folle voix au gré de ma fureur branlait;
Je dépitais les dieux, et encore ma Dame.
Lorsqu'elle de loin jette un brevet dans ma flamme
Je le sentis soudain comme il me rhabillait,
Qu'aussitôt devant lui ma fureur s'en allait,
Qu'il me rendait, vainqueur, en sa place mon âme.
Entre vous, qu'i de moi, ces merveilles parlez,
Que me dites-vous d'elle ? Et je vous prie, voyez,
S'ainsi comme je fais, adorer je la dois ?
Quels miracles en moi pensez.vous qu'elle fasse
De son oeil tout-puissant, ou d'un rai de sa face,
Puisqu'en moi firent tant les traces de ses doigts ?

XIX

Je tremblais devant elle, et attendais, transi,
Pour venger mon forfait quelque juste sentence,
A moi-même consent du poids de mon offense,
Lorsqu'elle me dit : Va, je te prends à merci.
Que mon los désormais partout soit éclairci :
Emploie là tes ans; et sans plus, je pense
D'enrichir de mon nom par tes vers notre France :
Couvre de vers ta faute, et paye-moi ainsi.
Sus donc, ma plume, il faut, pour jouir de ma peine,
Courir par sa grandeur d'une plus large veine :
Mais regarde à son oeil, qu'il ne nous abandonne.
Sans ses yeux nos esprits se mourraient languissants.
Ils nous donnent le cur , ils nous donnent le sens :
Pour se payer de moi, il faut qu'elle me donne.

XX

O vous, maudits sonnets, vous qui prîtes l'audace
De toucher à ma Dame à malins et pervers,
Des Muses le reproche, et honte de mes vers
Si je vous fis jamais, s'il faut que je me fasse.
Ce tort de confesser vous tenir de ma race,
Lors pour vous les ruisseàux ne furent pas ouverts
D'Apollon le Doré, des Muses aux yeux verts;
Mais vous reçut naissants Tisiphone en leur place.
Si j'ai donc quelque part à la postérité,
Je veux que l'un et l'autre en soit déshérité;
Et si au feu vengeur dès or je ne vous donne,
C'est pour vous diffamer : vivez, chétifs, vivez,
Vivez aux yeux de tous, de tout honneur privez :
Car c'est pour vous punir, qu'Alors je vous pardonne.

XXI

N'ayez plus, mes amis, n'ayez plus cette envie
Que je cesse d'aimer; laissez-moi, obstiné,
Vivre et mourir ainsi puisqu'il est ordonné :
Mon amour, c'est le fil auquel se tient ma vie.
Ainsi me dit la Fée; ainsi en Oeagrie,
Elle fit Méléagre à l'amour destiné,
Et alluma sa souche à l'heure qu'il frit né,
Et dit : Toi et ce feu, tenez-vous compagnie.
Elle le dit ainsi, et la fin ordonnée
Suivit après le fil de cette destinée.
La souche (ce dit-on) au feu frit consommée;
Et dès lors (grand miracle), en un même mornent,
On vit tout à un coup du misérable amant
La vie et le tison s'en aller en fumée.

XXII

Quand tes yeux conquérants, étonné, je regarde,
J'y vois, dedans à clair tout mon esprit écrit,
J'y vois dedans mon amour lui-même qui me rit,
Et m'y montre mignard le bonheur qu'il me garde.
Mais que de te parler parfois je me hasarde,
C'est lors que mon espoir desséché se tarit;
Et d'avouer jamais ton oeil, qui me nourrit,
D'un seul mot de faveur, cruelle, tu n'as garde.
Si tes yeux sont pour moi, or vois ce que je dis :
Ce sont ceux-là, sans plus, à qui je me rendis.
Mon Dieu, quelle querelle en toi-même se dresse,
Si ta bouche et tes yeux se veulent démentir !
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les départir,
Et que je prenne au mot de tes yeux la promesse.

XXIII

Ce sont tes yeux tranchants qui me font le courage.
Je vois sauter dedans la gaye liberté,
Et mon petit archer, qui mène à son côté .
La belle Gaillardise et le Plaisir volage;
Mais après, la rigueur de ton triste langage
Me montre dans ton cur la fière honnêteté
Et, condamné, je vois la dure chasteté
Là gravement assise, et la vertu sauvage.
Ainsi mon temps divers par ces vagues se passe;
Alors son oeil m'appelle, or sa bouche me chasse.
Hélas, en cet estrif, combien ai-je enduré .
Et puisqu'on pense avoir d'amour quelque assurance,
Sans cesse, nuit et jour, à la Servir je pense,
Ni encore de mon mal ne puis être assuré.

XXIV

Or, dis-je bien, mon espérance est morte;
Or est-ce fait de mon aise et mon bien.
Mon mal est clair : maintenant, je vois bien,
J'ai épousé la douleur que je porte.
Tout me court sus, rien ne me réconforte,
Tout m'abandonne, et d'elle je n'ai rien,
Sinon toujours quelque nouveau soutien,
Oui rend ma peine et ma douleur plus forte.
Ce que j'attends, c'est un jour d'obtenir
Quelques soupirs des gens de l'avenir,
Quelqu'un dira dessus moi par pitié :
Sa dame et lui naquirent destinés,
Également de mourir obstinés,
L'un en rigueur, et l'autre en amitié,

XXV

J'ai tant vécu chétif, en ma langueur,
Qu'or j'ai vu rompre (et suis encore en vie)
Mon espérance avant mes yeux ravie,
Contre l'écueil de sa fière rigueur.
Que m'a servi de tant d'an.s la longueur ?
Elle n'est pas de ma peine assouvie;
Elle s'en rit, et n'a point d'autre envie
Que de tenir mon mal en sa vigueur.
Doncques j'aurai, malheureux en aimant,
Toujours uil cur , toujours nouveau tourment
Je me sens bien que j'en suis hors d'haleine,
Prêt à laisser la vie sous le faix :
Qu'y ferait-on, sinon ce que je fais ?
Piqué du mal, je m'obstine en ma peine.

XXVI

Puisqu'ainsi sont mes dures destinées,
J'en saoulerai, si je puis, mon souci.
Si j'ai du mal, elle le veut aussi :
J'accomplirai mes peines ordonnées.
Nymphes des bois, qui avez, étonnées,
De mes douleurs, je crois, quelque merci,
Qu'en pensez-vous ? puis-je durer ainsi,
Si à mes maux trêves ne sont données ?
Or si quelqu'une à m'écouter s'encline,
Oyez, pour Dieu, ce qu'Alors je devine
Le jour est près que mes forces soient vaines.
Ne pourront plus fournir à mon tourment.
C'est mon espoir : si je meurs en aimant,
En quoi donc, je crois, faillirai-je à mes peines.

XXVII

Lorsque lasse est de me lasser ma peine,
Amour, d'un bien mon mal rafraîchissant,
Flatte au cur mort ma plaie languissant,
Nourrit mon mal et lui fait prendre haleine.
Lors je conçois quelque espérance vaine;
Mais aussitôt, ce dur tyran, s'il sent
Que mon espoir se renforce en croissant,
Pour l'étouffer, cent tourments il m'ameine,
encore tous frais : lors je me vois blâmant
D'avoir été rebelle à mon tourment.
Vive le mal, à dieux, qui me dévore !
Vive à son gré mon tourment rigoureux !
O bien heureux, et bien heureux encore,
Oui sans relâche est toujours malheureux !

XXVIII

Si contre amour je n'ai autre défence,
Je m'en plaindrai, mes vers le maudiront,
Et après moi les roches rediront
Le tort qu'il fait à ma dure constance.
Puisque de lui j'endure cette offence,
Au moins tout haut, mes rimes le diront,
Et nos neveux, alors qu'ils me liront,
En l'outrageant, m'en feront la vengeance.
Ayant perdu tout l'aise que j'avois,
Ce sera peu que de perdre ma voix.
S'on sait l'aigreur de mon triste souci;
Et fut celui qui m'a fait cette plaie,
Il en aura, pour si dur cur qu'il aie,
Quelque pitié, mais non pas de merci.

XXIX

Je reluisait la benoîte journée
Que la nature au monde te devait,
Quand des trésors qu'elle te réservait
Sa grande clef te fut abandonnée.
Tu pris la grâce à toi seule ordonnée;
Tu pillas tant de beautés qu'elle avoit,
Tant qu'elle, fière, alors qu'elle te voit,
En est parfois elle même étonnée.
Ta main de prendre enfin se contenta;
Mais la nature encore te présenta,
Pour t'enrichir, cette terre où nous sommes.
Tu n'en pris rien, mais en toi tu t'en ris,
Te sentant bien en avoir assez pris
Pour être ici reine du cur des hommes.

Webmaster : Catelin Michel

lyres@chez.com

Ce site est dedié a la poésie, il n'a aucun but commercial. Il s'agit seulement de faire aimer la poésie.